Dossier par Philippe Escalier
Hedwig
la comédie musicale rock s’installe à la Scala
Après son succès au Festival d'Avignon, « Hedwig and the Angry Inch » de John Cameron Mitchell arrive à Paris, porté par une remarquable équipe musicale (Anthea Chauvière, Raphaël Sanchez, Antonin Holub, Lucie Wendremaire, Louis Busset ) autour de l'époustouflant Brice Hillairet dans une adaptation et une mise en scène de Dominique Guillo.
Dominique Guillo
La comédie musicale rock « Hedwig », qui raconte l'histoire incroyable d'un jeune garçon parvenant à quitter l'Allemagne de l'Est et à devenir une fille, a été créée à Broadway par John Cameron Mitchell. Le succès est tel qu'il peut, très rapidement, en faire un film où il incarne le rôle titre. C'est par lui que Dominique Guillo a rencontré l'œuvre. Ludique, électrique, rock, country, sous une forme joyeuse et rythmée, ce récit où la chanson principale du spectacle s'intitule « L'Origine de l'amour » est à la fois triste et beau. Au-delà du thème particulier, l'œuvre a été écrite pour toucher le public : « Ce film est arrivé à un moment charnière de ma vie sentimentale. Je l'ai vécu comme un choc qui a changé ma manière de voir les choses. Pour moi, il était vital de monter ce spectacle afin que le plus grand nombre puisse le découvrir. J'ai mis 18 ans pour le faire !».
Pour respecter le côté théâtral de « Hedwig », Dominique Guillo a eu deux exigences : le monter à Avignon et avec un comédien et non, comme on le lui a proposé au départ, avec un chanteur très connu. Le spectacle est riche en chansons, (onze en tout) mais il y a aussi 45 minutes de dialogues et de jeux de scène. De plus, Avignon est l'endroit idéal pour s'adresser aux gens du métier qui pouvaient ensuite porter le spectacle à Paris.
Le succès s'annonce évident, dés la première, le 7 juillet 2023 au Rouge Gorge, comme si le spectacle était attendu. Dominque Guillo confirme : « Si j'ai tenu 18 ans, c'est bien parce que j'étais certain que ce spectacle serait bien accueilli. Le soir de la première, connaissant le show par cœur, je n'ai regardé que les réactions du public (festivaliers, touristes, professionnels) et j'ai pu observer que tous étaient dans l'écoute et en osmose avec ce personnage magnifique. C'était très émouvant ! ».
Le choix de Brice Hillairet pour le rôle titre ne doit rien au hasard. Dominique Guillo a fait tourner le comédien dans « Duval et Moretti » pour M6, puis l'a dirigé dans « Récréation » de Sam Azulys et Arnaud Bertrand au Chêne Noir. Il précise : « Je lui ai toujours dit que l'on irait plus loin ensemble un jour. Je lui ai montré le film. Il a été tellement bouleversé qu'il a préparé deux chansons, parmi les plus difficiles du spectacle, qu'il est venu chanter chez moi quelques semaines plus tard ». Brice Hillairet s'étant, comme à son habitude, beaucoup investi, Dominique Guillo n'a aucune hésitation : « Pour moi, Brice était l'évidence et je n'aurais jamais donné ce rôle dans ce spectacle qui me tient tellement à cœur, juste par amitié ». Encouragés par le fait d'avoir trouvé le bon casting, Dominique Guillo et Brice Hillairet ont, en deux ans, achevé un travail initié seize ans plus tôt et que les parisiens vont enfin pouvoir découvrir !
Brice Hillairet
Ce rôle que l'on qualifiera volontiers de monumental, vous l'avez accepté sans hésitation ?
