Interview par Manuel Piolat Soleymat
René Loyon
Après "Les Travaux et les Jours", montée fin 2003 par Robert Cantarella, le Théâtre de l'Est parisien propose aujourd'hui une nouvelle œuvre de Michel Vinaver : "L'Émission de télévision". René Loyon en signe la mise en scène et s'immerge dans l'écriture d'un auteur qui "le touche et l'intéresse particulièrement". Interview.
À quelle occasion avez-vous découvert "L'Émission de télévision" ?
Je n'avais pas pu assister à la création de cette pièce par Jacques Lassalle en 1990. Je l'ai donc découverte en 2000, lorsqu'on m'a demandé de jouer l'un de ses rôles dans le cadre des Rencontres Théâtrales de Haute-Corse. J'ai tout de suite été frappé par son extraordinaire efficacité dramatique, par la façon dont le public se passionnait pour cette histoire.
À quoi tenait cet engouement ?
Sans doute au fait que la pièce traite du chômage, tout en développant une fiction policière. Il s'agit de l'histoire de deux hommes de plus de 50 ans qui ont retrouvé du travail après avoir été des chômeurs de longue durée. Ils sont contactés par deux journalistes qui les mettent en concurrence pour témoigner de leur expérience lors d'une émission de télévision, la production ne prévoyant qu'un seul participant. L'un d'entre eux va être assassiné et, évidemment, les soupçons se portent sur le second.
Cette pièce révèle donc un point de vue critique sur la télévision...
Oui, elle l'envisage comme une espèce de machine à transformer le réel, à le broyer, à s'en servir mais pour le régurgiter à sa façon. Ceci introduit un autre thème que l'on trouve d'ailleurs dans la plupart des œuvres de Vinaver : celle de l'aspiration à la lumière. Il existe chez les personnes qui veulent participer à une émission de télévision un désir de venir au centre du cercle de lumière pour dire leur vérité. Et ce faisant, évidemment, ils disent aussi leur solitude. Vinaver porte un regard sur le délitement du lien social, sur l'isolement, la peur de l'exclusion. D'ailleurs, c'est peut-être ce qui m'intéresse le plus dans ce texte.
Comment expliquez-vous le succès que rencontre cet auteur ?
Son théâtre n'assène pas de vérités. Ce n'est pas un théâtre qui affiche des points de vue péremptoires sur le monde. Au contraire, il nous amène de façon très subtile à comprendre certaines situations de l'intérieur et à partir de ce que l'on peut, nous-mêmes, ressentir. De ce point de vue-là, c'est une grande écriture poétique, qui rayonne de sens multiples. Elle est d'ailleurs très difficile à monter...
Pour quelles raisons ?
Précisément à cause de l'entrelacs des différents sujets qui composent ses pièces, de l'infinie complexité des thèmes qui s'entrecroisent. La réalité que capte Vinaver est multiple, ce qui fait que notre écoute est considérablement requise, au-delà des images. Car il ne s'agit pas d'un théâtre d'images.
Autour de quoi avez-vous centré votre travail ?
Autour de cette complexité, justement. D'une part, il y a l'histoire que chacun peut lire, qui a trait à la peur du chômage, au lien établi entre le réel et la bouillie télévisuelle. D'autre part, apparaît le jeu des dualités multiples, de l'ombre et de la lumière, de la nuit et du jour, du visible et de l'invisible... J'ai beaucoup travaillé là-dessus. Car chez Vinaver, on est en permanence sur le fil du rasoir. Sitôt qu'on verse d'un côté, on tangue de l'autre. Et puis, il y a aussi chez lui une grande musicalité, qu'il faut repérer et faire entendre. Car si on n'y prête pas attention, ses pièces peuvent ressembler à des pièces conventionnelles et se trouver ainsi transformées en soupe naturaliste.
"L'Émission de télévision" repose sur de nombreux lieux d'action. Comment avez-vous résolu cette difficulté de mise en scène ?
Vinaver indique que la pièce doit se jouer sans pause entre les scènes, de façon à ce que le spectateur éprouve le même sentiment qu'éprouvent les téléspectateurs lorsqu'ils zappent ! Cela paraît assez difficile de restituer ça sur une scène de théâtre, mais je pense que l'on a trouvé des solutions intéressantes. À partir d'un décor unique, mais qui sera tout de même à transformations, en particulier grâce à la lumière.
Vous avez toujours travaillé au sein de compagnies. Pensez-vous que la notion de troupe soit essentielle au théâtre ?
Absolument. J'ai pris goût au théâtre à Lyon, quand j'étais lycéen, en voyant les spectacles de Planchon. Il avait autour de lui des comédiens comme Jean Bouise, Claude Lochy, Isabelle Sadoyan, Gilles Chavassieux, que l'on retrouvait de pièce en pièce. Ensemble, ils constituaient le paysage bien particulier des spectacles de Planchon. Et à mes yeux, le théâtre ne pouvait pas être autre chose. Par la suite, plus j'ai avancé, plus je me suis rendu compte qu'il n'y avait pas de grande aventure théâtrale qui ne passe par le travail de groupe. J'ai une grande admiration pour des hommes comme Brook, Vitez, et ce sont des artistes qui ont su s'entourer d'une famille d'acteurs. Le théâtre est une activité qui réclame une grande confiance, une entente au-delà des mots qui permettent d'avancer dans une recherche artistique commune.
