Dossier par Bruno Perroud
“Parole et Guérison”
Samuel Le Bihan et Didier Long : le divan !
Avec Barbara Schulz, Bruno Abraham-Kremer, sous la direction de Didier Long, Samuel Le Bihan joue "Parole et Guérison" au théâtre Montparnasse. Une pièce sur l'expérimentation et la naissance de la psychanalyse à travers la destinée croisée de protagonistes historiques : Freud, Carl Jung et Sabina Spielrein, première patiente diagnostiquée comme hystérique et soignée par méthode révolutionnaire en 1905.
Samuel Le Bihan
Un pari artistique
Pourquoi avoir choisi de jouer cette pièce sur la psychanalyse ?
Ce n'est pas une pièce sur la psychanalyse, mais une pièce qui parle des hommes qui ont commencé à travailler sur cette thérapie. En état de recherche, ils se sont battus pour qu'elle soit reconnue comme une science. On apprend beaucoup de choses sur la psychanalyse à travers ces hommes qui vivent, qui doutent. Il y a ces liens d'admiration entre Jung et Freud, père de la psychanalyse, et qui deviendront des liens entre deux rivaux. Jung vivra une passion amoureuse pour une patiente qui deviendra une grande psychanalyste. C'est ce que l'on appelle le transfert, inévitable, et c'est de là que va naître le besoin de psychanalyser le psychanalyste.
Comment au théâtre susciter un intérêt avec de tels thèmes ?
On y parle d'hommes et c'est intemporel. Si on se contente de relater l'histoire au travers de faits datés et de manière didactique, cela donne un spectacle peu intéressant ; mais si on est au cœur des doutes de ces hommes et que l'on suit de près leur recherche, cela devient passionnant. Ils prennent position dans une société où tout cela paraissait scandaleux : on parlait de sexe chez les enfants, des rêves... Ils bousculaient les règles établies. C'était gonflé, on criait au scandale lors des conférences, les gens sortaient de la salle, les insultaient, les raillaient. On voit le doute entre une carrière pour Jung et sa passion pour sa maîtresse ; c'est finalement extrêmement moderne comme thème.
"L'intuition est la seule science exacte du théâtre"
Au-delà du thème, qu'est-ce qui vous a plu dans l'écriture de ce texte ?
J'aime être surpris et prendre des paris artistiques. J'avais envie de travailler avec Didier Long qui, en dirigeant les comédiens, apporte une vraie plus-value. Ce personnage de Jung est beaucoup plus cérébral que moi et, pour l'incarner, je suis vraiment obligé de travailler sur son intériorité. En général, j'aborde les personnages par le physique ; ici, ce qui prédomine c'est son intellect, ses recherches, son ambition. C'est une façon de prendre un risque sur un personnage que l'on n'a pas l'habitude de me proposer. Quand j'étais à la Comédie-Française, c'est le genre de personnages que l'on aurait pu m'offrir, extrêmement dense, qui incarnent des valeurs.
Didier Long
"Retrouver notre propre vérité"
Avez-vous vécu une expérience personnelle de psychanalyse ?
Non. Mais il n'est pas toujours nécessaire d'avoir éprouvé pour mettre en scène : au théâtre, tout ce qui est réel n'est pas forcément vrai. Au-delà de la réalité du quotidien, il faut s'attacher à trouver une vérité qui nous est propre dans les rapports et les intentions entre les personnages décrits par l'auteur et la personnalité des interprètes.
Le travail de l'acteur est-il de la même veine que celui des héros de la pièce ?
Jung, Freud, Sabina Spielrein définissent les contours de ce qui deviendra la psychanalyse et ses courants, ils s'interrogent, tâtonnent, expérimentent, se confrontent, mettent en commun leurs doutes et les pistes de réflexion. Ils construisent pas à pas, de manière empirique, une méthode d'application où rien n'est figé, notamment pour Jung. Chacun des protagonistes se positionne à travers l'écoute des autres dans son propre cheminement de pensée. Il y a en cela un parallèle possible avec le travail conjoint du comédien et du metteur en scène dans l'élaboration d'une aventure théâtrale (si on y ajoute l'aspect ludique). La direction d'acteurs ne repose pas sur une "recette" établie, commune à tous les projets. Elle est mouvante, intuitive, sur l'instant, en complémentarité du travail de préparation préalable. Les répétitions sont un laboratoire fait de partages, de convictions, de parti pris et d'ouverture sur l'inconnu. À chaque fois, on apprend un peu plus sur soi et sur les autres.
