Portrait par Marie-Céline Nivière
Robert Hirsch
Il est au théâtre de l'Œuvre dans "Le Gardien" de Pinter. Robert Hirsch est l'un de nos plus grands comédiens et sa présence sur une scène est toujours un événement. Rencontre avec, non pas une légende, mais un adorable Monsieur plein de vie et de malice.
Le rendez-vous a lieu au théâtre, une heure avant la répétition. Tout est calme. Des portes ouvertes de la salle, je découvre le magnifique décor, la table du metteur en scène. On sent l'effervescence des préparatifs. Robert Hirsch arrive. Il est joyeux, rayonnant. Il m'avouera plus tard qu'être sur scène lui procure un immense bonheur. "J'ai l'impression que je respire, la scène c'est ma schnouf à moi. Et ça ne part pas avec l'âge. Au contraire !"
Au lieu de me lancer sur les éternelles questions ayant trait à sa carrière, je lui propose de raconter "Mon Hirsch à moi". L'idée l'amuse. Il m'écoute, rebondissant sur un souvenir. Robert Hirsch dans les années 60-70 était une grande vedette. Car, à l'époque, les comédiens de théâtre et, surtout ceux de la Comédie-Française, étaient des stars. Enfant, je les connaissais grâce à la télévision qui leur faisait une place de choix. Certains dimanches en fin d'après-midi, elle diffusait des pièces du répertoire jouées par le Royal Shakespeare, la Comédie-Française... C'est ainsi que je vis Hirsch dans Tartuffe de Molière. "Vous vous rendez compte, il n'y a aucune trace des spectacles du Français de l'époque ! Rien n'a été tourné dans l'enceinte de la Maison. Nous sommes allés en studio avec les décors et les costumes. Les techniciens du Français ne voulaient pas travailler avec ceux de la télévision. Il y a le 'Dandin' qui a été filmé à l'Odéon et 'Le Fil à la patte' dans le cadre de 'Au théâtre ce soir'. C'est tout et c'est bien regrettable !"
La Comédie-Française
L'autre souvenir fut sa prestation inénarrable pour les adieux au Français de Louis Seigner en 1974. Imaginez que ce genre d'événement passait en prime time à la télévision. Impensable aujourd'hui. Robert Hirsch arrivait déguisé en vieille Agnès, accompagné par une jeune Agnès, qui n'était autre qu'Isabelle Adjani. Puis, telle une vieille sociétaire crachotante, à la mémoire défaillante, il déclama La Cigale et la Fourmi. C'était absolument hilarant. La Comédie-Française a été sa maison pendant vingt-cinq ans. "Les plus belles années de ma vie. Mes plus belles années de théâtre. J'ai tellement été gâté. On m'amenait tout sur un plateau." Au Français, un comédien a la possibilité de jouer toutes sortes d'emplois. De Scapin à Néron, en passant par Bouzin ou Raskolnikhov, Hirsch a montré la diversité de son talent et de son inventivité. "Il peut tout jouer", écrivait Jean-Jacques Gautier, critique théâtral à la plume très acérée. "Mais, il fallait que je parte, même si je savais que l'après ne serait pas facile. Je sentais que j'allais commencer à m'ennuyer. Je craignais de devenir un fonctionnaire du théâtre."
Le théâtre
Hirsch avoue avoir toujours eu en lui ce désir de faire du spectacle. "C'était une évidence, c'était ça que je voulais faire. J'adorais inventer des personnages, me déguiser." Toujours en 1945, il tente le Conservatoire et le manque. Il l'aura ensuite et en sortira avec un premier prix de comédie. Mais l'année de son échec, il est engagé pour jouer dans La Mégère apprivoisée de Shakespeare que montait Gaston Baty. "Nous courions les auditions. Je dois être le comédien qui a passé le plus d'auditions. Ce jour-là, un camarade m'appelle pour que je lui donne la réplique. Je l'avais un peu en travers de la gorge. Il ne m'avait pas prévenu avant et je n'avais pu m'y inscrire. Je lui donne quand même la réplique. On sort de scène et la voix de Marguerite Jamois retentit : 'Revenez.' Mon camarade revient. 'Non pas vous, l'autre.'". La grande comédienne qu'était Marguerite Jamois décela tout de suite le talent de Hirsch et, contre l'avis de Baty, lui donna le rôle du Père. "C'était drôle, j'avais 19 ans et j'allais jouer le père d'une femme de 45 ans !"
