Dossier par Manuel Piolat Soleymat
Une pièce espagnole
Du théâtre dans le théâtre…, dans le théâtre !
Lorsqu'une star du théâtre subventionné rencontre une star du théâtre privé, de quoi parlent-elles ? D'histoires de théâtre ! Le metteur en scène Luc Bondy et la dramaturge Yasmina Reza avaient déjà conjugué leurs talents lors de la création, à Vienne, de "Trois versions de la vie", en 2001. Leurs retrouvailles ont donné naissance à "Une pièce espagnole", œuvre gigogne interprétée, au Théâtre de la Madeleine, par un quintette de comédiens hors pair. L'occasion pour nous de rencontrer trois d'entre eux - Bulle Ogier, Dominique Reymond, Thierry Fortineau -,et de leur poser quelques questions sur... le théâtre.
L'affiche de l'année
Certains spectacles sont plus attendus que d'autres. Ainsi, dès l'annonce de la nouvelle, le monde théâtral piaffait d'impatience. Il faut dire que l'affiche avait de quoi faire rêver plus d'un directeur de salle, et plus d'un spectateur. Luc Bondy créant une pièce de Yasmina Reza avec, pour servir ces deux illustres noms, une distribution de rêve.
À l'origine du projet : Luc Bondy lui-même, qui a demandé à l'auteur de Art si elle voulait bien lui écrire une pièce. Yasmina Reza accepte la commande, saute sur son stylo et, en trois mois, crée une œuvre en trompe l'œil, construite sur le principe des poupées russes. Voici donc ce qui est présenté aux spectateurs : de vrais comédiens français jouant le rôle de faux comédiens français, eux-mêmes interprétant les membres d'une famille espagnole dont les deux filles sont également comédiennes, l'une d'entre elles répétant une pièce bulgare. On se pincerait presque pour être sûr de ne pas faire partie d'une autre pièce... disons anglaise, dont les comédiens anglais joueraient des comédiens français qui, etc., etc.
Mais non, l'œuvre de Yasmina Reza est bien réelle. Elle commence par un aparté du comédien jouant Fernan. "Les acteurs sont des lâches", lance-t-il avant de poursuivre : "Les acteurs n'ont pas de courage. Moi le premier. Les qualités humaines habituelles dans le monde normal sont contraires au bien de l'acteur." À tour de rôle, venant interrompre
l'action de la comédie familiale, les "personnages-comédiens" s'avancent sur le devant de la scène et disent leur vérité sur le théâtre, la condition d'acteur...
Une fois chaque monologue achevé, la comédie espagnole reprend ses droits. Conçue comme un huis clos familial, cette pièce imaginaire est une sorte de Boulevard à la sauce ibérique. Au sein d'un salon tout en rouge et noir - Espagne oblige -, une mère présente son nouveau fiancé à ses deux filles et à son gendre. Évidemment, des querelles ne tardent pas à troubler la réunion.
Une pièce espagnole n'est pas, comme l'était Art, un bijou d'horlogerie réglé au millimètre. Il s'agit, de par sa construction, d'une pièce bien plus déconcertante, mais aussi sans doute plus personnelle. Partant du rire, ce texte mène le spectateur vers des thèmes récurrents dans l'œuvre de l'auteur : solitude, difficulté des relations familiales et amoureuses... Mais il le fait sans pesanteur, de façon presque anodine, laissant flotter sur la drôlerie des personnages les fins nuages d'un temps qui passe, d'une nostalgie, d'un essoufflement. Jouant leur partition avec une grande habileté, les cinq comédiens se révèlent remarquables et confirment leur prestigieuse réputation.
Dans le rôle de...
* La comédienne jouant Aurelia (fille de Pilar, comédienne de théâtre intello et confidentiel, aspirant secrètement à plus de reconnaissance) : Dominique Reymond.
* Le comédien jouant Fernan (fiancé de Pilar, veuf, gérant d'immeuble, homme "bon et ennuyeux") : Thierry Fortineau.
* Le comédien jouant Mariano (mari d'Aurelia, professeur de mathématique, homme "mou et alcoolique") : André Marcon.
* La comédienne jouant Nuria (fille de Pilar, star de cinéma ayant toujours rêvé de jouer Sonia dans Oncle Vania) : Marianne Denicourt.