René Loyon - Bio express
Comédien, metteur en scène et directeur de théâtre, René Loyon
a été formé à la Comédie de Saint Etienne.
Véritable "enfant" de la décentralisation théâtrale, il coanime avec Jacques Kraemer et Charles Tordjman, de 1969 à 1976, le Théâtre Populaire de Lorraine, avant de fonder avec Yannis Kokkos le Théâtre Je/Ils. De 1991 à 1996, il assure la direction du Centre dramatique national de Franche-Comté et fonde la Compagnie
R. L. en 1997, avec laquelle il met en scène des pièces de Molière, Pirandello, Sarraute,
Garcia Lorca, Marivaux...
Michel Vinaver - Bibliographie
Romans et autres textes :
Lataume (Gallimard).
L'Objecteur (Gallimard).
Les Histoires de Rosalie (Flammarion-Castor Poche).
Essais :
Le Compte Rendu d'Avignon (Actes Sud).
La Visite du chancelier autrichien en Suisse (L'Arche).
Écrits sur le théâtre 1 et 2 (L'Arche).
Théâtre complet :
(Œuvres rééditées sous une présentation commune par Actes Sud et L'Arche)
Vol.1 : Les Coréens, Les Huissiers (Actes Sud).
Vol. 2 : Iphigénie Hôtel, Par-dessus bord (nouvelle version) (Actes Sud).
Vol. 3 : La Demande d'emploi, Dissident,
il va s'en dire, Nina, c'est autre chose (L'Arche,
à paraître en 2004).
Vol. 4 : Les Travaux et les Jours, À la renverse (L'Arche).
Vol. 5 : L'Ordinaire, Les Voisins (Actes Sud).
Vol. 6 : Portrait d'une femme, L'Émission de télévision (Actes Sud).
Vol. 7 : Le Dernier Sursaut, King, La Fête du cordonnier (Actes Sud, à paraître en 2005).
Vol. 8 : L'Objecteur, 11 septembre 2001,
Les Troyennes (L'Arche).
Je n'avais pas pu assister à la création de cette pièce par Jacques Lassalle en 1990. Je l'ai donc découverte en 2000, lorsqu'on m'a demandé de jouer l'un de ses rôles dans le cadre des Rencontres Théâtrales de Haute-Corse. J'ai tout de suite été frappé par son extraordinaire efficacité dramatique, par la façon dont le public se passionnait pour cette histoire.
À quoi tenait cet engouement ?
Sans doute au fait que la pièce traite du chômage, tout en développant une fiction policière. Il s'agit de l'histoire de deux hommes de plus de 50 ans qui ont retrouvé du travail après avoir été des chômeurs de longue durée. Ils sont contactés par deux journalistes qui les mettent en concurrence pour témoigner de leur expérience lors d'une émission de télévision, la production ne prévoyant qu'un seul participant. L'un d'entre eux va être assassiné et, évidemment, les soupçons se portent sur le second.
Cette pièce révèle donc un point de vue critique sur la télévision...
Oui, elle l'envisage comme une espèce de machine à transformer le réel, à le broyer, à s'en servir mais pour le régurgiter à sa façon. Ceci introduit un autre thème que l'on trouve d'ailleurs dans la plupart des œuvres de Vinaver : celle de l'aspiration à la lumière. Il existe chez les personnes qui veulent participer à une émission de télévision un désir de venir au centre du cercle de lumière pour dire leur vérité. Et ce faisant, évidemment, ils disent aussi leur solitude. Vinaver porte un regard sur le délitement du lien social, sur l'isolement, la peur de l'exclusion. D'ailleurs, c'est peut-être ce qui m'intéresse le plus dans ce texte.
Comment expliquez-vous le succès que rencontre cet auteur ?
Son théâtre n'assène pas de vérités. Ce n'est pas un théâtre qui affiche des points de vue péremptoires sur le monde. Au contraire, il nous amène de façon très subtile à comprendre certaines situations de l'intérieur et à partir de ce que l'on peut, nous-mêmes, ressentir. De ce point de vue-là, c'est une grande écriture poétique, qui rayonne de sens multiples. Elle est d'ailleurs très difficile à monter...
Pour quelles raisons ?
Précisément à cause de l'entrelacs des différents sujets qui composent ses pièces, de l'infinie complexité des thèmes qui s'entrecroisent. La réalité que capte Vinaver est multiple, ce qui fait que notre écoute est considérablement requise, au-delà des images. Car il ne s'agit pas d'un théâtre d'images.