Le métier
Du passé, nous glissons sur le présent et sur ce qu'est devenu le théâtre. "Il y a tellement de choses maintenant, beaucoup trop. Vous prenez un couloir, y mettez trois chaises et hop c'est un théâtre ! Regardez Avignon ! Plus de 300 spectacles, ce n'est pas possible ! C'est quand même le seul métier où quelqu'un peut se lever le matin en se disant : 'Et si je devenais comédien.' Pas besoin d'école, d'apprendre, c'est un métier facile. Voilà ce qu'ils pensent !" Un danseur a la barre, un pianiste a ses gammes, que doit faire travailler un comédien ? "Il y a un muscle essentiel, la mémoire. Au Français, la mienne était très sollicitée. On jouait 'Les Fourberies de Scapin' en matinée et 'Crime et châtiment' en soirée. Moi, depuis 'Sarah' quatre ans sont passés et il faut donc que je refasse travailler ma tête !
La pièce
D'autant que le texte de Pinter n'est pas de tout repos. "Surtout que le vieux frise le gâtisme ! C'est un texte avec beaucoup de répétitions. C'est infernal à mémoriser. Il saute d'un truc à l'autre sans arrêt." Le vieux, c'est son personnage. Un homme sans âge, un peu louche, que ramène chez lui Aston. Avec son frère Mick, ils lui proposent de l'engager comme gardien. Ont-ils vraiment besoin d'un gardien ou se livrent-ils à un jeu de manipulation perverse ? "Ce sont des personnages pourris. Leurs rapports sont très sadiques. Ce vieux est pitoyable, c'est un mendiant, un râleur, une feignasse. Il va en prendre plein la gueule. À jouer, c'est d'une richesse !" On le croit sur parole tant il s'anime sur le sujet. "L'adaptation est de Philippe Djian. C'est un style d'écriture, tout en restant fidèle. Un texte comme ça, on en bave. Surtout que moi j'apprends au mot à mot, par respect pour l'auteur. Et ici, un autre mot et ça ne dit plus la même chose !" Il avoue avoir trouvé assez vite son personnage, assez proche de celui qu'il interprétait dans le film Hiver 54. "On m'a demandé si cela ne me gênait pas d'avoir une moustache. Moi oui, mais pas le personnage ! J'ai enfilé ses nippes et c'est venu tout seul." Il est 14 heures, le théâtre s'est animé. Passent pour aller dans leur loge enfiler leurs costumes, Cyrille Thouvenin, puis Samuel Labarthe. Hirsch ne tarit pas d'éloges sur eux, tout comme sur le metteur en scène, Didier Long. Il faut nous quitter. Robert Hirsch m'embrasse chaleureusement et part joyeusement se préparer.
Au lieu de me lancer sur les éternelles questions ayant trait à sa carrière, je lui propose de raconter "Mon Hirsch à moi". L'idée l'amuse. Il m'écoute, rebondissant sur un souvenir. Robert Hirsch dans les années 60-70 était une grande vedette. Car, à l'époque, les comédiens de théâtre et, surtout ceux de la Comédie-Française, étaient des stars. Enfant, je les connaissais grâce à la télévision qui leur faisait une place de choix. Certains dimanches en fin d'après-midi, elle diffusait des pièces du répertoire jouées par le Royal Shakespeare, la Comédie-Française... C'est ainsi que je vis Hirsch dans Tartuffe de Molière. "Vous vous rendez compte, il n'y a aucune trace des spectacles du Français de l'époque ! Rien n'a été tourné dans l'enceinte de la Maison. Nous sommes allés en studio avec les décors et les costumes. Les techniciens du Français ne voulaient pas travailler avec ceux de la télévision. Il y a le 'Dandin' qui a été filmé à l'Odéon et 'Le Fil à la patte' dans le cadre de 'Au théâtre ce soir'. C'est tout et c'est bien regrettable !"
La Comédie-Française
L'autre souvenir fut sa prestation inénarrable pour les adieux au Français de Louis Seigner en 1974. Imaginez que ce genre d'événement passait en prime time à la télévision. Impensable aujourd'hui. Robert Hirsch arrivait déguisé en vieille Agnès, accompagné par une jeune Agnès, qui n'était autre qu'Isabelle Adjani. Puis, telle une vieille sociétaire crachotante, à la mémoire défaillante, il déclama La Cigale et la Fourmi. C'était absolument hilarant. La Comédie-Française a été sa maison pendant vingt-cinq ans. "Les plus belles années de ma vie. Mes plus belles années de théâtre. J'ai tellement été gâté. On m'amenait tout sur un plateau." Au Français, un comédien a la possibilité de jouer toutes sortes d'emplois. De Scapin à Néron, en passant par Bouzin ou Raskolnikhov, Hirsch a montré la diversité de son talent et de son inventivité. "Il peut tout jouer", écrivait Jean-Jacques Gautier, critique théâtral à la plume très acérée. "Mais, il fallait que je parte, même si je savais que l'après ne serait pas facile. Je sentais que j'allais commencer à m'ennuyer. Je craignais de devenir un fonctionnaire du théâtre."
