Dossier par Vincent Goupy
Le Théâtre Comedia
Le Théâtre Comedia célébrera bientôt ses 150 ans. Directeur depuis dix ans, Maurice Molina redonne un coup de jeune à la salle et ouvre la saison avec "S'agite et se pavane", d'Ingmar Bergman, renouant ainsi avec la vocation première de l'ancien Eldorado : le mélange des genres.
La destinée du Grand Café Concert du boulevard de Strasbourg
Dès son ouverture en 1858, l'Eldorado est la plus fastueuse des nombreuses salles de café-concert de Paris. Il faut imaginer un immense café où l'on vient boire, fumer et écouter de la musique. Ce n'est qu'en 1867 que son directeur, Lorge, y introduit des spectacles avec costumes et changements de décors, jusqu'alors réservés aux seuls théâtres. L'Eldorado donne ainsi de petits vaudevilles, opérettes populaires et chansons grivoises.
Hervé, inventeur de l'opérette, devient le chef d'orchestre de l'Eldorado, rival des Bouffes-Parisiens d'Offenbach et de La Scala (située de l'autre côté du boulevard). Le ton s'y fait patriotique avec la Commune et les chansons de Paul Déroulède, avant l'arrivée fracassante d'Yvette Guilbert, de Mistinguett (dix ans à l'affiche du théâtre), et les débuts de Maurice Chevalier.
De l'opérette au théâtre, en passant par le cinéma
Après la Grande Guerre, le music-hall et le cinéma se développent : en 1932, l'Eldorado est réaménagé en un cinéma de 2 000 places, et ça durera ainsi quarante ans. Mais, frappé par la concurrence des salles modernes, le théâtre retrouve en 1971 une programmation de divers spectacles vivants. Michel Galabru y reprend Les Rustres de Goldoni en 1981, et en 1990, il se consacre à l'opérette, notamment celles de Francis Lopez. Mais c'est Maurice Molina qui, dès 1994, rendra au théâtre ses plus grandes ambitions.
Maurice Molina
et le grand théâtre populaire
Dès son arrivée, il met à l'affiche l'unique pièce de théâtre de Balzac, peu jouée : Le Faiseur, avec Jean-François Balmer. Suivront l'iconoclaste L'École des maris de Molière et les Poubelles Boys, puis Six Personnages en quête d'auteur de Pirandello avec quelques grands noms à l'affiche, dont Lavelli pour la mise en scène et Elsa Zylberstein et Michel Duchaussoy sur scène.
C'est l'ancien propriétaire du lieu qui contraint Maurice Molina à changer le nom du lieu : en 2000, il devient le Théâtre Comedia. Originalité et diversité : en accueillant Marciel en campagne de Marc Hollogne, qui mêle cinéma et théâtre, le spectacle satirique de Laurent Baffie Sexe, magouilles et
culture générale ou le spectacle musical de Patrick Dupont L'Air de Paris, Maurice Molina confirme qu'il veut faire du Théâtre Comedia un nouvel Eldorado du théâtre populaire - et exigeant : S'agite
et se pavane fera sans doute découvrir Bergman, auteur de théâtre, à plus d'un spectateur.
Ingmar Bergman
auteur de "S'agite et se pavane"
Le cinéaste, scénariste et écrivain suédois
est avant tout un homme de théâtre. Il évoque
dans ses textes la magie des planches.
Une coqueluche française
Bergman (né le 14 juillet 1918) connaît en France un succès particulier depuis la fin des années 50, où Godard, Truffaut et Rohmer le découvrent avec un égal enthousiasme, en même temps que Fellini. Aujourd'hui, le cinéma parisien Saint-André-
des-Arts présente, en un festival permanent, jusqu'au moins connu de ses films, pour la plupart disponibles en DVD (collection économique Les Films de ma vie).
Son exploration de l'intimité et sa réflexion sur le jeu des acteurs, Bergman les mène aussi dans des œuvres comiques : outre le mystique Septième Sceau, des films nourris de psychanalyse, Les Fraises sauvages ou À travers le miroir, et son psychodrame Scènes de la vie conjugale, il a réalisé une farce, Toutes ses femmes, et une comédie, Sourires d'une nuit d'été.
"Le théâtre, c'est l'épouse fidèle. Le cinéma, la maîtresse exigeante et coûteuse"
Mais Bergman est avant tout metteur en scène, tout jeune directeur du théâtre municipal d'Helsingborg, en face du Danois Elseneur d'Hamlet... Il monte Shakespeare, Molière et... Mozart (voir son film
La Flûte enchantée). On peut suivre le fil autobiographique à travers le regard de deux enfants dans Fanny et Alexandre, mais aussi par la lecture de Laterna Magica.
Roger Planchon
met en scène et interprète "S'agite et se pavane"
Homme de théâtre complet, Roger Planchon incarne cinquante ans de théâtre populaire et de décentralisation théâtrale.
