Dossier par Jeanne Hoffstetter
Passeport
d’Alexis Michalik au théâtre de la Renaissance
Fortes de l'énorme succès qui les accompagne, ses créations théâtrales ne quittent pas l'affiche depuis plus de dix ans. "Passeport", sa dernière œuvre, s'ouvre sur la jungle de Calais pour embarquer le public dans un de ces voyages passionnants dont il a le secret.
Alexis Michalik l'auteur et le metteur en scène
Un public debout clamant son enthousiasme face à sept comédiens bluffants qui se partagent une bonne trentaine de rôles, soutenus par une mise en scène virevoltante taillée au cordeau, des aventures, des destins qui se croisent et se mêlent. Une ovation faite à un sujet polémique dont on pourrait se demander ce qui a conduit l'auteur à s'en emparer.
Le thème : « Moi, je ne me dis pas : je vais travailler ce thème. C'est l'histoire qui me prend et me conduit au thème. Donc là, c'est le twist final de la pièce que l'on ne va pas dévoiler, qui m'a poussé à la démarrer dans la jungle de Calais. Alors j'ai lu, je me suis documenté et plus j'avançais, plus le thème s'élargissait, au-delà d'une histoire romanesque, il devenait une fresque, une réflexion sur ce qu'est l'immigration. Le hasard a voulu que l'adoption de la loi immigration ait coïncidé à la sortie de la pièce. »
Une vision de la France : « C'est un sujet un peu plus politique que les précédents c'est vrai, mais qui a à voir avec la vision que l'on a de la France. J'ai moi-même plusieurs origines et j'ai grandi dans un quartier populaire au milieu d'une société métissée entre des primo arrivants, des enfants et petits-enfants d'émigrés. C'est ma vision de la France et je pense que la façon dont je la raconte n'est pas trop clivante, qu'elle permet de faire naître une réflexion, des questionnements. Bien que n'ayant pas eu moi-même à souffrir des affres du racisme parce que je ne suis pas racisé, je me sens en totale solidarité et empathie avec ces personnes qui n'ont fait qu'arriver sur notre sol et auxquelles on trouve toutes les raisons d'en vouloir. »
Les émigrés dont il est question : « Mon sujet n'est pas la misère, il y a des tas de gens qui ne sont pas des migrants et qui dorment aussi dans la rue. Je ne nie pas qu'il y ait des problèmes comme le racisme, mais ce n'est pas non plus ce dont je voulais parler. Moi je parle de ceux qui choisissent de rester en France et deviennent français parce qu'ils n'ont pas le choix. Je raconte leur périple, des menaces qui pèsent sur eux, leur volonté, leurs victoires, car c'est l'immense majorité de ceux qui sont en France aujourd'hui, malgré ce qu'on dit. Mais je parle aussi à travers Lucas et Jeanne d'une autre génération, de ceux qui sont Français mais dont les parents, les ancêtres, ont eu ce genre de périple. Voilà, c'est une fable positive qui raconte ceux qui y arrivent. »
Un gros travail en amont : « Oui, quel que soit le spectacle. Mais pour moi c'est la partie ludique, se documenter, lire des bouquins nourrit l'imaginaire, une phrase peut générer une scène, un début. Là, j'ai trouvé important d'intégrer un côté pédagogique au sein d'une histoire romanesque. Tous les sigles, tous les chiffres, toutes les procédures administratives qui peuvent durer des mois, des années, sont vrais. Je me suis dit que j'avais appris trop de choses pour ne pas les partager. »
Manda Touré est Jeanne, et Peggy, l'infirmière, la serveuse
Des études supérieures de théâtre en parallèle avec des études de lettres et de langues à l'université la conduisent finalement vers la télévision, et le cinéma qui lui donne l'occasion de rencontrer Alexis Michalik. Ses premiers pas sur scène se font à Avignon en 2018, où elle joue « Sur la route » d'Anne Voutey. « Et aujourd'hui, me voilà de retour au théâtre où, après le cinéma, je retrouve Alexis sur un sujet là aussi politique, mais c'est le hasard. Je me suis dit, en lisant le texte, qu'Alexis me donnait un rôle qui me ressemble quand même beaucoup, dans la mesure où Jeanne a les mêmes origines, qu'elle a grandi à Toulouse avant de rejoindre la région parisienne. Par contre, elle est très décidée, très sûre d'elle, elle parle sans gêne et, en travaillant le rôle, je me suis aperçue que je n'avais pas la même assurance donc j'ai été obligée d'aller la chercher, avant de me rendre compte que je l'avais quand même un peu au fond de moi, cette assurance. C'était très intéressant à travailler. Alexis nous connait bien et il écrit des rôles assez personnalisés en sachant qu'on aimerait les dire, ou que ça allait nous faire rire, et ça c'est chouette aussi. Et même si c'est très sportif de passer d'un rôle à l'autre si rapidement, les costumes nous aident et c'est génial ! Je suis ravie, c'est une pièce qu'on a tous envie de défendre et que l'on joue dans le si beau cadre du théâtre de la Renaissance ! On se sent très privilégiés. »
Ysmahane Yaqini est Yasmine, et Chantal, Christine, la neurologue, la traductrice, une cliente du restaurant, la femme Afghane
C'est par le biais d'Irina Brook avec laquelle elle travaille durant 14 ans, qu'elle rencontre Alexis Michalik avec qui elle collabore maintenant régulièrement. "Passeport" l'enthousiasme. « J'ai été touchée par ces personnages qui sont tous en quête d'absolu, de justice, d'identité, de dignité... J'ai aussi trouvé super d'avoir un casting de comédiens racisés pour rendre visible ce qui est souvent invisible sur des plateaux de théâtres privés. Nous devons pénétrer tous ces personnages si différents de par leur énergie, leur voix, leur corps, leur parcours. Il faut les construire et au fur et à mesure se laisser traverser par les mots que l'auteur a écrits pour les incarner. C'est beau de se glisser dans la peau de chacun des personnages, de les composer et de les ramener à soi sans les caricaturer. La mise en scène est comme une chorégraphie qui nous aide à incarner nos personnages. C'est comme une partition de musique, chacun a sa note, un instrument à chaque fois différent. Alexis a ce talent pour mettre en scène, donner du rythme pour créer une belle symphonie. Yasmine, la bibliothécaire, est touchée par l'étranger demandeur d'asile qu'elle rencontre et avec lequel elle finit par construire une vie jusqu'au jour où tout va basculer. L'Afghane, Christine la mère de Lucas, Chantal l'agente de l'OFPRA... Chaque personnage a une histoire forte qui génère en nous des émotions. »
Heureuse, Ysmahane Yaqini vient aussi de créer sa propre compagnie !
Paru le 01/10/2024
(23 notes) THÉÂTRE DE LA RENAISSANCE Jusqu'au dimanche 5 janvier 2025
COMÉDIE DRAMATIQUE. Issa, jeune Érythréen laissé pour mort dans la "jungle" de Calais, a perdu la mémoire. Alors que le seul élément tangible de son passé est son passeport, il entame une longue quête semée d'embûches afin d'obtenir un titre de séjour, entouré de compagnons d'infortune. "D'une manière générale, je ne...
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