Le théâtre
Hirsch avoue avoir toujours eu en lui ce désir de faire du spectacle. "C'était une évidence, c'était ça que je voulais faire. J'adorais inventer des personnages, me déguiser." Toujours en 1945, il tente le Conservatoire et le manque. Il l'aura ensuite et en sortira avec un premier prix de comédie. Mais l'année de son échec, il est engagé pour jouer dans La Mégère apprivoisée de Shakespeare que montait Gaston Baty. "Nous courions les auditions. Je dois être le comédien qui a passé le plus d'auditions. Ce jour-là, un camarade m'appelle pour que je lui donne la réplique. Je l'avais un peu en travers de la gorge. Il ne m'avait pas prévenu avant et je n'avais pu m'y inscrire. Je lui donne quand même la réplique. On sort de scène et la voix de Marguerite Jamois retentit : 'Revenez.' Mon camarade revient. 'Non pas vous, l'autre.'". La grande comédienne qu'était Marguerite Jamois décela tout de suite le talent de Hirsch et, contre l'avis de Baty, lui donna le rôle du Père. "C'était drôle, j'avais 19 ans et j'allais jouer le père d'une femme de 45 ans !"
Le métier
Du passé, nous glissons sur le présent et sur ce qu'est devenu le théâtre. "Il y a tellement de choses maintenant, beaucoup trop. Vous prenez un couloir, y mettez trois chaises et hop c'est un théâtre ! Regardez Avignon ! Plus de 300 spectacles, ce n'est pas possible ! C'est quand même le seul métier où quelqu'un peut se lever le matin en se disant : 'Et si je devenais comédien.' Pas besoin d'école, d'apprendre, c'est un métier facile. Voilà ce qu'ils pensent !" Un danseur a la barre, un pianiste a ses gammes, que doit faire travailler un comédien ? "Il y a un muscle essentiel, la mémoire. Au Français, la mienne était très sollicitée. On jouait 'Les Fourberies de Scapin' en matinée et 'Crime et châtiment' en soirée. Moi, depuis 'Sarah' quatre ans sont passés et il faut donc que je refasse travailler ma tête !
La pièce
D'autant que le texte de Pinter n'est pas de tout repos. "Surtout que le vieux frise le gâtisme ! C'est un texte avec beaucoup de répétitions. C'est infernal à mémoriser. Il saute d'un truc à l'autre sans arrêt." Le vieux, c'est son personnage. Un homme sans âge, un peu louche, que ramène chez lui Aston. Avec son frère Mick, ils lui proposent de l'engager comme gardien. Ont-ils vraiment besoin d'un gardien ou se livrent-ils à un jeu de manipulation perverse ? "Ce sont des personnages pourris. Leurs rapports sont très sadiques. Ce vieux est pitoyable, c'est un mendiant, un râleur, une feignasse. Il va en prendre plein la gueule. À jouer, c'est d'une richesse !" On le croit sur parole tant il s'anime sur le sujet. "L'adaptation est de Philippe Djian. C'est un style d'écriture, tout en restant fidèle. Un texte comme ça, on en bave. Surtout que moi j'apprends au mot à mot, par respect pour l'auteur. Et ici, un autre mot et ça ne dit plus la même chose !" Il avoue avoir trouvé assez vite son personnage, assez proche de celui qu'il interprétait dans le film Hiver 54. "On m'a demandé si cela ne me gênait pas d'avoir une moustache. Moi oui, mais pas le personnage ! J'ai enfilé ses nippes et c'est venu tout seul." Il est 14 heures, le théâtre s'est animé. Passent pour aller dans leur loge enfiler leurs costumes, Cyrille Thouvenin, puis Samuel Labarthe. Hirsch ne tarit pas d'éloges sur eux, tout comme sur le metteur en scène, Didier Long. Il faut nous quitter. Robert Hirsch m'embrasse chaleureusement et part joyeusement se préparer.
Paru le 01/01/2007
(4 notes) THÉÂTRE DE L'ŒUVRE Du mardi 3 octobre au dimanche 31 décembre 2006
COMÉDIE DRAMATIQUE. Deux frères proposent tour à tour à un vieillard de l'engager comme gardien. Mais ont-ils vraiment besoin d'un gardien ou ne se livreraient-ils pas plutôt à un jeu de manipulation perverse?
|