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D.R.
Portrait par Marie-Céline Nivière
Jacques Weber

Il est "Cyrano", "Monte-Cristo", "Dom Juan". Ce fin "Limier" aime "Seul en scène" raconter "Le Roman de Monsieur Molière"... Ce prix d'excellence est tour à tour ou tout à la fois, comédien, metteur en scène, réalisateur, directeur de théâtre... Aujourd'hui, il guide les premiers pas de la belle Laetitia Casta, dans "Ondine" de Jean Giraudoux au Théâtre Antoine.
Un "Monstre sacré"
Le rendez-vous a lieu au café, juste à côté du théâtre de la Gaîté où il joue tous les soirs Seul en scène et répète la journée Ondine. Il est midi, fin juin. Weber est en grande discussion avec sa vedette masculine, Xavier Gallais. J'attends. Il vient vers moi, s'excuse. Avec sa stature de capitaine de navire, sa crinière blanche, il est impressionnant. On se sent tout petit. Ne lui en déplaise, il est un monument du théâtre. "De quoi allons-nous parler ?" Me voilà sans voix, le cœur battant aussi vite qu'un jour d'oral du bac. Je bafouille des excuses, je me sens tellement timide tout à coup. Il rit. Son visage s'illumine. "Moi ! Mais, je suis le type le moins intimidant !" Se rend-il compte de ce qu'il représente pour ma génération. À l'époque, deux noms brillaient au firmament des étoiles, Huster - Weber. Deux sortes de derniers des Mohicans avant que le théâtre ne finisse dans les oubliettes d'une
culture formatée par la télévision et des médias au rabais. Il y avait les pro-Huster et les pro-Weber, l'un plus classique, l'autre plus moderne. C'est cela qui nous nourrit. En parlant de nourriture, la patronne dépose une toute petite assiette de riz sur la table. Frugalité surprenante d'un homme que l'on imagine plutôt en Athos dévorant mets et délices. "Justement, il faut reposer la machine." En
parlant de repas, profitons de l'occasion pour faire un lamentable jeu de mots, qui permet de faire une transition peu originale : "Ondine" à quelle heure ?

La genèse d'"Ondine"
Il devance mes interrogations du genre : cela ne sent pas la poussière d'un vieux théâtre ? "Comme tout le monde, j'avais des préjugés stupides ! Vous savez, ces généralités qui vous font dire des bêtises." Il n'est pas à l'origine du projet. Dans son réel désir de jouer la comédie, d'être comédienne, le mannequin-vedette a décidé d'attaquer ce qu'il y a de plus noble dans ce métier, la scène. Pour cela, elle a une idée bien précise, le fameux Ondine de Jean Giraudoux. Son agent, Dominique Besnehard, trouve l'idée bonne et lui souffle le nom de Weber. Du coup, il relit la pièce et la redécouvre. "Je voulais comprendre ce qu'une gamine de 25 ans pouvait trouver dans cette pièce." Son explication de texte ouvrira des horizons différents à cette œuvre qui porte l'empreinte de Jouvet et Adjani. N'en profitez pas pour dire qu'ils ont joué ensemble ! Dans mes souvenirs, Ondine - une jeune fille vivant dans l'eau -, croise un beau chevalier et en tombe amoureuse. Pour lui, elle quitte son royaume et devient humaine. Si son Chevalier la trahit, elle retournera au lac, ayant tout oublié. "En fait, c'est un conte. C'est un récit qui fait partie du merveilleux. Cela raconte l'histoire improbable de la réconciliation entre l'homme et la nature. C'est une pièce poétique. Il y a de l'audace dans ce récit qui oscille entre le fantastique et le réel. Ondine est provocante parce que libre. Il ne faut pas oublier, Giraudoux a commencé l'écriture de cette pièce en 1933 et l'a terminée en 39. Cela raconte beaucoup de choses, dont l'angoisse sourde de l'époque face aux événements, l'imminence de la guerre, la mutation de la civilisation. Je vais en faire une histoire qui débutera par : "Il était une fois..."" Autour de la vedette, Weber a choisi une distribution jeune. Visiblement, cela va vivre et transpirer. Dans le rôle du chevalier, on trouve le comédien le plus prometteur de sa génération, Xavier Gallais. "C'est énorme, son talent !" De la part de Weber, le compliment est considérable. Je suis en accord avec lui car, depuis Torreton, je n'avais pas ressenti un tel choc. Weber est intéressé par la perméabilité, la fragilité de l'homme. "Sous son armure, le chevalier se révèle en tant qu'homme avec tout ce que cela comporte : faiblesse, contradiction, lâcheté..."