Le "metteur en scène et cow-boy" de l'Ardèche
Autodidacte du théâtre, Roger Planchon y a débuté en amateur. Alors que Vilar créait le Théâtre National Populaire à Paris, il montait à Villeurbanne en 1957 le Théâtre de la Cité (label TNP, en 1972). Il est ainsi le premier à installer une troupe de comédiens professionnels en province avec un répertoire moderne. Le premier aussi, il comprend la nécessité de travailler en partenariat avec les associations de théâtre et les comités d'entreprise. Marqué par le réalisme épique et social de Brecht, il est partisan d'un dépoussiérage des classiques, et fait fureur à Paris avec un Shakespeare et un Marivaux mémorables.
La folie douce des planches
Roger Planchon a réalisé trois films, dont Louis, enfant roi (1993) sur Louis XIV le Roi-Soleil, et a créé un organisme d'aide à la production, Rhône-Alpes Cinéma. Il est l'auteur de nombreuses pièces, dont La Remise, dans laquelle il évoque les personnages âpres et misérables de sa jeunesse ardéchoise. En outre, il a été l'interprète d'une douzaine de rôles, dont un curé et un banquier, mais aussi Tartuffe et Harpagon...
Le voici donc à nouveau sur les planches, dans un rôle de vieillard à la folie douce, un illuminé qui lui va comme un gant...
"S'agite et se pavane"
dernière pièce d'Ingmar Bergman
Autour de la figure pittoresque de l'oncle Carl, improbable inventeur du cinéma et gentiment faible d'esprit, Bergman fait surgir tout l'univers du théâtre, entre folie douce-amère et magie du spectacle. Roger Planchon et Jackie Berroyer y évoluent comme des bouffons sur des tréteaux...
L'oncle Carl, inventeur magicien
Dans Laterna Magica, Bergman évoque cet oncle faible d'esprit, "affectueux et câlin comme un gros chien", libidineux et urinomane, mais surtout inventeur prolixe. Avec son cinématographe ambulant et l'amour qu'il inspire à sa petite troupe, il refait
l'histoire à l'envers : du cinéma au théâtre...
Bergman, le Fellini du Nord
La ressemblance entre les deux artistes est ici frappante : l'énergie des comédiens et la magie d'un théâtre fait de bouts de ficelles, auquel Planchon donne des airs de cirque.
Le titre de la pièce S'agite et se pavane vient de la fin du Macbeth de Shakespeare : la vie est "un fantôme errant, un pauvre comédien qui s'agite et se pavane une heure sur scène... une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur...".
Dans un décor à la fois grandiose et vétuste, mi-hôpital mi-salle de spectacle improvisée, sur le vaste plateau tout neuf du Théâtre Comedia, Planchon et sa vingtaine de comédiens évoquent un univers réjouissant et émouvant, subtilement tissé de
dérision et de célébration.
Dès son ouverture en 1858, l'Eldorado est la plus fastueuse des nombreuses salles de café-concert de Paris. Il faut imaginer un immense café où l'on vient boire, fumer et écouter de la musique. Ce n'est qu'en 1867 que son directeur, Lorge, y introduit des spectacles avec costumes et changements de décors, jusqu'alors réservés aux seuls théâtres. L'Eldorado donne ainsi de petits vaudevilles, opérettes populaires et chansons grivoises.
Hervé, inventeur de l'opérette, devient le chef d'orchestre de l'Eldorado, rival des Bouffes-Parisiens d'Offenbach et de La Scala (située de l'autre côté du boulevard). Le ton s'y fait patriotique avec la Commune et les chansons de Paul Déroulède, avant l'arrivée fracassante d'Yvette Guilbert, de Mistinguett (dix ans à l'affiche du théâtre), et les débuts de Maurice Chevalier.
De l'opérette au théâtre, en passant par le cinéma
Après la Grande Guerre, le music-hall et le cinéma se développent : en 1932, l'Eldorado est réaménagé en un cinéma de 2 000 places, et ça durera ainsi quarante ans. Mais, frappé par la concurrence des salles modernes, le théâtre retrouve en 1971 une programmation de divers spectacles vivants. Michel Galabru y reprend Les Rustres de Goldoni en 1981, et en 1990, il se consacre à l'opérette, notamment celles de Francis Lopez. Mais c'est Maurice Molina qui, dès 1994, rendra au théâtre ses plus grandes ambitions.
Maurice Molina
et le grand théâtre populaire
Dès son arrivée, il met à l'affiche l'unique pièce de théâtre de Balzac, peu jouée : Le Faiseur, avec Jean-François Balmer. Suivront l'iconoclaste L'École des maris de Molière et les Poubelles Boys, puis Six Personnages en quête d'auteur de Pirandello avec quelques grands noms à l'affiche, dont Lavelli pour la mise en scène et Elsa Zylberstein et Michel Duchaussoy sur scène.
