Dossier par Jeanne Hoffstetter
Glenn, naissance d’un prodige
au Petit Montparnasse
Glenn Gould... Génie pour les uns, fou pour d'autres, une énigme en tout cas... Un artiste singulier au destin tragique qui inspire à Ivan Calbérac une pièce superbe qu'il met également en scène.
Ivan Calbérac*, l'auteur et metteur en scène
Il aime la musique classique autant que moderne, joue du piano et nous savons que l'humour et l'émotion vont chez lui de pair «C'est ma façon de travailler, toujours mêler l'un à l'autre.» dit-il. Alors, pour peu que l'on s'intéresse à cet artiste hors normes, la vie de Glenn Gould était un sujet en or dans lequel il a puisé. Quelles furent ses impressions lorsqu'il a découvert le pianiste et comment est né ce désir d'écrire à son propos ? «Je l'ai découvert il y a longtemps et j'avais d'emblée été touché par ses interprétations, notamment la version qu'il a enregistrée à 49 ans de l'Aria, des "Variations Goldberg" de Bach, qui est une merveille de pureté. A l'époque je ne connaissais pas grand-chose de ce personnage, mais il m'attirait. J'ai enquêté et découvert un destin incroyable et bouleversant. Dans le monde de la musique classique il détonnait parce qu'il révolutionnait la manière de jouer du piano. Il revisitait les œuvres de Bach et Beethoven comme un metteur en scène d'aujourd'hui peut revisiter Molière ou Shakespeare. En jouant ou en composant il se donnait une liberté jubilatoire. C'est un artiste qui sans cesse interrogeait son art. Jeune, il était en plus très charismatique.»
Petit garçon, il fut poussé par une mère tyrannique reportant sur son fils ses propres rêves avortés de devenir concertiste, en entretenant avec lui une relation fusionnelle. « Oui, et c'est ce qui l'a en partie déséquilibré je pense. »
On dit, au regard de ses phobies, de ses manies, de cette décision prise très jeune de refuser les concerts pour s'isoler et travailler seul en studio, qu'il était atteint d'une forme d'autisme, l'Asperger. Comment s'attaquer à un tel sujet pour en faire une pièce de théâtre d'une heure trente ? « Je ne voulais ni un biopic, ni une pièce sur la musique, bien que le comédien qui interprète Glenn joue vraiment du piano sur scène. J'ai choisi de traiter cette histoire sous l'angle du rapport à sa mère, ainsi qu'à sa cousine et à leur histoire d'amour jamais réellement vécue. J'ai voulu raconter une histoire de famille et d'éducation, celle d'un jeune homme que ses parents ont mis au piano dès l'âge de deux ans et demi. En ce sens la pièce a une dimension tragique, même si ce tragique est aussi matière à comédie. Les premiers spectateurs ici à Avignon rient beaucoup, tout en étant apparemment profondément touchés. Pour en arriver là j'ai commencé par un minutieux travail de documentation, puis l'écriture a été longue et complexe car je ne voulais évoquer que ce qui avait un sens par rapport au prisme que j'avais choisi. Je voulais que ce soit rythmé, touchant et drôle, qu'il se passe tout le temps quelque chose. Nous avons imaginé une scénographie inspirée des tableaux d'Edward Hooper pour leur ambiance Nord-Américaine. Et grâce à la vidéo, à différents choix de mise en scène, ainsi qu'aux effets de lumière, le décor évolue beaucoup. Avec les comédiens, l'idée était de ne jamais oublier qu'on parle d'un musicien, donc nous avons beaucoup travaillé sur le tempo, le temps et les contre-temps qui étaient chers à Glenn Gould, et qui sont la clé au théâtre comme en musique. Aujourd'hui, on est tous très émus de voir comment la pièce est reçue, aussi bien par le public que la presse. C'est assez magique ! »
* Il met en scène "Les Humains" au Théâtre de la Renaissance et "La Dégustation", adapté de sa pièce et dont il est le réalisateur, sort au cinéma.
