Dossier par Alain Bugnard
Le Personnage désincarné
Arnaud Denis & Marcel Philippot
En pleine représentation, un personnage se révolte contre son auteur, refusant le destin qu'il lui impose. Dès lors, une joute verbale à mort s'instaure entre la créature et son démiurge. Rencontres avec Arnaud Denis, l'auteur de ce thriller psychologique, et Marcel Philippot, son auteur incarné.
Arnaud Denis
auteur et metteur en scène
« Je voulais élaborer une histoire traitant des mystères du théâtre et de ses dangers, le théâtre étant un acte essentiel pour raconter la condition humaine. Ici, un personnage se révolte contre son auteur, ce qui est une référence à "Frankenstein" puisqu'il sort de sa condition fictive et devient une manière plus dangereuse de raconter le monde, les frontières entre réalité et fiction étant brouillées. Cette écriture est née d'une observation : dans ma formation, j'ai vu beaucoup de professeurs de théâtre tuer leurs élèves, les faire pleurer tout en ayant conscience du pouvoir qu'ils avaient sur eux. J'espère que mon propos atteint une forme d'universalité car il ne concerne pas que les gens de théâtre. La pièce parle du libre-arbitre. Jusqu'à quel point est-on maître de son destin ? Mon personnage plaide pour sa survie auprès de son créateur qui n'a de cesse de le pousser vers le destin qu'il lui a tracé, en usant d'un subtil mélange de violence et d'amour, car mener son histoire à terme lui est plus important que de faire survivre son personnage. Quel sera le vainqueur de ce jeu pervers ?
La pièce est construite comme un piège diabolique qui se referme sur eux. L'auteur est victime de son histoire, de ses complexes, et le personnage victime de son auteur. De là découlent plusieurs questions. Celle de la soumission et de l'insoumission : deux mannequins représentant le père et la mère du personnage sont présents sur scène et acceptent sans broncher le destin décidé pour eux. Celle de la fatalité génétique puisque l'on développe des gènes favorables à la dépression, l'alcoolisme, la générosité... Celle de la survie, qui dès qu'elle est menacée induit un piétinement de l'autre. Et bien sûr celle de la mort : un personnage meurt-il vraiment ? Comment est-on conduit vers la mort et comment vit-on cette certitude de mourir ? Dans quelle mesure, la vie n'est-elle pas qu'un rêve dont on sortirait par la mort ? C'est une pièce dure, dérangeante, je l'assume, et je remercie le Théâtre de la Huchette d'avoir pris le risque de la programmer. »
Marcel Philippot
joue l'auteur
« Je sais gré à Arnaud de m'avoir offert ce rôle, car c'est la première fois que l'on me propose d'aller chercher en moi des émotions aussi profondes - qu'un Guitry, un Ribes ou un Feydeau ne me demandaient pas d'exploiter ! Il m'a permis de relever ce défi dans un pays où l'on range les acteurs - comme tout un chacun - dans des tiroirs naphtalisés ! Je me suis efforcé d'être un instrument entre ses mains afin d'être le plus fidèle possible à l'idée que je me faisais de son auteur. C'est un sociopathe extrêmement pervers, dominateur, et mauvais dramaturge ! Son personnage lui dit qu'il n'a pas de talent, ce qui est un grand coup de pied dans ses certitudes. Sa riposte est d'autant plus perverse qu'il s'agit de sa créature. Mon jeune partenaire, Audran Cattin, m'offre des échanges extraordinaires. Il est d'une spontanéité, d'une fraîcheur et d'une modernité exceptionnelles. Cet acteur de 21 ans va faire une carrière stupéfiante !
