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D.R.
Spécial Avignon par Flammenn Jan
Laurent Rochut, directeur de la Factory

Le soleil est déjà bien présent, les cigales chantent, et nous voilà Place Crillon pour rencontrer Monsieur Laurent Rochut, qui a très aimablement accepté de nous rencontrer, pour nous parler de lui, et de son métier de directeur de théâtre, puisqu'il est à la tête des trois salles formant la Factory (Théâtre de l'Oulle, la Salle Tomasi et la Chapelle des Antonins). Être directeur et programmateur, c'est avant tout un métier passion !
Parlez-nous de votre parcours avant d'être à la tête de la Factory...

Mon histoire avec le théâtre commence avec le jeu. Je suis arrivé au théâtre d'abord personnellement, comme spectateur. Le théâtre en profession est venu très tard. J'ai été chroniqueur et éditorialiste, ma première activité était donc d'écrire, et j'ai écrit de nombreuses pièces avant même d'être acteur. Et puis un jour, je me suis dit « ce serait bien de savoir ce qu'il se passe sur le plateau ».
Je me suis découvert une passion pour la Commedia Dell'arte, j'ai appris cet art avec un des plus grands maîtres d'Europe, Carlo Boso et j'ai monté ma compagnie. Je me suis dirigé vers cet art qui est l'un des théâtres les moins littéraires, parce que la Commedia c'est très animal, il n'y a pas de psychologie, et le jeu y est finalement plus important que le texte. Au même moment j'étais professeur des écoles, j'ai donc écrit beaucoup de pièces pour le jeune public (7/8 ans) en essayant de traiter des sujets actuels, mais avec un masque.
Jusqu'au jour où je suis arrivé à Avignon. Entre temps, ma passion pour le théâtre ne me faisait pas vivre, j'ai quitté l'enseignement pour monter des magazines, avec mon groupe de presse Donna Presse (dont les magazines : Côté famille, Je suis enceinte).
J'ai donc débarqué à Avignon en 2012, fier de mon parcours professionnel, mais avec la certitude que j'arrivais à la fin de ce chapitre. J'ai continué à écrire des romans, j'en ai publié. J'avais l'envie de rassembler ma compétence pour l'entreprenariat et mon goût pour la littérature et le théâtre. En 2015, j'ai pu acheter le théâtre de l'Oulle, et fin 2016 j'ai fait paraitre mes derniers numéros de magazine. Début 2017, j'ai également vendu le site internet, et j'ai pu avec cet argent investir dans les travaux de la deuxième salle : la Salle Tomasi. Et le théâtre est vraiment devenu ma seule et unique profession.

Quel était votre souhait en devenant directeur et programmateur d'un théâtre ?

Jusque-là je faisais du théâtre de façon très ludique, mais j'avais un regard (et l'envie) de faire du théâtre de façon plus écrit, plus littéraire, plus politique, plus engagé, et l'acquisition d'un lieu m'a permis de le faire. Même si je suis directeur de théâtre, j'ai toujours cela derrière la tête : à quoi doit servir un théâtre dans la cité ? Comment on considère que programmer c'est être sur le front de quelque chose, au niveau culturel, intellectuel, artistique ?
Avoir un lieu m'a permis de terminer un chapitre, celui de la commedia, de l'enfance de l'art, pour pouvoir écrire et monter des textes plus forts. Dès 2016, j'ai pu mettre en scène « Une bête sur la lune », un texte sur le génocide arménien, puis en 2017, un spectacle sur Claude Nougaro « Nougaro, l'homme aux semelles de swing », avec Christian Laborde. Cette année ce sera un Koltès « Dans la solitude des champs de coton », dans lequel j'interroge les rapports de l'Afrique et de l'Occident.

« J'ai envie d'utiliser le théâtre pour parler de vrais sujets d'actualités »


Pouvez-vous nous expliquer comment on décide de la programmation de trois salles ?

Dans l'année, je travaille beaucoup avec des appels à projets, puisque ma fonction principale sur le territoire (hors festival) c'est d'être un lieu de résidence, d'accueil et d'accompagnement de la création. Je fais un appel à projet en décembre pour les compagnies de danse contemporaine, et un autre pour le théâtre. Je reçois énormément de demandes, je filtre selon mes envies de programmer. Je cherche avant tout des écritures qui parlent de sujets sociétaux pour le théâtre, et des choses contemporaines et urbaines pour la danse.
Je suis arrivé à Avignon en me disant qu'il y avait des compagnies dans toute la France qui n'ont pas d'endroits pour travailler, et c'est à eux que je veux donner une chance.
Ce que je cherche surtout, c'est de pouvoir accompagner et suivre les compagnies le plus tôt possible dans leur projet de création jusqu'à ce que, s'ils en ont les moyens et l'envie, ils fassent le OFF à la Factory. Il n'y a que 10% de ceux que j'accueille en résidence dans l'année qui font ensuite le off chez nous.
Pour tout le reste, c'est une énorme sélection encore une fois. Cette année il y a 29 spectacles sélectionnés pour le OFF, sur plus de 250 demandes. La programmation, je la fais tout au long de l'année : je vais voir énormément de spectacles partout en France, je rencontre les artistes au festival, et il y a les dossiers que je reçois. Cela fait énormément de matière !

Quelles sont vos impressions sur cette 77ème édition ?

J'ai l'impression que l'on part sur une très belle édition. Je remarque aussi que les sujets sociétaux, font venir un public rajeuni. Je vois énormément de festivaliers de moins de 35 ans, et quand on sait que la moyenne des spectateurs de théâtre est autour de 50/55 ans, je suis assez heureux de me dire que finalement on n'a pas tellement de problème de renouvellement de public. L'enjeux c'est simplement d'amener des sujets qui parlent au public plus jeune. À titre d'exemple, « Denali » (qui se joue au théâtre de l'Oulle à 15h30), cartonne, et cela grâce aux sujets abordés : les réseaux sociaux, des clins d'œil aux séries connues dans la scénographie ! Le public n'est pas à renouveler, ce sont les propositions qu'il faut diversifier.

Quel conseil pourriez-vous donner à nos adhérents pour cette édition 2023 ?

C'est difficile. Les 29 spectacles que je programme dans mes salles, je les ai forcément aimés. Quand je me décide à les programmer, je me dis « Est-ce que tu es prêt à te battre et à les défendre bec et ongles devant le public, la presse ? » Peut-être que je peux en nommer un parce qu'il est symptomatique du travail que je fais à l'année, pas parce que je le préfère aux autres, attention. C'est « Home Movie » au théâtre de l'Oulle, de Jérôme Waquiez. Jérôme est venu faire deux résidences en deux ans et demi ici, il y a eu différentes étapes de travail, on a vraiment accompagné ce projet depuis la naissance, et il fait le OFF ici. Le texte de Suzanne Joubert n'est pas facile, mais incroyable. Il frôle l'absurde entre Ionesco et Beckett et parle de l'altérité, des rapports de voisinages, avec une poésie incroyable. C'est un très beau travail, et il représente aussi le travail que j'aime faire : voir naître un projet dès le début, et l'accompagner !



Chers adhérents et adhérentes présents au Festival d'Avignon, maintenant que vous en savez un peu plus sur la Factory, elle n'attend plus que vous. Avec 29 spectacles au programme, vous devriez normalement trouver de quoi vous sustenter.
Paru le 19/07/2023