Interview
Olivier Py
“C’est parce que le théâtre est minoritaire, qu’il est exceptionnel”
Olivier Py prend ses quartiers de printemps au théâtre du Rond-Point. Après le succès du Festival Dubillard en 2005, Jean-Michel Ribes a invité le directeur du CDN d'Orléans à mettre en scène cinq de ses pièces ("Illusions comiques", "Les Vainqueurs", "Épître aux jeunes acteurs", "La jeune fille, le diable et le moulin", "L'Eau de la vie") dans une "Grande Parade" construite autour de la réflexion du théâtre sur lui-même.
Quels critères ont déterminé la composition de ce programme ?
D'abord, il y a eu le souci de la distribution. Car c'est une même troupe, à géométrie variable, qui interprète les cinq spectacles. Il fallait donc que cela soit cohérent au niveau des possibilités des acteurs. Et puis, la question des thématiques s'est évidemment posée. Jean-Michel Ribes et moi avons convenu d'axer ce projet sur la métaréflexion théâtrale - sur ce théâtre qui parle du théâtre -, qui fait l'éloge du poème dramatique, plutôt que sur des thèmes comme le spirituel ou le politique.
Chacune des cinq pièces est donc traversée par une sorte de mise en abyme dramatique...
Oui. Dans Les Vainqueurs, par exemple, les personnages font tout le temps du théâtre, à travers différentes formes : du music-hall, de la comédie satirique... C'est vrai également pour les deux contes de Grimm : l'un que j'ai très librement adapté et réintitulé La Jeune Fille, le diable et le moulin ; l'autre, L'Eau de la vie, qui est une reconstruction de plusieurs contes de façon à retrouver une structure shakespearienne, pour finalement aboutir à une pièce qui ressemble beaucoup au Roi Lear. Dans Illusions comiques, il est question d'un théâtre en
répétition. Et puis, j'ai voulu reprendre Épître aux jeunes
acteurs pour établir un lien théorique entre ces différents spectacles.
Diriez-vous que cette forme d'autoregard est l'une des obsessions de votre écriture ?
Mon écriture est fondée sur le choc des différents théâtres, sur le mélange des genres. Ce qui m'intéresse, c'est d'élaborer une construction dramatique qui sillonne toutes les catégories théâtrales. C'est d'ailleurs quelque chose que j'ai systématisée après ma mise en scène du Soulier de satin, l'une des idées fondamentales de cette pièce étant de passer par tous les théâtres du monde pour figurer le monde.
En dehors de cette vision de la multiplicité théâtrale, comment pourriez-vous caractériser votre univers artistique ?
Mon théâtre part du verbe. Il s'agit d'un théâtre lyrique, d'un théâtre de la pensée, qui s'efforce de ne pas se contenter d'un sujet social, d'une seule thématique, qui essaie d'aborder la totalité du fait humain dans chaque pièce. Il peut donc sembler grandiloquent quand je le veux juste grand, foutraque quand je le veux juste complexe, dérisoire quand je le veux comique...
Quelle est, selon vous, la place qu'occupe l'art
dramatique dans la société contemporaine ?
Une place de plus en plus marginale. Ce que j'essaie de faire, c'est de transformer cela en avantage. Car je crois que c'est parce que le théâtre est minoritaire, qu'il est exceptionnel, que le public a conscience d'assister à quelque chose de précieux, de rare.
À quoi tient cette marginalisation ?
Il y a quelques dizaines d'années, le théâtre avait encore une place dans les grands médias. Il pouvait être un moteur d'opinion, peser sur le politique. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Et pourtant, contrairement à ce que l'on essaie de nous faire croire, les salles ne sont pas vides, le public ne rétrécit pas. Je dirais même qu'il est plus nombreux à présent que dans les années 1950. La décentralisation et le théâtre subventionné fonctionnent. C'est l'échelle, et donc la valeur d'influence, qui ont changé. Si l'on compare le public de théâtre aux téléspectateurs qui regardent, tous les soirs, le journal de 20 Heures, le rapport est terrible !
Comment vous positionnez-vous dans ce paysage bouleversé ?
