23h30. Une chambre d'hôtel aseptisée, à Hong-Kong, d'un blanc immaculé, où seules les affaires du personnage apportent un semblant d'intimité. Seul sur scène pendant presque une heure et demie, Jacques Weber entre doucement et s'installe avec calme et douceur dans ce lieu impersonnel, dont il va finalement faire un véritable havre d'amour et de souvenirs.
Jacques Weber endosse le rôle d'un écrivain, âgé, qui toute sa vie a voyagé pour recevoir des prix, assister à des réceptions, dans le monde entier. Il a aimé cette vie, d'abord sans le sou, vivant d'amour et d'écriture, puis celle de la reconnaissance. Si beaucoup ont essayé de l'amadouer, si beaucoup l'ont adulé, un seul amour pour lui a compté : celui de sa femme, dont le portrait encadré ne le quitte pas, et l'accompagne depuis un an dans sa valise, depuis sa disparition. D'emblée, l'écrivain parle au passé, il parle de cet amour de jeunesse, passionné, devenu l'amour de toute une vie. Celui qui a rythmé sa vie, accompagné de voyages, de pages blanches devenues des best-sellers vendus sur toute la planète, de soirées trop arrosées, de danse et de drogue aussi. Ce personnage vit dans ses souvenirs, ceux d'une présence qui n'est plus.

Dans "Ranger", il y a la solitude du texte, la douleur aussi. Mais sans état d'âme larmoyant. C'est là que Jacques Weber excelle dans l'interprétation du texte de Pascal Rambert. Le texte et le sujet, qui pourraient sembler tristes, poussent le public à verser une larme. Pourtant, l'humour est là aussi. Finalement, nous sommes pris dans une compassion totale pour ce vieil homme, à la vie qui pourrait faire rêver la jeunesse, à la fin que l'on voit arriver. On a envie de le rejoindre sur scène, de l'aider à surmonter cette peine, mais aussi de l'écouter. L'homme âgé conte et raconte sa vie, des époques, des façons d'être, d'aimer et de vivre.
Pascal Rambert, par le texte et la mise en scène, a su donner à Jacques Weber un rôle qui lui colle à la peau. On ne sait plus vraiment après quelques minutes où s'arrête le jeu du comédien pour laisser place à l'homme, ou l'inverse. De passages à vide où le comédien s'adresse au portrait de sa femme, aux pas de danses qui semblent d'une réalité sans nom plus que d'une mise en scène, à la décadence dans cet immense lit blanc comme neige, la mise en scène de Pascal Rambert et le jeu de Jacques Weber s'accordent merveilleusement bien.

"Je fais ce qu'il te plait, et ça me fait du bien", c'est l'écrivain qui le dit. C'est beau, tendre et réaliste. Et chaque être humain rêverait de pouvoir un jour imaginer un tel amour. L'identification est d'une facilité remarquable, et c'est ce qui fait de ce seul-en-scène, un beau, si ce n'est grand moment de théâtre.