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© Virginie De Clausade
Dossier par Philippe Escalier
The Normal Heart
au théâtre du Rond-Point

Pièce écrite en 1984 sur le thème de l'apparition du Sida, «The Normal Heart » est le témoignage poignant du combat titanesque mené par Larry Kramer contre la maladie.
Celui qui fut l'un des tout premiers à comprendre l'ampleur du désastre et le fondateur d'Act-Up opposa son énergie, ses convictions et ses colères salvatrices à l'indifférence et au silence gêné qui furent les premières réponses à la pandémie. Vingt-sept ans après, « The Normal Heart » est enfin créée le 1er décembre 2020 au Théâtre du Rond-Point. La metteur en scène, Virginie de Clausade, Dimitri Storoge et Jules Pélissier nous parlent de ce qui s'annonce comme un grand moment de théâtre et d'émotion.


Virginie de Clausade

Comment êtes-vous arrivée à cette création ?
J'ai écrit un livre sur Thierry Le Luron « De bruit et de fureur » qui racontait la fin de sa vie, pour exposer comment les choses se sont vraiment passées (son oncle fut le manager de l'imitateur, ndlr). En faisant mes recherches, j'ai découvert Larry Kramer, sa pièce, le téléfilm réalisé par HBO. Étonnamment, « The Normal Heart » n'a jamais été monté en France, alors que le spectacle tient l'affiche à New York depuis 1985, crédité de trois Tony Awards et deux nominations à Broadway. J'ai voulu combler ce manque. Heureuse coïncidence, un ami proche a pu me présenter Éric Maillard et Frédéric Borriello, qui détiennent les droits en France. Il a fallu ensuite une succession de petits miracles pour que l'équipe se constitue et que le Rond-Point nous accueille.

Un mot sur les principaux acteurs de la pièce ?
J'ai trouvé que l'association de Dimitri Storoge et d'Andy Gillet serait très intéressante pour Ned et Bruce. L'on sait que Ned (incarnation de Larry Kramer dans la pièce) est un visionnaire, à qui le temps va donner raison, réinventeur d'un militantisme rageur, voulant absolument imposer son point de vue, ce qui peut-être assez horripilant. Bruce, «concurrent» de Ned dans l'association, moins activiste mais plus charmeur, vient faire le contre poids, celui que l'on a envie de suivre, même si malheureusement il a tort. Quant à Félix, (Jules Pélissier), je l'ai vu dans un téléfilm jouant Louis XIV face à Dimitri Storoge en Molière : j'ai trouvé que le binôme fonctionnait parfaitement et pouvait incarner le couple de la pièce.

À quelles difficultés avez-vous été confrontée ?
D'abord, il est très difficile d'obtenir que les théâtres répondent à l'envoi du texte. Mais ce qui a été magique c'est que tous les acteurs ont été enthousiastes et ont porté le projet. Ils ont accepté de répéter de nombreuses fois pour une seule date de lecture (un 14 février!). Concernant la mise en scène, il a fallu ruser et innover afin de suggérer les différents endroits: Larry Kramer, à l'origine, écrit des scénarios, ce qui transparait dans son remarquable talent narratif.

Dimitri Storoge

Vous jouez le rôle principal, à savoir l'auteur de la pièce. Comment voyez-vous votre personnage ?
L'action se passe au tout début des années 80. Larry Kramer, sensibilisé par le médecin Emma Brookner venue lui demander de mobiliser sa communauté, crée à New York cette première association de lutte, Gay Men's Health Crisis. Le Sida n'avait alors même pas de nom, on ne sait pas ce que c'est. Apparait cet homme seul, qui hurle dans le désert en annonçant une épidémie, des morts, appelant à un changement dans les habitudes sexuelles. Il était seul à le dire, le nombre de cas était encore réduit, on le regarde un peu comme un fou d'autant que l'on sort de longues périodes de luttes pour avoir enfin le droit de vivre librement sa vie de gay. Et lui cherche, coute que coute, à rallier une ville, une communauté à sa cause. Il rencontre Félix pour s'en faire un allié. Il est mignon, il en tombe amoureux. «The Normal Heart» c'est aussi comment on vit une histoire d'amour au milieu de l'indifférence et d'un monde qui s'écroule.

De quelle manière avez-vous travaillé votre rôle ?
Il y a plein de façons de se préparer. J'ai eu la chance de commencer tôt puisque j'ai suivi la traduction et d'adaptation effectuées par Virginie. Ensuite est venu le travail avec l'équipe, nous étions un peu comme Larry Kramer à ses début : seuls autour de ce texte en se répétant qu'on allait le jouer un jour pendant que tout le monde autour s'en foutait ! Nous avons beaucoup répété à la table pour préparer cette fameuse lecture. Cela a été un travail long et intense qui nous a laissé le temps de la maturation. J'ai pu me documenter, me renseigner, faire mon travail d'acteur. En prenant la précaution d'éviter les anachronismes, en oubliant aussi tout ce que l'on sait depuis pour être vraiment dans l'esprit de 1981.


Jules Pélissier

Selon Virginie de Clausade, c'est grâce à Louis XIV que vous jouez cette pièce sur le Sida en incarnant Félix !
C'est toute la magie de ce métier, avec ses rencontres et ses affinités. Félix, dont Ned est amoureux, est un trentenaire, il n'a pas l'âme d'un militant, il ne fait pas de vagues. Pourtant, de part ses centres d'intérêt, il est impliqué, il voit clairement ce qui est en train de se passer et incarne ce que l'on appelle parfois la culture gay. Journaliste au Times, c'est un peu un esthète menant une vie normale. Avec sa douceur et sa candeur, il apporte à son amant une forme de stabilité, ils se complètent.
Cette pièce arrive à un moment où j'avais envie de m'intéresser à un monde que je ne connais pas forcément beaucoup mais vers lequel je me sens attiré. J'ai beaucoup aimé cette culture très festive des Club Kids à New York des années 80, pan du militantisme des droits homo. J'ai trouvé que cela recoupait certaines de mes révoltes, au final, ce sont les mêmes : s'impliquer pour les droits d'une communauté, c'est se battre pour les droits universels.

Donc heureux de revenir sur scène !
Oui, après « Le Faiseur de théâtre» de Thomas Bernhard avec André Marcon dans une mise en scène de Christophe Perton qui m'a apporté un mois et demi de plateau très intense. Être sur une scène est une prise de risque un peu nouvelle pour moi mais qui me porte. Le théâtre a une radicalité qui m'intéresse. Nous parlions de la préparation d'un rôle, c'est important mais en fait, au moment de jouer, il se passe quelque chose de cinétique, de chimique, on travaille sans filets, c'est ce qui est magnifique dans ce métier.

Pour finir, quel est le film qui vous a le plus marqué depuis que vous tournez ?
Il y a différents moments importants, j'ai mis toute mon âme dans tout ce que j'ai fait. C'est mon plus petit rôle que je retiens car il m'a permis de rencontrer ma fiancée, c'était sur «Un moment d'égarement» de Jean-François Richet ! (Rires).
Paru le 15/09/2021