Je crois qu'il faut tendre vers l'excellence artistique, sans pour cela s'enfermer dans une forme d'autisme : il faut expérimenter sans être expérimental. Si le théâtre se résume à un dialogue entre le metteur en scène et le critique d'art, là, on est foutu ! L'homme de théâtre public doit prendre conscience que sa subvention n'est pas simplement un mécénat d'État, mais qu'elle oblige à une responsabilité civique. Il y a donc un fil à trouver, qui passe par des œuvres brillantes d'un point de vue de la pensée, de la rénovation des formes, des œuvres qui ne se transforment pas en démagogie socio-culturelle, mais qui veillent à conserver la relation avec le public, sans le sectoriser. Et ça marche ! Je pense que ce n'est pas du rap qu'il faut aller faire en banlieue, c'est Shakespeare.
Manuel Piolat Soleymat
"Épître aux jeunes acteurs"
Aux côtés de Samuel Churin, John Arnold incarne les multiples protagonistes de cette adresse aux apprentis comédiens et, plus généralement, au public. Commande du Conservatoire national supérieur d'Art dramatique de Paris, la pièce d'Olivier Py est constituée d'un entrelacs de paroles "ouvrant des chemins à l'entendement de l'écriture poétique".
"Épître aux jeunes acteurs est en fait un prétexte", explique John Arnold. "Il s'agit évidemment d'un travail sur les différentes possibilités de jeu de comédien, mais la pièce déborde de ce cadre-là pour devenir une réflexion très profonde sur le monde. Via le prisme du théâtre, c'est un texte qui fait le procès du rendement perpétuel et immédiat dans lequel on vit, qui projette un idéal d'atemporalité et d'élévation. Parce que, comme tout le monde, les comédiens sont pris dans le phénomène de zapping qui rend, aujourd'hui, toute forme de pensée suspecte."Familier de l'univers d'Olivier Py depuis de nombreuses années (il a été l'un des interprètes de L'Exaltation du labyrinthe, a fait partie de la distribution du Soulier de satin monté par le directeur du CDN d'Orléans...), le comédien, d'origine franco-américaine, a créé Épître aux jeunes acteurs à Edimbourg. De l'anglais au français, John Arnold s'est attaché à trouver un nouveau souffle pour donner voix aux paroles contradictoires qui s'opposent dans cette façon de conférence drôle et sévère. Paroles d'un poète et de personnages symboliques - le policier du désir, le rabat-joie, le responsable culturel... - aboutissant à "un combat pour dire le beau qui va bien au-delà de la seule notion de théâtre".
Manuel Piolat Soleymat
D'abord, il y a eu le souci de la distribution. Car c'est une même troupe, à géométrie variable, qui interprète les cinq spectacles. Il fallait donc que cela soit cohérent au niveau des possibilités des acteurs. Et puis, la question des thématiques s'est évidemment posée. Jean-Michel Ribes et moi avons convenu d'axer ce projet sur la métaréflexion théâtrale - sur ce théâtre qui parle du théâtre -, qui fait l'éloge du poème dramatique, plutôt que sur des thèmes comme le spirituel ou le politique.
Chacune des cinq pièces est donc traversée par une sorte de mise en abyme dramatique...
Oui. Dans Les Vainqueurs, par exemple, les personnages font tout le temps du théâtre, à travers différentes formes : du music-hall, de la comédie satirique... C'est vrai également pour les deux contes de Grimm : l'un que j'ai très librement adapté et réintitulé La Jeune Fille, le diable et le moulin ; l'autre, L'Eau de la vie, qui est une reconstruction de plusieurs contes de façon à retrouver une structure shakespearienne, pour finalement aboutir à une pièce qui ressemble beaucoup au Roi Lear. Dans Illusions comiques, il est question d'un théâtre en
répétition. Et puis, j'ai voulu reprendre Épître aux jeunes
acteurs pour établir un lien théorique entre ces différents spectacles.
Diriez-vous que cette forme d'autoregard est l'une des obsessions de votre écriture ?
Mon écriture est fondée sur le choc des différents théâtres, sur le mélange des genres. Ce qui m'intéresse, c'est d'élaborer une construction dramatique qui sillonne toutes les catégories théâtrales. C'est d'ailleurs quelque chose que j'ai systématisée après ma mise en scène du Soulier de satin, l'une des idées fondamentales de cette pièce étant de passer par tous les théâtres du monde pour figurer le monde.
En dehors de cette vision de la multiplicité théâtrale, comment pourriez-vous caractériser votre univers artistique ?
Mon théâtre part du verbe. Il s'agit d'un théâtre lyrique, d'un théâtre de la pensée, qui s'efforce de ne pas se contenter d'un sujet social, d'une seule thématique, qui essaie d'aborder la totalité du fait humain dans chaque pièce. Il peut donc sembler grandiloquent quand je le veux juste grand, foutraque quand je le veux juste complexe, dérisoire quand je le veux comique...