* La comédienne jouant Pilar (ancienne réceptionniste d'un salon de coiffure, femme sexagénaire qui croit encore à l'amour) : Bulle Ogier.
Leurs parcours...
Bulle Ogier
C'est grâce à l'amour que Bulle Ogier est devenue comédienne. Partageant la vie de l'auteur et metteur en scène Marc'O, elle vainc sa timidité et accepte de participer à ses cours de théâtre. Le jour de sa première représentation publique, la chrysalide se transforme en papillon. "Quelque chose s'est passé. J'ai joué ! Un peu comme dans une arène où l'on fait face au taureau." Des critiques sont là et leur verdict est sans appel : Bulle Ogier capte tous les regards, c'est elle que l'on voit. À 22 ans, son destin est en marche.
Tant au théâtre qu'au cinéma, l'actrice a toujours privilégié les œuvres exigeantes. La liste des artistes avec lesquels elle a travaillé est, de ce point de vue, impressionnante : Tanner, Rivette, Schröder, Buñuel, Regy, Planchon... Et puis évidemment, Duras, dont elle a été l'amie et l'une des comédiennes fétiches. "On s'amusait beaucoup ensemble, on se parlait de nos histoires d'amour. C'était très important, pour elle, l'amour..."
Dominique Reymond
Son grand-père ayant été président de la Comédie de Genève, c'est très naturellement que ses parents l'inscrivent dans un cours de théâtre à l'âge de 9 ans. Très vite, son professeur, la comédienne suisse Germaine Tournier, lui transmet l'amour des grands textes. Mais durant toute son adolescence, Dominique Reymond n'envisage la comédie que comme un hobby. Car elle a une autre passion : la peinture. Pourtant, en 1979, titulaire d'une bourse d'études, elle quitte la Suisse pour Paris où elle prend part aux cours de Pierre Valle à L'Atelier. C'est alors que le théâtre l'emporte définitivement sur la peinture. Admise au Conservatoire, elle y rencontre Vitez qu'elle suit à Chaillot et avec qui elle fait ses premiers pas dans le théâtre subventionné. "C'était un véritable visionnaire. Il voyait le rôle qui correspondait parfaitement à chaque acteur et que lui-même était à mille lieues d'imaginer."
Au cinéma, sa performance dans Y aura-t-il de la neige à Noël de Sandrine Vesset lui vaut le prix d'interprétation du Festival de Paris en 1996.
Thierry Fortineau
Il a toujours eu le goût de la transformation, de la comédie. Chose qu'il déclare devoir à son père, "qui faisait tout le temps du théâtre dans la vie, même si ce n'était pas son métier : c'est lui qui m'a donné le sens du jeu". Confirmant sa vocation au Conservatoire de Nantes, Thierry Fortineau s'installe ensuite à Paris où il fréquente le cours de la rue Blanche, avant de débuter sa vie professionnelle aux côtés de Stuart Seide, puis de Marcel Maréchal. Consacré en 1988 par le Molière de la révélation théâtrale pour son interprétation du Journal d'un curé de campagne, il participe quelques années plus tard à la création du Visiteur d'Eric-Emmanuel Schmitt, de Oh ! Pardon tu dormais de Jane Birkin et participe à la tournée de Trois versions de la vie de Yasmina Reza. En 2002, seul sur scène, il triomphe dans Gros-Câlin de Romain Gary (ndlr, dont un double CD vient d'être édité1), prestation pour laquelle il est récompensé du Molière 2003 du meilleur comédien.
(1) Éditions Gallimard, collection "À haute voix".
Ils nous ont dit...
Chaque "personnage-comédien" témoigne
de sa vision du métier d'acteur. Nos trois interviewés confient, tour à tour, le regard qu'ils portent sur leur profession...
Bulle Ogier : "Les comédiens sont des instruments choisis par un metteur en scène pour interpréter une partition écrite par un auteur. On est comme des violons jouant au sein d'un orchestre de chambre. On se laisse traverser par le texte, par les personnages. Mais les comédiens ne sont pas que de simples interprètes. Sur scène, à travers leur personnalité, leur propre imagination, ils rendent quelque chose qui est de l'ordre de la création."