Thomas Gendronneau est Glenn Gould
Comédien aux multiples facettes, musicien, il aime aussi chanter et danser, alors être choisi pour se glisser dans la peau de Glenn Gould, l'enchante. Un rôle difficile, un grand rôle. « Ivan en se fixant sur l'aspect humain du personnage, mêle les trois histoires d'amour impossibles qu'il a vécues ; l'une avec sa cousine, l'autre avec sa mère, et la dernière avec la musique à travers le lien complètement raté qu'il a eu avec le public. C'est passionnant de raconter ces failles, sans caricaturer les personnages. Pour Glenn on s'est beaucoup interrogés sur le fait de savoir s'il était Asperger, ce qui est admis à priori. C'était un personnage mystérieux qui s'amusait lui-même des rumeurs qui couraient à son sujet, et prenait plaisir à les entretenir, comme sa supposée homosexualité. Mais quoi qu'il en soit, façonné par sa mère, hypochondriaque, bourré de TOCS, de peurs, c'était un génie qui avait un rapport très compliqué à la vie et à la création. Il a été très facile de suivre Ivan parce qu'il avait une vision claire, riche et pas consensuelle de ce qu'il voulait faire. Une vision à la fois drôle, émouvante et déchirante. Personnellement j'ai regardé beaucoup de vidéos d'archives de Glenn en train de jouer, pour parvenir à m'approprier son corps, ses attitudes. Notamment ses derniers enregistrements des "Variations Goldberg" où on le voit chantonner, avec cette position très particulière des mains. Je m'en suis beaucoup inspiré, comme de sa manière de parler. C'était quelqu'un de brillant. Ses biographies le montrent assez cynique, parlant de lui avec recul et humour. Mais ça c'est la manière dont il voulait se raconter. Dans le spectacle Ivan a sauté cette dimension très contrôlée qu'il donnait de lui, pour entrer directement dans les failles de l'intime. » Et que devient la fameuse chaise fabriquée par son père ? «Oui, oui, elle a été reproduite et lorsqu'elle est arrivée ça a vraiment changé quelque chose pour moi. Ce que j'appréhende maintenant c'est qu'à force de jouer ce personnage, je me mette à bouger, à manger, à respirer comme lui ! J'écoute du Glenn Gould et du Bach tout le temps. C'est vrai que quand il a un certain âge et que je mets des lunettes, que je joue un peu comme lui, il y a quelque chose d'assez troublant et je me prête complètement au jeu. C'est la première fois que j'incarne quelqu'un qui a existé et c'est fascinant.»
Bernard Malaka est le père
Lui qui pensait se concentrer sur La grande musique à Avignon, avoir pour une fois le temps de jouer et d'applaudir les copains, c'était sans compter la lecture de Glenn, naissance d'un prodige qui l'enthousiasme. « Ce qu'a fait Ivan m'a passionné. Je connaissais Glenn Gould, j'allais dire : comme tout le monde. Mais après avoir découvert sa vie, son exigence, cette décision qu'il avait prise d'arrêter les concerts à trente ans et de s'y tenir grâce à un stratagème, savoir qu'à deux ans il était enfermé dans les toilettes jusqu'à ce qu'il réussisse sa lecture de notes, sinon sa maman ne le laissait pas sortir, lui qui ne pensait qu'à la satisfaire, très honnêtement, maintenant je l'écoute différemment. Tout ça porte à une réflexion profonde. La question de savoir ce que serait devenu ce garçon, même doué à la base, sans cette mère. On se demande si les parents ont le droit de faire ça, pour se réaliser eux-mêmes au fond. On voit ça dans la littérature, dans l'art, dans le sport aussi. »
On parle toujours de la mère, mais moins du rôle du père dans la vie de Glenn Gould. Quel a été le sien ? « Là, c'est plus difficile de savoir en effet, alors je me fie à ce qu'a écrit Ivan. Je crois qu'il voyait les choses, essayait d'en parler mais était dans l'incapacité de s'imposer. Pourtant il était fier au fond de voir et de profiter de cette réussite. »
Comment Bernard Malaka se glisse-t-il dans ce personnage en demi-teinte, face à sa partenaire Josiane Stoléru, à l'opposé dans le rôle de la mère ? Drôle de couple ! Le comédien s'amuse « J'ai eu du mal avec ce personnage incapable de s'affirmer, de dire : Bon maintenant ça suffit ! Alors que mon tempérament est de dire clairement les choses. Quand j'en ai parlé à Josiane qui m'a dit : Moi, c'est l'inverse, je me laisse facilement imposer les choses ! Donc vous voyez, on fait tous les deux des efforts ! C'est la première fois que je joue avec elle. Artistiquement comme dans la vie on s'entend très bien. Et elle a beaucoup d'humour donc c'est facile et je suis ravi !»