C'est l'ancien propriétaire du lieu qui contraint Maurice Molina à changer le nom du lieu : en 2000, il devient le Théâtre Comedia. Originalité et diversité : en accueillant Marciel en campagne de Marc Hollogne, qui mêle cinéma et théâtre, le spectacle satirique de Laurent Baffie Sexe, magouilles et
culture générale ou le spectacle musical de Patrick Dupont L'Air de Paris, Maurice Molina confirme qu'il veut faire du Théâtre Comedia un nouvel Eldorado du théâtre populaire - et exigeant : S'agite
et se pavane fera sans doute découvrir Bergman, auteur de théâtre, à plus d'un spectateur.
Ingmar Bergman
auteur de "S'agite et se pavane"
Le cinéaste, scénariste et écrivain suédois
est avant tout un homme de théâtre. Il évoque
dans ses textes la magie des planches.
Une coqueluche française
Bergman (né le 14 juillet 1918) connaît en France un succès particulier depuis la fin des années 50, où Godard, Truffaut et Rohmer le découvrent avec un égal enthousiasme, en même temps que Fellini. Aujourd'hui, le cinéma parisien Saint-André-
des-Arts présente, en un festival permanent, jusqu'au moins connu de ses films, pour la plupart disponibles en DVD (collection économique Les Films de ma vie).
Son exploration de l'intimité et sa réflexion sur le jeu des acteurs, Bergman les mène aussi dans des œuvres comiques : outre le mystique Septième Sceau, des films nourris de psychanalyse, Les Fraises sauvages ou À travers le miroir, et son psychodrame Scènes de la vie conjugale, il a réalisé une farce, Toutes ses femmes, et une comédie, Sourires d'une nuit d'été.
"Le théâtre, c'est l'épouse fidèle. Le cinéma, la maîtresse exigeante et coûteuse"
Mais Bergman est avant tout metteur en scène, tout jeune directeur du théâtre municipal d'Helsingborg, en face du Danois Elseneur d'Hamlet... Il monte Shakespeare, Molière et... Mozart (voir son film
La Flûte enchantée). On peut suivre le fil autobiographique à travers le regard de deux enfants dans Fanny et Alexandre, mais aussi par la lecture de Laterna Magica.
Roger Planchon
met en scène et interprète "S'agite et se pavane"
Homme de théâtre complet, Roger Planchon incarne cinquante ans de théâtre populaire et de décentralisation théâtrale.
Le "metteur en scène et cow-boy" de l'Ardèche
Autodidacte du théâtre, Roger Planchon y a débuté en amateur. Alors que Vilar créait le Théâtre National Populaire à Paris, il montait à Villeurbanne en 1957 le Théâtre de la Cité (label TNP, en 1972). Il est ainsi le premier à installer une troupe de comédiens professionnels en province avec un répertoire moderne. Le premier aussi, il comprend la nécessité de travailler en partenariat avec les associations de théâtre et les comités d'entreprise. Marqué par le réalisme épique et social de Brecht, il est partisan d'un dépoussiérage des classiques, et fait fureur à Paris avec un Shakespeare et un Marivaux mémorables.
La folie douce des planches
Roger Planchon a réalisé trois films, dont Louis, enfant roi (1993) sur Louis XIV le Roi-Soleil, et a créé un organisme d'aide à la production, Rhône-Alpes Cinéma. Il est l'auteur de nombreuses pièces, dont La Remise, dans laquelle il évoque les personnages âpres et misérables de sa jeunesse ardéchoise. En outre, il a été l'interprète d'une douzaine de rôles, dont un curé et un banquier, mais aussi Tartuffe et Harpagon...
Le voici donc à nouveau sur les planches, dans un rôle de vieillard à la folie douce, un illuminé qui lui va comme un gant...
"S'agite et se pavane"
dernière pièce d'Ingmar Bergman
Autour de la figure pittoresque de l'oncle Carl, improbable inventeur du cinéma et gentiment faible d'esprit, Bergman fait surgir tout l'univers du théâtre, entre folie douce-amère et magie du spectacle. Roger Planchon et Jackie Berroyer y évoluent comme des bouffons sur des tréteaux...
L'oncle Carl, inventeur magicien
Dans Laterna Magica, Bergman évoque cet oncle faible d'esprit, "affectueux et câlin comme un gros chien", libidineux et urinomane, mais surtout inventeur prolixe. Avec son cinématographe ambulant et l'amour qu'il inspire à sa petite troupe, il refait
l'histoire à l'envers : du cinéma au théâtre...
Bergman, le Fellini du Nord
La ressemblance entre les deux artistes est ici frappante : l'énergie des comédiens et la magie d'un théâtre fait de bouts de ficelles, auquel Planchon donne des airs de cirque.
Le titre de la pièce S'agite et se pavane vient de la fin du Macbeth de Shakespeare : la vie est "un fantôme errant, un pauvre comédien qui s'agite et se pavane une heure sur scène... une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur...".
Dans un décor à la fois grandiose et vétuste, mi-hôpital mi-salle de spectacle improvisée, sur le vaste plateau tout neuf du Théâtre Comedia, Planchon et sa vingtaine de comédiens évoquent un univers réjouissant et émouvant, subtilement tissé de
dérision et de célébration.
Paru le 15/11/2004