Thierry Fortineau : "Pour moi, ce métier est centré sur la transmission. Car être comédien, c'est avant tout communiquer. Quand on joue une pièce, on essaie de rentrer au plus profond de son personnage, d'être en osmose avec lui pour pouvoir transmettre des émotions. On est une sorte de médium entre l'œuvre et le public. Car le théâtre doit déconnecter les gens de leur réalité. Il faut, le temps d'une représentation, parvenir à placer le public dans un ailleurs."
Dominique Reymond : "Pour moi, exercer cette profession, c'est tendre vers un but inatteignable, penser qu'on n'y arrivera jamais, et puis, un jour, avoir finalement l'impression de toucher à quelque chose, de laisser une trace... C'est une activité vraiment à part ! Avec des moments d'anxiété insupportables qui peuvent se transformer instantanément en plaisir. Parfois, avant une première par exemple, on se demande pourquoi on continue, on se dit qu'on est complètement maso ! Car personne ne nous oblige à faire ce métier-là, au fond !"
Le personnage de la comédienne interprétant Nuria déclare : "Je n'aime pas les interviews. J'en donnais des milliers, autrefois, devant personne, quand je rêvais d'être quelqu'un. Je n'aime plus les vraies." Et eux, aiment-ils ça ?
Dominique Reymond : "Ayant longtemps été une actrice "anonyme" du subventionné, je n'ai pas trop l'habitude d'être interviewée. Je ne peux donc pas dire que je sois lassée par cet exercice ! Mais je suis souvent surprise lorsque je me relis car dans les interviews, on a toujours l'air de décréter des tas de choses, alors qu'au fond, moi, je ne suis qu'une montagne de doutes."
Bulle Ogier : "Je ne suis pas très douée pour les interviews ! J'ai un peu de mal à parler de moi-même, et lorsque je dis quelque chose, je pense tout de suite que j'aurais dû le dire autrement ! Je suis vraiment loin d'être forte en rhétorique..."
Thierry Fortineau : "Je trouve ça plutôt intéressant. Ça ne me dérange pas du tout de répondre à des questions. C'est même l'occasion d'échanger des points de vue avec les journalistes. Ce genre de rencontres se révèle généralement assez positif."
Bien sûr, il y a le trac, l'attente des propositions,
le couperet des critiques. Mais aussi le plaisir
du jeu, la lumière, les applaudissements... Finalement, leur métier les rend-ils heureux ?
Thierry Fortineau : "Oui, car en étant comédien, je peux partager ce qui m'habite. Je suis quelqu'un qui ressent beaucoup d'émotions, qui est chargé d'une tonne de sensations. J'ai vraiment un besoin vital de communiquer tout ça, de partager cette faculté d'éprouver des choses."
Dominique Reymond : "C'est vrai qu'on est souvent partagés entre des moments de profond abattement et de grande exaltation. Et puis, il y a des rôles qui laissent tout de même des cicatrices. Il faut parfois gratter les croûtes après avoir interprété certains personnages. Mais si je regarde derrière moi, j'ai l'impression d'avoir eu une chance inouïe.
J'aurais donc tort d'être malheureuse ! J'ai joué des rôles que j'ai adorés, travaillé avec des gens extraordinaires comme Vitez, Gruber, Lassalle, Sobel, Bondy... Et, rencontrer de tels artistes, c'est déjà un bonheur en soi."
Bulle Ogier : "Je crois que oui, être comédienne me rend pleinement heureuse. Peut-être parce qu'il s'agit d'une activité qui n'est pas répétitive, que l'on n'exerce pas tous les jours de l'année. Et puis aussi, il s'agit d'un travail de groupe, mais de petit groupe, et ça c'est agréable, c'est chaleureux. Même un plateau de cinéma, c'est chaleureux. Enfin, ceux que j'ai connus ! C'est vraiment un métier qui me revitalise, qui me remplit d'énergie. Bien sûr, il y a une certaine fatigue physique, mais la plupart du temps, je sors de scène comme régénérée. En même temps, je dois avouer que si je ne travaille pas, ça ne me manque pas toujours ! C'est assez paradoxal..."
Les œuvres de Yasmina Reza
(Éditeur : Albin Michel)
Théâtre
Conversations après un enterrement (1987).
La Traversée de l'hiver (1990).
Art (1994).
L'Homme du hasard (1995).
Trois versions de la vie (2000).