Il aime la musique classique autant que moderne, joue du piano et nous savons que l'humour et l'émotion vont chez lui de pair «C'est ma façon de travailler, toujours mêler l'un à l'autre.» dit-il. Alors, pour peu que l'on s'intéresse à cet artiste hors normes, la vie de Glenn Gould était un sujet en or dans lequel il a puisé. Quelles furent ses impressions lorsqu'il a découvert le pianiste et comment est né ce désir d'écrire à son propos ? «Je l'ai découvert il y a longtemps et j'avais d'emblée été touché par ses interprétations, notamment la version qu'il a enregistrée à 49 ans de l'Aria, des "Variations Goldberg" de Bach, qui est une merveille de pureté. A l'époque je ne connaissais pas grand-chose de ce personnage, mais il m'attirait. J'ai enquêté et découvert un destin incroyable et bouleversant. Dans le monde de la musique classique il détonnait parce qu'il révolutionnait la manière de jouer du piano. Il revisitait les œuvres de Bach et Beethoven comme un metteur en scène d'aujourd'hui peut revisiter Molière ou Shakespeare. En jouant ou en composant il se donnait une liberté jubilatoire. C'est un artiste qui sans cesse interrogeait son art. Jeune, il était en plus très charismatique.»
Petit garçon, il fut poussé par une mère tyrannique reportant sur son fils ses propres rêves avortés de devenir concertiste, en entretenant avec lui une relation fusionnelle. « Oui, et c'est ce qui l'a en partie déséquilibré je pense. »
On dit, au regard de ses phobies, de ses manies, de cette décision prise très jeune de refuser les concerts pour s'isoler et travailler seul en studio, qu'il était atteint d'une forme d'autisme, l'Asperger. Comment s'attaquer à un tel sujet pour en faire une pièce de théâtre d'une heure trente ? « Je ne voulais ni un biopic, ni une pièce sur la musique, bien que le comédien qui interprète Glenn joue vraiment du piano sur scène. J'ai choisi de traiter cette histoire sous l'angle du rapport à sa mère, ainsi qu'à sa cousine et à leur histoire d'amour jamais réellement vécue. J'ai voulu raconter une histoire de famille et d'éducation, celle d'un jeune homme que ses parents ont mis au piano dès l'âge de deux ans et demi. En ce sens la pièce a une dimension tragique, même si ce tragique est aussi matière à comédie. Les premiers spectateurs ici à Avignon rient beaucoup, tout en étant apparemment profondément touchés. Pour en arriver là j'ai commencé par un minutieux travail de documentation, puis l'écriture a été longue et complexe car je ne voulais évoquer que ce qui avait un sens par rapport au prisme que j'avais choisi. Je voulais que ce soit rythmé, touchant et drôle, qu'il se passe tout le temps quelque chose. Nous avons imaginé une scénographie inspirée des tableaux d'Edward Hooper pour leur ambiance Nord-Américaine. Et grâce à la vidéo, à différents choix de mise en scène, ainsi qu'aux effets de lumière, le décor évolue beaucoup. Avec les comédiens, l'idée était de ne jamais oublier qu'on parle d'un musicien, donc nous avons beaucoup travaillé sur le tempo, le temps et les contre-temps qui étaient chers à Glenn Gould, et qui sont la clé au théâtre comme en musique. Aujourd'hui, on est tous très émus de voir comment la pièce est reçue, aussi bien par le public que la presse. C'est assez magique ! »
* Il met en scène "Les Humains" au Théâtre de la Renaissance et "La Dégustation", adapté de sa pièce et dont il est le réalisateur, sort au cinéma.