Une âme d'enfant
Je lui demande si le fait d'avoir enseigné a pesé dans le choix. J'insiste, car cela doit être rassurant pour une débutante d'être dirigée par un homme qui a tant de métier, de... Il rit. "C'est fou cette idée... Tout le monde pense que j'ai été professeur. Je n'ai jamais enseigné. Je ne sais pas. J'ai beaucoup de mal à être pédagogue !" Weber me rappelle que c'est Besnehard qui est à l'origine du projet. "Parce qu'il pense que c'est mon terrain, mon domaine." Ce qui signifie "avoir gardé une âme d'enfant". Son visage s'illumine et prend les couleurs de l'enfance. "À 55 ans, j'ai gardé ma barboteuse. Cela engendre des défauts dont une irresponsabilité sociale. Je suis un débile profond en matière de gestion, d'administration..." Heureusement, il a eu pour le seconder dans son rôle de directeur de théâtre, Yves Saussinan. "Sans lui, j'étais foutu." Weber n'emploie pas le mot de directeur, mais utilise celui d'"animateur" qui colle mieux à un Centre Dramatique National. Il le fut à Lyon de 1979 à 1985, et à Nice, de 1986 à 2001. Nous quittons les bords du lac d'Ondine pour aborder les rivages de sa carrière.

Du théâtre dans toute sa splendeur
À la question, "Comment avez-vous décidé de devenir comédien", il me répond : "Très honnêtement, je ne vais pas faire mon propre psy." J'insiste, car je trouve magiques ces naissances de vocation. Et là, je suis gâtée. Deux choses l'ont inspiré. La première est un numéro de music-hall vu à la télévision. "Un artiste étonnant, Gérard Séty." La deuxième ce sont Les Fables de La Fontaine. Son grand-père
l'emmène voir L'Avare de Molière. Le rôle du Seigneur Anselme crée un déclic. Du coup, j'ai droit à toute une tirade. Je bois du petit-lait. "Je rentre chez moi et je dis à mon frère : "Bernard, je monte L' Avare." J'avais 11 ans. On a tout fait, les affiches, le décor..." Puis ce fut le conservatoire du 17e, la rue Blanche, le Conservatoire national avec Robert Manuel. "Un grand homme !" Il y rencontre Francis Huster, Jean-Luc Boutté, Bernard Giraudeau, André Dussollier, Jacques Villeret, Nathalie Baye... "Un beau compagnonnage, non ?" Il en sort avec le prix d'excellence. "Cela m'a fait plus de mal que de bien. J'ai pris la grosse tête. Je n'étais pas prêt pour le cinéma." Il refuse d'entrer à la Comédie-Française pour rejoindre Hossein à Reims. Après, ce fut l'immense carrière que nous lui connaissons. Il y a eu les gros succès, comme Cyrano dans la mise en scène de Savary. "Les gens se souviennent de ce rôle comme étant mon véritable début. Il y avait eu avant Monte-Cristo." Justement, Cyrano, un texte qui l'accompagne depuis longtemps. Il fut Cyrano mais aussi de Guiche. "On ne refuse pas de jouer avec le plus grand comédien." Il avoue avoir eu la trouille au moment de le mettre en scène dans Ruy Blas. Cette année, il a eu deux grands plaisirs, Les Fables de La Fontaine, dans la mise en scène de Robert Wilson et Le Grand Théâtre du monde de Calderon, mis en scène par Christian Schiaretti. Deux productions de la Comédie-Française. "Dans le Calderon, il y a une comédienne remarquable, Audrey Bonnet. Son jeu résume ce qui fait une grande actrice, un soupçon de céleste et un soupçon terrien." Il évoque tous ces très grands, trop méconnus du grand public et des médias, comme Christine Fersen, Catherine Hiegel, Laurent Terzieff... "Il faut aller voir ces artisans de notre métier." Beau mot de la fin, non !
Paru le 04/10/2004
ONDINE
THÉÂTRE ANTOINE
Du jeudi 9 septembre 2004 au dimanche 9 janvier 2005

COMÉDIE. Ondine, fille des eaux, confiante dans la puissance de l'amour qu'elle éprouve pour le Chevalier Hans, accepte le pacte du Roi des Ondins: elle partira et vivra son amour humain, mais, si Hans la trahit, il mourra et Ondine retournera au lac, perdant jusqu'au souvenir de son existence terrestre.

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