Interview par Alain Bugnard
Alain Françon
"Oncle Vania" aux Amandiers
Avec "Oncle Vania" - illustrant l'imminence de la fin d'une civilisation à travers le séjour d'été du professeur Sérébriakov et de sa jeune épouse dans la maison d'enfance de son beau-frère Vania -, Alain Françon arrive au terme de son cycle tchékhovien.
Pour quelles raisons Tchekhov fait-il partie de vos auteurs de prédilection ?
Son rapport au drame me passionne. À la même époque, Ibsen obéit toujours à la structure classique : ses personnages sont sur la crête de l'essentiel et toutes les répliques aboutissent à la situation finale où il y a jugement. Tchekhov, au lieu d'aller vers le centre pour dévoiler quelque chose, va toujours à la périphérie. Ses pièces, ses personnages n'ont pas de centre ; il n'y a pas de hiérarchie dans les thèmes : la chose insignifiante peut côtoyer la chose la plus importante. Il y a une intrigue centrale plus ou moins symbolique - comme la vente de la maison dans La Cerisaie - et, à côté, toutes les préoccupations des personnages se superposent. Le quotidien entre dans la dramaturgie. Au bout du compte, Tchekhov ne fait qu'un constat du monde, au scalpel, le montrant tel qu'il est, sans jugement.
Un monde en passe de disparaître où la question de la lutte des classes apparaît en filigrane...
Tchekhov avait parfaitement conscience que la société dans laquelle il vivait allait disparaître. Mais il ne livra jamais son sentiment sur cette question. Bien malin qui pourrait dire s'il portait quelques espérances dans les révolutions à venir ! Il est de même impossible de savoir qui sont réellement ses personnages, car c'est un auteur a-psychologique. Ses pièces avancent par motifs, comme celui du travail, en effet : tous les personnages expriment ce qu'est pour eux travailler en ce monde. Et ces motifs circulent à l'intérieur des pièces, mais aussi d'une pièce à l'autre. (Cette continuité est pour moi passionnante : après Ivanov, Platonov, Le Chant du cygne, La Cerisaie et Les Trois Sœurs, c'est comme si je bouclais un cycle.) Oncle Vania est un monde à l'arrêt. Le retour du professeur et sa femme dans leur domaine a interrompu toute activité agricole et forestière. Ils sont dans le fare niente, ne font que boire du thé et discuter. C'est toute la question du travail qui est observée ici, du faire au ne rien faire. Ceux qui portent le savoir doivent partir pour que les activités artisanales du domaine reprennent.
Dans quel univers invitez-vous le spectateur ?
Les costumes sont légèrement déplacés dans l'époque, en 1918. Le problème avec Tchekhov est de trouver la ligne qui serait une sortie du naturalisme, sans tomber dans aucune forme définie. Ses pièces, contrairement à ce que l'on croit, sont de pures abstractions. Elles se déroulent la plupart du temps dans des demeures labyrinthiques où l'on se perd souvent. J'essaie de travailler sur ces signes-là plutôt que de naturaliser un lieu unique.
Son rapport au drame me passionne. À la même époque, Ibsen obéit toujours à la structure classique : ses personnages sont sur la crête de l'essentiel et toutes les répliques aboutissent à la situation finale où il y a jugement. Tchekhov, au lieu d'aller vers le centre pour dévoiler quelque chose, va toujours à la périphérie. Ses pièces, ses personnages n'ont pas de centre ; il n'y a pas de hiérarchie dans les thèmes : la chose insignifiante peut côtoyer la chose la plus importante. Il y a une intrigue centrale plus ou moins symbolique - comme la vente de la maison dans La Cerisaie - et, à côté, toutes les préoccupations des personnages se superposent. Le quotidien entre dans la dramaturgie. Au bout du compte, Tchekhov ne fait qu'un constat du monde, au scalpel, le montrant tel qu'il est, sans jugement.
Un monde en passe de disparaître où la question de la lutte des classes apparaît en filigrane...
Tchekhov avait parfaitement conscience que la société dans laquelle il vivait allait disparaître. Mais il ne livra jamais son sentiment sur cette question. Bien malin qui pourrait dire s'il portait quelques espérances dans les révolutions à venir ! Il est de même impossible de savoir qui sont réellement ses personnages, car c'est un auteur a-psychologique. Ses pièces avancent par motifs, comme celui du travail, en effet : tous les personnages expriment ce qu'est pour eux travailler en ce monde. Et ces motifs circulent à l'intérieur des pièces, mais aussi d'une pièce à l'autre. (Cette continuité est pour moi passionnante : après Ivanov, Platonov, Le Chant du cygne, La Cerisaie et Les Trois Sœurs, c'est comme si je bouclais un cycle.) Oncle Vania est un monde à l'arrêt. Le retour du professeur et sa femme dans leur domaine a interrompu toute activité agricole et forestière. Ils sont dans le fare niente, ne font que boire du thé et discuter. C'est toute la question du travail qui est observée ici, du faire au ne rien faire. Ceux qui portent le savoir doivent partir pour que les activités artisanales du domaine reprennent.
Dans quel univers invitez-vous le spectateur ?
Les costumes sont légèrement déplacés dans l'époque, en 1918. Le problème avec Tchekhov est de trouver la ligne qui serait une sortie du naturalisme, sans tomber dans aucune forme définie. Ses pièces, contrairement à ce que l'on croit, sont de pures abstractions. Elles se déroulent la plupart du temps dans des demeures labyrinthiques où l'on se perd souvent. J'essaie de travailler sur ces signes-là plutôt que de naturaliser un lieu unique.
Paru le 27/03/2012
(8 notes) THÉÂTRE NANTERRE-AMANDIERS Du vendredi 9 mars au samedi 14 avril 2012
COMÉDIE DRAMATIQUE. On pourrait résumer la pièce en ces termes : «Il sera bientôt trop tard.» Trop tard pour Vania, en mal de reconnaissance, trop tard pour l’amour de la jeune Sonia et pour l’humaniste Astrov, peu à peu gagné par le cynisme. Mais trop tard aussi pour les forêts que les hommes abattent avec inconscie...
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