Thomas Gendronneau est Glenn Gould
Comédien aux multiples facettes, musicien, il aime aussi chanter et danser, alors être choisi pour se glisser dans la peau de Glenn Gould, l'enchante. Un rôle difficile, un grand rôle. « Ivan en se fixant sur l'aspect humain du personnage, mêle les trois histoires d'amour impossibles qu'il a vécues ; l'une avec sa cousine, l'autre avec sa mère, et la dernière avec la musique à travers le lien complètement raté qu'il a eu avec le public. C'est passionnant de raconter ces failles, sans caricaturer les personnages. Pour Glenn on s'est beaucoup interrogés sur le fait de savoir s'il était Asperger, ce qui est admis à priori. C'était un personnage mystérieux qui s'amusait lui-même des rumeurs qui couraient à son sujet, et prenait plaisir à les entretenir, comme sa supposée homosexualité. Mais quoi qu'il en soit, façonné par sa mère, hypochondriaque, bourré de TOCS, de peurs, c'était un génie qui avait un rapport très compliqué à la vie et à la création. Il a été très facile de suivre Ivan parce qu'il avait une vision claire, riche et pas consensuelle de ce qu'il voulait faire. Une vision à la fois drôle, émouvante et déchirante. Personnellement j'ai regardé beaucoup de vidéos d'archives de Glenn en train de jouer, pour parvenir à m'approprier son corps, ses attitudes. Notamment ses derniers enregistrements des "Variations Goldberg" où on le voit chantonner, avec cette position très particulière des mains. Je m'en suis beaucoup inspiré, comme de sa manière de parler. C'était quelqu'un de brillant. Ses biographies le montrent assez cynique, parlant de lui avec recul et humour. Mais ça c'est la manière dont il voulait se raconter. Dans le spectacle Ivan a sauté cette dimension très contrôlée qu'il donnait de lui, pour entrer directement dans les failles de l'intime. » Et que devient la fameuse chaise fabriquée par son père ? «Oui, oui, elle a été reproduite et lorsqu'elle est arrivée ça a vraiment changé quelque chose pour moi. Ce que j'appréhende maintenant c'est qu'à force de jouer ce personnage, je me mette à bouger, à manger, à respirer comme lui ! J'écoute du Glenn Gould et du Bach tout le temps. C'est vrai que quand il a un certain âge et que je mets des lunettes, que je joue un peu comme lui, il y a quelque chose d'assez troublant et je me prête complètement au jeu. C'est la première fois que j'incarne quelqu'un qui a existé et c'est fascinant.»
Bernard Malaka est le père
Lui qui pensait se concentrer sur La grande musique à Avignon, avoir pour une fois le temps de jouer et d'applaudir les copains, c'était sans compter la lecture de Glenn, naissance d'un prodige qui l'enthousiasme. « Ce qu'a fait Ivan m'a passionné. Je connaissais Glenn Gould, j'allais dire : comme tout le monde. Mais après avoir découvert sa vie, son exigence, cette décision qu'il avait prise d'arrêter les concerts à trente ans et de s'y tenir grâce à un stratagème, savoir qu'à deux ans il était enfermé dans les toilettes jusqu'à ce qu'il réussisse sa lecture de notes, sinon sa maman ne le laissait pas sortir, lui qui ne pensait qu'à la satisfaire, très honnêtement, maintenant je l'écoute différemment. Tout ça porte à une réflexion profonde. La question de savoir ce que serait devenu ce garçon, même doué à la base, sans cette mère. On se demande si les parents ont le droit de faire ça, pour se réaliser eux-mêmes au fond. On voit ça dans la littérature, dans l'art, dans le sport aussi. »
On parle toujours de la mère, mais moins du rôle du père dans la vie de Glenn Gould. Quel a été le sien ? « Là, c'est plus difficile de savoir en effet, alors je me fie à ce qu'a écrit Ivan. Je crois qu'il voyait les choses, essayait d'en parler mais était dans l'incapacité de s'imposer. Pourtant il était fier au fond de voir et de profiter de cette réussite. »
Comment Bernard Malaka se glisse-t-il dans ce personnage en demi-teinte, face à sa partenaire Josiane Stoléru, à l'opposé dans le rôle de la mère ? Drôle de couple ! Le comédien s'amuse « J'ai eu du mal avec ce personnage incapable de s'affirmer, de dire : Bon maintenant ça suffit ! Alors que mon tempérament est de dire clairement les choses. Quand j'en ai parlé à Josiane qui m'a dit : Moi, c'est l'inverse, je me laisse facilement imposer les choses ! Donc vous voyez, on fait tous les deux des efforts ! C'est la première fois que je joue avec elle. Artistiquement comme dans la vie on s'entend très bien. Et elle a beaucoup d'humour donc c'est facile et je suis ravi !»
Paru le 17/10/2022
(129 notes) THÉÂTRE MONTPARNASSE Jusqu'au samedi 23 novembre
COMÉDIE DRAMATIQUE. Sous l’impulsion de sa mère qui rêvait d’être concertiste, Glenn Gould commence le piano dès l’âge de deux ans et demi, et s’y révèle aussitôt très doué. Devenu adulte, il va totalement révolutionner la façon de jouer du piano, et vendre autant de disques que les plus grandes rock star. Mais plus ...
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