Une pièce espagnole (2004).
Romans
Une désolation (1999).
Adam Haberberg (2003).
Récit
Hammerklavier (1997).
Scénario
Le Pique-nique de Lulu Kreutz (2000).
Certains spectacles sont plus attendus que d'autres. Ainsi, dès l'annonce de la nouvelle, le monde théâtral piaffait d'impatience. Il faut dire que l'affiche avait de quoi faire rêver plus d'un directeur de salle, et plus d'un spectateur. Luc Bondy créant une pièce de Yasmina Reza avec, pour servir ces deux illustres noms, une distribution de rêve.
À l'origine du projet : Luc Bondy lui-même, qui a demandé à l'auteur de Art si elle voulait bien lui écrire une pièce. Yasmina Reza accepte la commande, saute sur son stylo et, en trois mois, crée une œuvre en trompe l'œil, construite sur le principe des poupées russes. Voici donc ce qui est présenté aux spectateurs : de vrais comédiens français jouant le rôle de faux comédiens français, eux-mêmes interprétant les membres d'une famille espagnole dont les deux filles sont également comédiennes, l'une d'entre elles répétant une pièce bulgare. On se pincerait presque pour être sûr de ne pas faire partie d'une autre pièce... disons anglaise, dont les comédiens anglais joueraient des comédiens français qui, etc., etc.
Mais non, l'œuvre de Yasmina Reza est bien réelle. Elle commence par un aparté du comédien jouant Fernan. "Les acteurs sont des lâches", lance-t-il avant de poursuivre : "Les acteurs n'ont pas de courage. Moi le premier. Les qualités humaines habituelles dans le monde normal sont contraires au bien de l'acteur." À tour de rôle, venant interrompre
l'action de la comédie familiale, les "personnages-comédiens" s'avancent sur le devant de la scène et disent leur vérité sur le théâtre, la condition d'acteur...
Une fois chaque monologue achevé, la comédie espagnole reprend ses droits. Conçue comme un huis clos familial, cette pièce imaginaire est une sorte de Boulevard à la sauce ibérique. Au sein d'un salon tout en rouge et noir - Espagne oblige -, une mère présente son nouveau fiancé à ses deux filles et à son gendre. Évidemment, des querelles ne tardent pas à troubler la réunion.
Une pièce espagnole n'est pas, comme l'était Art, un bijou d'horlogerie réglé au millimètre. Il s'agit, de par sa construction, d'une pièce bien plus déconcertante, mais aussi sans doute plus personnelle. Partant du rire, ce texte mène le spectateur vers des thèmes récurrents dans l'œuvre de l'auteur : solitude, difficulté des relations familiales et amoureuses... Mais il le fait sans pesanteur, de façon presque anodine, laissant flotter sur la drôlerie des personnages les fins nuages d'un temps qui passe, d'une nostalgie, d'un essoufflement. Jouant leur partition avec une grande habileté, les cinq comédiens se révèlent remarquables et confirment leur prestigieuse réputation.
Dans le rôle de...
* La comédienne jouant Aurelia (fille de Pilar, comédienne de théâtre intello et confidentiel, aspirant secrètement à plus de reconnaissance) : Dominique Reymond.
* Le comédien jouant Fernan (fiancé de Pilar, veuf, gérant d'immeuble, homme "bon et ennuyeux") : Thierry Fortineau.
* Le comédien jouant Mariano (mari d'Aurelia, professeur de mathématique, homme "mou et alcoolique") : André Marcon.
* La comédienne jouant Nuria (fille de Pilar, star de cinéma ayant toujours rêvé de jouer Sonia dans Oncle Vania) : Marianne Denicourt.
* La comédienne jouant Pilar (ancienne réceptionniste d'un salon de coiffure, femme sexagénaire qui croit encore à l'amour) : Bulle Ogier.
Leurs parcours...
Bulle Ogier
C'est grâce à l'amour que Bulle Ogier est devenue comédienne. Partageant la vie de l'auteur et metteur en scène Marc'O, elle vainc sa timidité et accepte de participer à ses cours de théâtre. Le jour de sa première représentation publique, la chrysalide se transforme en papillon. "Quelque chose s'est passé. J'ai joué ! Un peu comme dans une arène où l'on fait face au taureau." Des critiques sont là et leur verdict est sans appel : Bulle Ogier capte tous les regards, c'est elle que l'on voit. À 22 ans, son destin est en marche.
