Dossier par Philippe Escalier
Voyage au cœur du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique
Le Conservatoire, l'école de tous les superlatifs, est créé dès 1786 pour « conserver » l'art des acteurs de la Comédie Française. De nombreuses évolutions sont intervenues au fil du temps dont celle de 1946 qui marque la scission entre les deux Conservatoires, de Musique et d'Art Dramatique. Nous laissons la parole à Grégory Gabriel, son directeur des études, qui nous a présenté cette grande maison.
L'enseignement
Établissement public d'enseignement supérieur financé par le Ministère de la Culture, le Conservatoire a instauré le recrutement de ses élèves par concours. Si 2000 candidats postulent chaque année, seuls 30 élèves sont retenus, 15 garçons et 15 filles, pour suivre une formation étalée sur 3 ans, débouchant sur un diplôme national. Dans les dix dernières années, ont été créés un deuxième cycle de formation à la mise en scène (à un niveau master) et un troisième cycle de recherche et création (un doctorat validant une compétence artistique qui est unique en Europe).
Sur le plan administratif, 35 personnes divisées en 3 pôles, technique, études et secrétariat général sont chapotées par une directrice, Sandy Ouvrier, élève au Conservatoire entre 1990 et 1993, qui a succédé à Claire Lasne Darcueil en juillet 2023.
« L'intérêt du conservatoire est de vous empoisonner avec des trucs dont vous ne comprenez pas l'utilité immédiate, qui cependant sont nécessaires » Louis Jouvet, 1936
Entre 110 et 120 élèves sont présents au Conservatoire. La première année est consacrée aux fondamentaux, avec l'enseignement de disciplines comme l'interprétation, la danse, le clown, le masque, la dramaturgie, l'histoire du théâtre, l'anglais, et ce, dans le cadre de cours hebdomadaires. En deuxième année, les cours hebdomadaires sont combinés avec des master class qui durent de 3 à 4 semaines et qui permettent un autre type d'enseignement, avec le choc de la rencontre. Dans ce but, un artiste est invité, aborde soit une œuvre, soit une discipline particulière, soit sa manière de travailler en termes de direction d'acteurs ou de mise en scène. Sur un plan pédagogique, ces rencontres font avancer les élèves dans leur pratique, en leur permettant de mettre leurs enseignements en perspective. En troisième année, il n'y a plus que des ateliers, avec des artistes invités. Les deux salles de spectacle du Conservatoire peuvent alors être utilisées. Actuellement, deux groupes ont été formés, l'un autour de Jean-François Sivadier l'autre avec Julie Deliquet. Ces travaux aboutissent à des représentations publiques gratuites.
Il est à noter que le corps enseignant est uniquement constitué d'artistes en activité s'intéressant à la pédagogie et désireux de transmettre.
« Faire connaître et comprendre des choses au-delà de la scène, où l'on déploie encore trop souvent narcissisme et nombrilisme. Il faut initier les élèves au théâtre en général, et pas simplement à leurs problèmes d'acteurs, qui sont parfois de petits problèmes. » Jean-Pierre Miquel
Le Conservatoire offre une formation particulièrement solide à l'issue de laquelle l'insertion professionnelle est assurée (70 % de la troupe de la Comédie Française est constituée d'anciens élèves du Conservatoire), d'autant qu'après leur formation, ils deviennent artistes du Jeune Théâtre National, structure d'insertion qui leur est dédiée, leur permettant de passer des auditions.
Le concours
Antoine Vitez se présente au concours d'entrée en 1951, il est recalé dès le 1er tour.
Pour s'inscrire au concours d'entrée, entre octobre et novembre, il faut avoir plus de 18 ans, moins de 26 ans et justifier d'une année complète de formation pratique intensive, dans un établissement privé ou public. Il est possible de le présenter 5 fois.
Le concours requiert la préparation de 4 scènes : 1 scène en alexandrin français, 2 scènes, l'une écrite avant 1980, l'autre écrite après. Une nouveauté est apparue depuis cette année : l'une de ces 3 scènes doit avoir été écrite par une autrice. Reste une 4eme scène intitulée « parcours libre », faisant appel à une autre forme d'expression artistique que le théâtre.
Ce moment important dans la vie du Conservatoire, particulièrement lourd à gérer, se déroule en 3 tours. Sont alors constitués plus de 60 jurys différents (5 jurys par jour pendant 12 jours. Chaque jury est composé de 5 personnes, présidé par un membre de l'école et composé de professeurs et personnalités extérieures. Au 1er tour, 2000 candidats passent devant les jurys pour y jouer 2 ou 3 de ces scènes. Le second tour (il reste alors 200 candidats) a lieu en avril avec 2 scènes et un entretien face à un jury unique. Le troisième tour se passe en mai, les 60 candidats restants présentent dans la grande salle du théâtre une scène à l'issue de laquelle on les refait travailler dans le but d'observer leur souplesse et leur façon de s'adapter à des consignes de jeu.
L'ouverture à la diversité
Le Conservatoire, comme toutes les écoles, a beaucoup travaillé pour s'ouvrir à des populations nouvelles et notamment des jeunes un peu éloignés de la culture. C'est ainsi que sont organisées des formations de préparation au concours gratuites, dans des zones d'éducation prioritaires, comme à Bobigny ou Arcueil ou en lançant des campagnes de communication et en faisant intervenir d'anciens élèves dans des écoles pour expliquer que le Conservatoire était ouvert à tous. Globalement, cela a produit des résultats et une population éloignée de la culture pour des raisons sociologiques, culturelles ou géographiques a pu présenter le concours d'entrée. Une politique efficace, favorisant l'arrivée de nouveaux candidats sans pour autant instaurer une politique de quotas. Cela a beaucoup changé le visage du Conservatoire, et, par conséquent, a contribué à changer les choses dans le métier, quand bien même cela reste encore insuffisant.
L'exigence nouvelle d'avoir une autrice présente au concours était nécessaire quand on sait que, sur les dix dernières années, 10 % des présentations publiques étaient des spectacles écrits par des autrices. C'est donc bien tout un ensemble de choses qui doivent évoluer avec au bout de la chaine, les récits. Si l'on veut que des populations nouvelles poussent les portes des théâtres, encore faut-il que les discours et les histoires leur parlent. Dans ce domaine comme dans d'autres, le Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique a démontré une remarquable capacité à s'ouvrir à la modernité.
Paru le 12/06/2024