C'est d'évidence un rôle complet et c'est cela qui m'a attiré tout de suite, non sans m'impressionner. Au début, j'ai eu peur de la partie chantée, elle est énorme, très rock, c'est une des choses que je n'ai jamais faites. J'ai beaucoup travaillé la part musicale et puis, je me suis dit qu'il ne fallait pas oublier que c'était d'abord du théâtre, avec un personnage central et une fiction, ce qui a contribué à me rassurer. Nous avons une histoire à raconter que le texte, les chansons (traduites en vidéo) et le décor aident à comprendre. Ce spectacle est un mélange de plein de genres, ce qui me va tout à fait, puisque ce que j'aime dans ce métier c'est ce qui déborde. Alors oui, bien sûr, j'ai douté, mais je doute tout le temps et si je ne doute pas, je ne peux rien faire !
Comment cette proposition est-elle venue jusqu'à vous ?
Il y a trois ans, Dominique Guillo m'a présenté ce projet dont il rêvait depuis vingt ans après avoir vu le film et le spectacle à Broadway. Il m'a montré le film tourné en 2001 par John Cameron Mitchell. Je suis tombé à la renverse et j'ai été bouleversé, j'en ai encore la chair de poule rien que d'en parler. Je lui ai dit qu'il devait le faire et j'ai immédiatement suggéré plusieurs noms pour le rôle. Le confinement a tout arrêté. Lorsque nous en sommes sortis en 2020, un événement est intervenu : j'ai décroché un Molière*. Inutile de dire que cela change un peu la vie. Je me suis dit qu'il fallait que cette récompense me soit utile et me permette de faire ce que j'avais envie de faire. J'ai repensé à "Hedwig". Avec Dominique Guillo, nous avons énormément échangé autour du personnage et de sa destinée. Ce rôle a été nourri par mon expérience, en travaillant beaucoup sur le texte et sur la musique avec mon prof Jérémy Reynolds qui est un super coach.
Il y a dans « Hedwig » un thème fort à défendre, celui de la tolérance !
Le sujet est très important. Le spectacle a été créé il y a 25 ans aux États-Unis quand, en France, on était à mille lieux de ça et d'ailleurs, il faudra 25 ans pour que nous puissions enfin l'accueillir. Pour moi, ce qui est très important, au-delà de la lutte contre toutes les formes de discriminations, c'est surtout qu'il permet de dire haut et fort : « Une bonne fois pour toutes, laissons les gens décider de ce qu'ils sont ! »
Revenons un instant sur le côté spectaculaire de votre performance. Il faut avoir la voix mais aussi la condition physique !
Oui c'est très sportif mais j'aime cela. Je dois être un peu maso parce que cela me plait d'être attiré par une montagne qui, sur le moment, semble difficile à franchir. Pour moi, si le col est trop facile à monter, j'y vais en trainant la patte.
L'accueil lors du Festival d'Avignon vous a-t-il surpris ?
Je suis content que, d'une manière générale, les gens s'y intéressent. Dans tous les cas, il faut découvrir cette œuvre qui ouvre beaucoup de portes et qui se révèle très riche avec énormément de couches et de sous-couches. Je trouve très chouette qu'"Hedwig" arrive en France car c'est une grande œuvre et une œuvre de fiction. Certains ont pu penser que c'était une histoire vraie. Non, c'est de la pure fiction qui parle de l'intime, tout le temps. Nous avons besoin de fiction : la réalité, on est déjà dedans !
Au Café de la Danse, quelles seront les différences avec la version d'Avignon ?
Nous aurons une scène beaucoup plus grande qui va nous laisser plus de liberté encore, dont celle de faire apparaitre une Trabant. Et nous serons installés sur la durée jusqu'à juin 2024.
Paru le 27/02/2023
(27 notes) LA SCALA PARIS Jusqu'au samedi 4 janvier 2025
COMÉDIE MUSICALE. À travers ses chansons et ses confidences, Hedwig, chanteuse rock transgenre est-allemande "ignorée au niveau international", accompagnée de son choriste et mari Yitzhak et de son groupe The Angry Inch, raconte son parcours chaotique : son adolescence de mauvais garçon à Berlin-Est, sa fascination...
|