Quelle est, selon vous, la place qu'occupe l'art
dramatique dans la société contemporaine ?
Une place de plus en plus marginale. Ce que j'essaie de faire, c'est de transformer cela en avantage. Car je crois que c'est parce que le théâtre est minoritaire, qu'il est exceptionnel, que le public a conscience d'assister à quelque chose de précieux, de rare.
À quoi tient cette marginalisation ?
Il y a quelques dizaines d'années, le théâtre avait encore une place dans les grands médias. Il pouvait être un moteur d'opinion, peser sur le politique. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Et pourtant, contrairement à ce que l'on essaie de nous faire croire, les salles ne sont pas vides, le public ne rétrécit pas. Je dirais même qu'il est plus nombreux à présent que dans les années 1950. La décentralisation et le théâtre subventionné fonctionnent. C'est l'échelle, et donc la valeur d'influence, qui ont changé. Si l'on compare le public de théâtre aux téléspectateurs qui regardent, tous les soirs, le journal de 20 Heures, le rapport est terrible !
Comment vous positionnez-vous dans ce paysage bouleversé ?
Je crois qu'il faut tendre vers l'excellence artistique, sans pour cela s'enfermer dans une forme d'autisme : il faut expérimenter sans être expérimental. Si le théâtre se résume à un dialogue entre le metteur en scène et le critique d'art, là, on est foutu ! L'homme de théâtre public doit prendre conscience que sa subvention n'est pas simplement un mécénat d'État, mais qu'elle oblige à une responsabilité civique. Il y a donc un fil à trouver, qui passe par des œuvres brillantes d'un point de vue de la pensée, de la rénovation des formes, des œuvres qui ne se transforment pas en démagogie socio-culturelle, mais qui veillent à conserver la relation avec le public, sans le sectoriser. Et ça marche ! Je pense que ce n'est pas du rap qu'il faut aller faire en banlieue, c'est Shakespeare.
Manuel Piolat Soleymat
"Épître aux jeunes acteurs"
Aux côtés de Samuel Churin, John Arnold incarne les multiples protagonistes de cette adresse aux apprentis comédiens et, plus généralement, au public. Commande du Conservatoire national supérieur d'Art dramatique de Paris, la pièce d'Olivier Py est constituée d'un entrelacs de paroles "ouvrant des chemins à l'entendement de l'écriture poétique".
"Épître aux jeunes acteurs est en fait un prétexte", explique John Arnold. "Il s'agit évidemment d'un travail sur les différentes possibilités de jeu de comédien, mais la pièce déborde de ce cadre-là pour devenir une réflexion très profonde sur le monde. Via le prisme du théâtre, c'est un texte qui fait le procès du rendement perpétuel et immédiat dans lequel on vit, qui projette un idéal d'atemporalité et d'élévation. Parce que, comme tout le monde, les comédiens sont pris dans le phénomène de zapping qui rend, aujourd'hui, toute forme de pensée suspecte."Familier de l'univers d'Olivier Py depuis de nombreuses années (il a été l'un des interprètes de L'Exaltation du labyrinthe, a fait partie de la distribution du Soulier de satin monté par le directeur du CDN d'Orléans...), le comédien, d'origine franco-américaine, a créé Épître aux jeunes acteurs à Edimbourg. De l'anglais au français, John Arnold s'est attaché à trouver un nouveau souffle pour donner voix aux paroles contradictoires qui s'opposent dans cette façon de conférence drôle et sévère. Paroles d'un poète et de personnages symboliques - le policier du désir, le rabat-joie, le responsable culturel... - aboutissant à "un combat pour dire le beau qui va bien au-delà de la seule notion de théâtre".
Manuel Piolat Soleymat
Paru le 22/05/2006
ÉPITRE AUX JEUNES ACTEURS THÉÂTRE DU ROND-POINT Du mercredi 26 avril au dimanche 28 mai 2006
COMÉDIE DRAMATIQUE. "L’appel impatient de la gloire pousse chaque année des milliers de jeunes gens sur le chemin difficile de l’art théâtral. Savent-ils ce qu’ils font, savent-ils ce qu’ils risquent, imaginent-ils les désillusions embusquées, les mirages délétères, le froid hivernal du doute qui tombe sur la vocatio...
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