Comment vos interprètes répondent-ils à ce projet ?
De manière passionnée. Ils se documentent, plongent dans les écrits et la vie de leur personnage, la genèse de la psychanalyse. Nous construisons les rapports du transfert amoureux entre Jung et Sabina Spielrein, du transfert père-fils et le désir de transmission de Freud avec Jung, et la manière dont chacun finira par s'en libérer. Tout cela est très ludique. La force de la pièce est qu'elle ne se présente pas comme une reconstitution historique. Elle entrecroise de simples rapports humains (amour, jalousie, ambition, doutes, fierté, provocations...) qui influent de manière significative sur la naissance d'un mouvement reconnu aujourd'hui comme une thérapie à part entière. Sans cette histoire d'amour entre Jung et Sabina, à la fois sa maîtresse et sa patiente, la rencontre entre Freud et Jung aurait sans doute été tout autre. Et si Emma Jung n'avait pas choisi de fermer les yeux sur les frasques de son mari ? Et si Jung ne s'était pas intéressé à l'ésotérisme et à la religion ? Nous assistons en direct à la destinée de la psychanalyse en rapport immédiat avec la destinée et les choix des protagonistes.
La question du transfert est au centre du propos de la pièce...
Avec l'arrivée du premier cas d'hystérie traitée par la psychanalyse, la question du transfert se pose. Revendiqué comme inévitable par Freud, quand la libido de la patiente se fixe sur l'analyste, c'est un pas vers la guérison : "La guérison par l'amour." Ce qui est beaucoup plus problématique, c'est lorsque le contre-transfert existe ; l'analyste succombe aux charmes de sa patiente. La manière de résoudre le problème est l'un des éléments qui va opposer Jung et son mentor.
Un pari artistique
Pourquoi avoir choisi de jouer cette pièce sur la psychanalyse ?
Ce n'est pas une pièce sur la psychanalyse, mais une pièce qui parle des hommes qui ont commencé à travailler sur cette thérapie. En état de recherche, ils se sont battus pour qu'elle soit reconnue comme une science. On apprend beaucoup de choses sur la psychanalyse à travers ces hommes qui vivent, qui doutent. Il y a ces liens d'admiration entre Jung et Freud, père de la psychanalyse, et qui deviendront des liens entre deux rivaux. Jung vivra une passion amoureuse pour une patiente qui deviendra une grande psychanalyste. C'est ce que l'on appelle le transfert, inévitable, et c'est de là que va naître le besoin de psychanalyser le psychanalyste.
Comment au théâtre susciter un intérêt avec de tels thèmes ?
On y parle d'hommes et c'est intemporel. Si on se contente de relater l'histoire au travers de faits datés et de manière didactique, cela donne un spectacle peu intéressant ; mais si on est au cœur des doutes de ces hommes et que l'on suit de près leur recherche, cela devient passionnant. Ils prennent position dans une société où tout cela paraissait scandaleux : on parlait de sexe chez les enfants, des rêves... Ils bousculaient les règles établies. C'était gonflé, on criait au scandale lors des conférences, les gens sortaient de la salle, les insultaient, les raillaient. On voit le doute entre une carrière pour Jung et sa passion pour sa maîtresse ; c'est finalement extrêmement moderne comme thème.
"L'intuition est la seule science exacte du théâtre"
Au-delà du thème, qu'est-ce qui vous a plu dans l'écriture de ce texte ?
J'aime être surpris et prendre des paris artistiques. J'avais envie de travailler avec Didier Long qui, en dirigeant les comédiens, apporte une vraie plus-value. Ce personnage de Jung est beaucoup plus cérébral que moi et, pour l'incarner, je suis vraiment obligé de travailler sur son intériorité. En général, j'aborde les personnages par le physique ; ici, ce qui prédomine c'est son intellect, ses recherches, son ambition. C'est une façon de prendre un risque sur un personnage que l'on n'a pas l'habitude de me proposer. Quand j'étais à la Comédie-Française, c'est le genre de personnages que l'on aurait pu m'offrir, extrêmement dense, qui incarnent des valeurs.