Tant au théâtre qu'au cinéma, l'actrice a toujours privilégié les œuvres exigeantes. La liste des artistes avec lesquels elle a travaillé est, de ce point de vue, impressionnante : Tanner, Rivette, Schröder, Buñuel, Regy, Planchon... Et puis évidemment, Duras, dont elle a été l'amie et l'une des comédiennes fétiches. "On s'amusait beaucoup ensemble, on se parlait de nos histoires d'amour. C'était très important, pour elle, l'amour..."
Dominique Reymond
Son grand-père ayant été président de la Comédie de Genève, c'est très naturellement que ses parents l'inscrivent dans un cours de théâtre à l'âge de 9 ans. Très vite, son professeur, la comédienne suisse Germaine Tournier, lui transmet l'amour des grands textes. Mais durant toute son adolescence, Dominique Reymond n'envisage la comédie que comme un hobby. Car elle a une autre passion : la peinture. Pourtant, en 1979, titulaire d'une bourse d'études, elle quitte la Suisse pour Paris où elle prend part aux cours de Pierre Valle à L'Atelier. C'est alors que le théâtre l'emporte définitivement sur la peinture. Admise au Conservatoire, elle y rencontre Vitez qu'elle suit à Chaillot et avec qui elle fait ses premiers pas dans le théâtre subventionné. "C'était un véritable visionnaire. Il voyait le rôle qui correspondait parfaitement à chaque acteur et que lui-même était à mille lieues d'imaginer."
Au cinéma, sa performance dans Y aura-t-il de la neige à Noël de Sandrine Vesset lui vaut le prix d'interprétation du Festival de Paris en 1996.
Thierry Fortineau
Il a toujours eu le goût de la transformation, de la comédie. Chose qu'il déclare devoir à son père, "qui faisait tout le temps du théâtre dans la vie, même si ce n'était pas son métier : c'est lui qui m'a donné le sens du jeu". Confirmant sa vocation au Conservatoire de Nantes, Thierry Fortineau s'installe ensuite à Paris où il fréquente le cours de la rue Blanche, avant de débuter sa vie professionnelle aux côtés de Stuart Seide, puis de Marcel Maréchal. Consacré en 1988 par le Molière de la révélation théâtrale pour son interprétation du Journal d'un curé de campagne, il participe quelques années plus tard à la création du Visiteur d'Eric-Emmanuel Schmitt, de Oh ! Pardon tu dormais de Jane Birkin et participe à la tournée de Trois versions de la vie de Yasmina Reza. En 2002, seul sur scène, il triomphe dans Gros-Câlin de Romain Gary (ndlr, dont un double CD vient d'être édité1), prestation pour laquelle il est récompensé du Molière 2003 du meilleur comédien.
(1) Éditions Gallimard, collection "À haute voix".
Ils nous ont dit...
Chaque "personnage-comédien" témoigne
de sa vision du métier d'acteur. Nos trois interviewés confient, tour à tour, le regard qu'ils portent sur leur profession...
Bulle Ogier : "Les comédiens sont des instruments choisis par un metteur en scène pour interpréter une partition écrite par un auteur. On est comme des violons jouant au sein d'un orchestre de chambre. On se laisse traverser par le texte, par les personnages. Mais les comédiens ne sont pas que de simples interprètes. Sur scène, à travers leur personnalité, leur propre imagination, ils rendent quelque chose qui est de l'ordre de la création."
Thierry Fortineau : "Pour moi, ce métier est centré sur la transmission. Car être comédien, c'est avant tout communiquer. Quand on joue une pièce, on essaie de rentrer au plus profond de son personnage, d'être en osmose avec lui pour pouvoir transmettre des émotions. On est une sorte de médium entre l'œuvre et le public. Car le théâtre doit déconnecter les gens de leur réalité. Il faut, le temps d'une représentation, parvenir à placer le public dans un ailleurs."