Jouer la comédie, c'est d'abord écouter, et quand je vois ce qui se passe dans son regard, je me nourris de ses émotions pour lui répondre ! Dans cette affaire, apparaît un troisième personnage, le régisseur, joué par Grégoire Bourbier, qui assiste à ce duel sadomasochiste. Spectateur de l'affrontement, il décide de prendre parti et d'agir. La pièce dresse le constat que dans tout rapport humain, il y a un dominant et un dominé, et que la violence n'exclut pas la douceur et l'affection. Ce qui est l'essence même, tragique, de la condition humaine, qui ramène à l'idée psychanalytique très forte qu'il faut tuer le père. L'espoir d'une liberté individuelle passe nécessairement par un assassinat, symbolique ou non. Le monde n'est pas amour. On ne peut faire croire aux enfants que la vie n'est pas un combat - souvent contre ses propres démons. Nous ne sommes pas de purs esprits, il y a de l'animalité en nous. La spiritualité n'est pas donnée à tout le monde et il faut compter avec les matérialistes qui se satisfont pleinement de la consommation des biens et des êtres ! »
auteur et metteur en scène
« Je voulais élaborer une histoire traitant des mystères du théâtre et de ses dangers, le théâtre étant un acte essentiel pour raconter la condition humaine. Ici, un personnage se révolte contre son auteur, ce qui est une référence à "Frankenstein" puisqu'il sort de sa condition fictive et devient une manière plus dangereuse de raconter le monde, les frontières entre réalité et fiction étant brouillées. Cette écriture est née d'une observation : dans ma formation, j'ai vu beaucoup de professeurs de théâtre tuer leurs élèves, les faire pleurer tout en ayant conscience du pouvoir qu'ils avaient sur eux. J'espère que mon propos atteint une forme d'universalité car il ne concerne pas que les gens de théâtre. La pièce parle du libre-arbitre. Jusqu'à quel point est-on maître de son destin ? Mon personnage plaide pour sa survie auprès de son créateur qui n'a de cesse de le pousser vers le destin qu'il lui a tracé, en usant d'un subtil mélange de violence et d'amour, car mener son histoire à terme lui est plus important que de faire survivre son personnage. Quel sera le vainqueur de ce jeu pervers ?
La pièce est construite comme un piège diabolique qui se referme sur eux. L'auteur est victime de son histoire, de ses complexes, et le personnage victime de son auteur. De là découlent plusieurs questions. Celle de la soumission et de l'insoumission : deux mannequins représentant le père et la mère du personnage sont présents sur scène et acceptent sans broncher le destin décidé pour eux. Celle de la fatalité génétique puisque l'on développe des gènes favorables à la dépression, l'alcoolisme, la générosité... Celle de la survie, qui dès qu'elle est menacée induit un piétinement de l'autre. Et bien sûr celle de la mort : un personnage meurt-il vraiment ? Comment est-on conduit vers la mort et comment vit-on cette certitude de mourir ? Dans quelle mesure, la vie n'est-elle pas qu'un rêve dont on sortirait par la mort ? C'est une pièce dure, dérangeante, je l'assume, et je remercie le Théâtre de la Huchette d'avoir pris le risque de la programmer. »
Marcel Philippot
joue l'auteur
« Je sais gré à Arnaud de m'avoir offert ce rôle, car c'est la première fois que l'on me propose d'aller chercher en moi des émotions aussi profondes - qu'un Guitry, un Ribes ou un Feydeau ne me demandaient pas d'exploiter ! Il m'a permis de relever ce défi dans un pays où l'on range les acteurs - comme tout un chacun - dans des tiroirs naphtalisés ! Je me suis efforcé d'être un instrument entre ses mains afin d'être le plus fidèle possible à l'idée que je me faisais de son auteur. C'est un sociopathe extrêmement pervers, dominateur, et mauvais dramaturge ! Son personnage lui dit qu'il n'a pas de talent, ce qui est un grand coup de pied dans ses certitudes. Sa riposte est d'autant plus perverse qu'il s'agit de sa créature. Mon jeune partenaire, Audran Cattin, m'offre des échanges extraordinaires. Il est d'une spontanéité, d'une fraîcheur et d'une modernité exceptionnelles. Cet acteur de 21 ans va faire une carrière stupéfiante !
Jouer la comédie, c'est d'abord écouter, et quand je vois ce qui se passe dans son regard, je me nourris de ses émotions pour lui répondre ! Dans cette affaire, apparaît un troisième personnage, le régisseur, joué par Grégoire Bourbier, qui assiste à ce duel sadomasochiste. Spectateur de l'affrontement, il décide de prendre parti et d'agir. La pièce dresse le constat que dans tout rapport humain, il y a un dominant et un dominé, et que la violence n'exclut pas la douceur et l'affection. Ce qui est l'essence même, tragique, de la condition humaine, qui ramène à l'idée psychanalytique très forte qu'il faut tuer le père. L'espoir d'une liberté individuelle passe nécessairement par un assassinat, symbolique ou non. Le monde n'est pas amour. On ne peut faire croire aux enfants que la vie n'est pas un combat - souvent contre ses propres démons. Nous ne sommes pas de purs esprits, il y a de l'animalité en nous. La spiritualité n'est pas donnée à tout le monde et il faut compter avec les matérialistes qui se satisfont pleinement de la consommation des biens et des êtres ! »
Paru le 17/11/2016
(25 notes) THÉÂTRE DE LA HUCHETTE Du mardi 27 septembre au samedi 17 décembre 2016
COMÉDIE DRAMATIQUE. Thriller théâtral. En pleine représentation, un personnage se révolte contre son auteur. Il refuse le destin qui lui a été tracé. S'engage alors un rapport de force entre l'écrivain et sa créature.
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