Didier Long
"Retrouver notre propre vérité"
Avez-vous vécu une expérience personnelle de psychanalyse ?
Non. Mais il n'est pas toujours nécessaire d'avoir éprouvé pour mettre en scène : au théâtre, tout ce qui est réel n'est pas forcément vrai. Au-delà de la réalité du quotidien, il faut s'attacher à trouver une vérité qui nous est propre dans les rapports et les intentions entre les personnages décrits par l'auteur et la personnalité des interprètes.
Le travail de l'acteur est-il de la même veine que celui des héros de la pièce ?
Jung, Freud, Sabina Spielrein définissent les contours de ce qui deviendra la psychanalyse et ses courants, ils s'interrogent, tâtonnent, expérimentent, se confrontent, mettent en commun leurs doutes et les pistes de réflexion. Ils construisent pas à pas, de manière empirique, une méthode d'application où rien n'est figé, notamment pour Jung. Chacun des protagonistes se positionne à travers l'écoute des autres dans son propre cheminement de pensée. Il y a en cela un parallèle possible avec le travail conjoint du comédien et du metteur en scène dans l'élaboration d'une aventure théâtrale (si on y ajoute l'aspect ludique). La direction d'acteurs ne repose pas sur une "recette" établie, commune à tous les projets. Elle est mouvante, intuitive, sur l'instant, en complémentarité du travail de préparation préalable. Les répétitions sont un laboratoire fait de partages, de convictions, de parti pris et d'ouverture sur l'inconnu. À chaque fois, on apprend un peu plus sur soi et sur les autres.
Comment vos interprètes répondent-ils à ce projet ?
De manière passionnée. Ils se documentent, plongent dans les écrits et la vie de leur personnage, la genèse de la psychanalyse. Nous construisons les rapports du transfert amoureux entre Jung et Sabina Spielrein, du transfert père-fils et le désir de transmission de Freud avec Jung, et la manière dont chacun finira par s'en libérer. Tout cela est très ludique. La force de la pièce est qu'elle ne se présente pas comme une reconstitution historique. Elle entrecroise de simples rapports humains (amour, jalousie, ambition, doutes, fierté, provocations...) qui influent de manière significative sur la naissance d'un mouvement reconnu aujourd'hui comme une thérapie à part entière. Sans cette histoire d'amour entre Jung et Sabina, à la fois sa maîtresse et sa patiente, la rencontre entre Freud et Jung aurait sans doute été tout autre. Et si Emma Jung n'avait pas choisi de fermer les yeux sur les frasques de son mari ? Et si Jung ne s'était pas intéressé à l'ésotérisme et à la religion ? Nous assistons en direct à la destinée de la psychanalyse en rapport immédiat avec la destinée et les choix des protagonistes.
La question du transfert est au centre du propos de la pièce...
Avec l'arrivée du premier cas d'hystérie traitée par la psychanalyse, la question du transfert se pose. Revendiqué comme inévitable par Freud, quand la libido de la patiente se fixe sur l'analyste, c'est un pas vers la guérison : "La guérison par l'amour." Ce qui est beaucoup plus problématique, c'est lorsque le contre-transfert existe ; l'analyste succombe aux charmes de sa patiente. La manière de résoudre le problème est l'un des éléments qui va opposer Jung et son mentor.
Paru le 10/09/2009
(73 notes) THÉÂTRE MONTPARNASSE Du mercredi 2 septembre 2009 au samedi 2 janvier 2010
COMÉDIE DRAMATIQUE. En 1905, Sabina Spielrein devient, à la fois, la patiente et la maîtresse du docteur Jung qui expérimente, avec elle, une toute nouvelle méthode thérapeutique révolutionnaire, inventée par Freud: la Psychanalyse. D'abord dans un rapport de filiation intellectuelle, Jung se détache peu à peu de son...
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