Autour de quoi avez-vous centré votre travail ?
Autour de cette complexité, justement. D'une part, il y a l'histoire que chacun peut lire, qui a trait à la peur du chômage, au lien établi entre le réel et la bouillie télévisuelle. D'autre part, apparaît le jeu des dualités multiples, de l'ombre et de la lumière, de la nuit et du jour, du visible et de l'invisible... J'ai beaucoup travaillé là-dessus. Car chez Vinaver, on est en permanence sur le fil du rasoir. Sitôt qu'on verse d'un côté, on tangue de l'autre. Et puis, il y a aussi chez lui une grande musicalité, qu'il faut repérer et faire entendre. Car si on n'y prête pas attention, ses pièces peuvent ressembler à des pièces conventionnelles et se trouver ainsi transformées en soupe naturaliste.
"L'Émission de télévision" repose sur de nombreux lieux d'action. Comment avez-vous résolu cette difficulté de mise en scène ?
Vinaver indique que la pièce doit se jouer sans pause entre les scènes, de façon à ce que le spectateur éprouve le même sentiment qu'éprouvent les téléspectateurs lorsqu'ils zappent ! Cela paraît assez difficile de restituer ça sur une scène de théâtre, mais je pense que l'on a trouvé des solutions intéressantes. À partir d'un décor unique, mais qui sera tout de même à transformations, en particulier grâce à la lumière.
Vous avez toujours travaillé au sein de compagnies. Pensez-vous que la notion de troupe soit essentielle au théâtre ?
Absolument. J'ai pris goût au théâtre à Lyon, quand j'étais lycéen, en voyant les spectacles de Planchon. Il avait autour de lui des comédiens comme Jean Bouise, Claude Lochy, Isabelle Sadoyan, Gilles Chavassieux, que l'on retrouvait de pièce en pièce. Ensemble, ils constituaient le paysage bien particulier des spectacles de Planchon. Et à mes yeux, le théâtre ne pouvait pas être autre chose. Par la suite, plus j'ai avancé, plus je me suis rendu compte qu'il n'y avait pas de grande aventure théâtrale qui ne passe par le travail de groupe. J'ai une grande admiration pour des hommes comme Brook, Vitez, et ce sont des artistes qui ont su s'entourer d'une famille d'acteurs. Le théâtre est une activité qui réclame une grande confiance, une entente au-delà des mots qui permettent d'avancer dans une recherche artistique commune.
René Loyon - Bio express
Comédien, metteur en scène et directeur de théâtre, René Loyon
a été formé à la Comédie de Saint Etienne.
Véritable "enfant" de la décentralisation théâtrale, il coanime avec Jacques Kraemer et Charles Tordjman, de 1969 à 1976, le Théâtre Populaire de Lorraine, avant de fonder avec Yannis Kokkos le Théâtre Je/Ils. De 1991 à 1996, il assure la direction du Centre dramatique national de Franche-Comté et fonde la Compagnie
R. L. en 1997, avec laquelle il met en scène des pièces de Molière, Pirandello, Sarraute,
Garcia Lorca, Marivaux...
Michel Vinaver - Bibliographie
Romans et autres textes :
Lataume (Gallimard).
L'Objecteur (Gallimard).
Les Histoires de Rosalie (Flammarion-Castor Poche).
Essais :
Le Compte Rendu d'Avignon (Actes Sud).
La Visite du chancelier autrichien en Suisse (L'Arche).
Écrits sur le théâtre 1 et 2 (L'Arche).
Théâtre complet :
(Œuvres rééditées sous une présentation commune par Actes Sud et L'Arche)
Vol.1 : Les Coréens, Les Huissiers (Actes Sud).
Vol. 2 : Iphigénie Hôtel, Par-dessus bord (nouvelle version) (Actes Sud).
Vol. 3 : La Demande d'emploi, Dissident,
il va s'en dire, Nina, c'est autre chose (L'Arche,
à paraître en 2004).
Vol. 4 : Les Travaux et les Jours, À la renverse (L'Arche).
Vol. 5 : L'Ordinaire, Les Voisins (Actes Sud).
Vol. 6 : Portrait d'une femme, L'Émission de télévision (Actes Sud).
Vol. 7 : Le Dernier Sursaut, King, La Fête du cordonnier (Actes Sud, à paraître en 2005).
Vol. 8 : L'Objecteur, 11 septembre 2001,
Les Troyennes (L'Arche).
Paru le 15/03/2004
ÉMISSION DE TÉLÉVISION (L') THÉÂTRE DE L'EST PARISIEN Du samedi 13 mars au vendredi 9 avril 2004
COMÉDIE DRAMATIQUE. Michel Vinaver signe la plus molièresque de ses pièces. Deux quinquagénaires privés d'emploi sont candidats pour illustrer leur condition dans une émission de télévision. Deux jeunes louves audiovisuelles, rivales elles-mêmes, en font des rivaux. Lequel des deux deviendra héros à "la télé"? Et qua...
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