Dominique Reymond : "Pour moi, exercer cette profession, c'est tendre vers un but inatteignable, penser qu'on n'y arrivera jamais, et puis, un jour, avoir finalement l'impression de toucher à quelque chose, de laisser une trace... C'est une activité vraiment à part ! Avec des moments d'anxiété insupportables qui peuvent se transformer instantanément en plaisir. Parfois, avant une première par exemple, on se demande pourquoi on continue, on se dit qu'on est complètement maso ! Car personne ne nous oblige à faire ce métier-là, au fond !"
Le personnage de la comédienne interprétant Nuria déclare : "Je n'aime pas les interviews. J'en donnais des milliers, autrefois, devant personne, quand je rêvais d'être quelqu'un. Je n'aime plus les vraies." Et eux, aiment-ils ça ?
Dominique Reymond : "Ayant longtemps été une actrice "anonyme" du subventionné, je n'ai pas trop l'habitude d'être interviewée. Je ne peux donc pas dire que je sois lassée par cet exercice ! Mais je suis souvent surprise lorsque je me relis car dans les interviews, on a toujours l'air de décréter des tas de choses, alors qu'au fond, moi, je ne suis qu'une montagne de doutes."
Bulle Ogier : "Je ne suis pas très douée pour les interviews ! J'ai un peu de mal à parler de moi-même, et lorsque je dis quelque chose, je pense tout de suite que j'aurais dû le dire autrement ! Je suis vraiment loin d'être forte en rhétorique..."
Thierry Fortineau : "Je trouve ça plutôt intéressant. Ça ne me dérange pas du tout de répondre à des questions. C'est même l'occasion d'échanger des points de vue avec les journalistes. Ce genre de rencontres se révèle généralement assez positif."
Bien sûr, il y a le trac, l'attente des propositions,
le couperet des critiques. Mais aussi le plaisir
du jeu, la lumière, les applaudissements... Finalement, leur métier les rend-ils heureux ?
Thierry Fortineau : "Oui, car en étant comédien, je peux partager ce qui m'habite. Je suis quelqu'un qui ressent beaucoup d'émotions, qui est chargé d'une tonne de sensations. J'ai vraiment un besoin vital de communiquer tout ça, de partager cette faculté d'éprouver des choses."
Dominique Reymond : "C'est vrai qu'on est souvent partagés entre des moments de profond abattement et de grande exaltation. Et puis, il y a des rôles qui laissent tout de même des cicatrices. Il faut parfois gratter les croûtes après avoir interprété certains personnages. Mais si je regarde derrière moi, j'ai l'impression d'avoir eu une chance inouïe.
J'aurais donc tort d'être malheureuse ! J'ai joué des rôles que j'ai adorés, travaillé avec des gens extraordinaires comme Vitez, Gruber, Lassalle, Sobel, Bondy... Et, rencontrer de tels artistes, c'est déjà un bonheur en soi."
Bulle Ogier : "Je crois que oui, être comédienne me rend pleinement heureuse. Peut-être parce qu'il s'agit d'une activité qui n'est pas répétitive, que l'on n'exerce pas tous les jours de l'année. Et puis aussi, il s'agit d'un travail de groupe, mais de petit groupe, et ça c'est agréable, c'est chaleureux. Même un plateau de cinéma, c'est chaleureux. Enfin, ceux que j'ai connus ! C'est vraiment un métier qui me revitalise, qui me remplit d'énergie. Bien sûr, il y a une certaine fatigue physique, mais la plupart du temps, je sors de scène comme régénérée. En même temps, je dois avouer que si je ne travaille pas, ça ne me manque pas toujours ! C'est assez paradoxal..."
Les œuvres de Yasmina Reza
(Éditeur : Albin Michel)
Théâtre
Conversations après un enterrement (1987).
La Traversée de l'hiver (1990).
Art (1994).
L'Homme du hasard (1995).
Trois versions de la vie (2000).
Une pièce espagnole (2004).
Romans
Une désolation (1999).
Adam Haberberg (2003).
Récit
Hammerklavier (1997).
Scénario
Le Pique-nique de Lulu Kreutz (2000).
Paru le 15/03/2004
UNE PIÈCE ESPAGNOLE THÉÂTRE DE LA MADELEINE Du mardi 20 janvier au samedi 15 mai 2004
COMÉDIE. Cinq acteurs répètent une comédie: une réunion de famille au cours de laquelle une mère présente à ses deux filles et à son gendre, le nouvel homme de sa vie, un veuf gérant d'immeuble...
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