Portrait par Marie-Céline Nivière
Francis Perrin
De "La Gifle" à "Signé Dumas", Francis Perrin signe un parcours sans faute. Il s'est promené de la Comédie-Française au théâtre privé, enchaînant classiques, textes d'auteurs et comédies.
Il vit avec plénitude la cinquantaine. La nostalgie n'est pas
son registre et l'avenir est sa figure de proue. Quant à son présent, qu'il vit intensément, c'est une pièce au théâtre
La Bruyère, et la sortie de son premier roman.
Il vit avec plénitude la cinquantaine. La nostalgie n'est pas
son registre et l'avenir est sa figure de proue. Quant à son présent, qu'il vit intensément, c'est une pièce au théâtre
La Bruyère, et la sortie de son premier roman.
La force tranquille
La légende veut que Francis Perrin soit bégayant, voire nerveux. C'est l'image d'Épinal que ses premiers rôles ont imprimée dans la mémoire de bien des Français. En raccrochant le combiné de mon téléphone, je suis surprise d'avoir entendu une voix grave et posée. Le rendez-vous a lieu, une matinée pluvieuse de novembre. Je l'attends dans le hall du Théâtre de l'Œuvre. Il arrive avec le "quart d'heure" de politesse, s'excusant de son retard. "Je déteste faire attendre." Je le rassure en lui avouant que j'avais mis à profit ces quelques instants pour rêvasser. Il m'entraîne dans un charmant salon de thé situé rue de Clichy, où nous déjeunons tout en devisant. En prenant place, Francis Perrin laisse choir son agenda et de la paperasse. Ah ! Voilà le fiancé maladroit de La Gifle qui ressurgit. Perrin n'est pas un Monsieur 100 000 volts, mais plutôt une force tranquille. Il est charmant, attentif, prévenant, très calme et posé. En revanche, il est très actif. "En ce moment, c'est la course, entre les répétitions et les dernières épreuves de mon roman... Mon bureau étant ma voiture, j'ai travaillé en venant." Il range ses affaires, tout en m'expliquant que le 6 janvier, il sort sa première œuvre de fiction. Il ne me donnera que le titre, Degrés de lassitude et l'éditeur, les Éditions du Rocher. Nous sommes là pour parler de théâtre. Pourtant, il est évident que l'aventure le passionne, mais la pudeur l'empêche d'aller plus loin. Par contre, il est heureux de pouvoir m'annoncer la date à laquelle sa pièce commencera. Cela vient de se décider. "Ce sera le 25 janvier !" Il dit cela avec la gourmandise du comédien qui a hâte d'être sur scène.
"Tantine et Moi"
Comme le coureur de fond avant la grande course, Perrin est concentré sur la pièce qu'il prépare. Il s'anime en l'évoquant. À l'écouter, cela semble un beau projet. "Cette pièce a un ton particulier." Un homme se rend au chevet de sa vieille tante mourante. Ils ne se sont pas vus depuis trente-cinq ans. Il est le dernier survivant de la famille. Il va s'occuper d'elle. Comme elle ne dit rien, il est obligé de combler les silences. "C'est une sorte de modus vivendi entre eux." Au début, ce sont des petits riens, des banalités, le temps, les bruits de la rue, puis il se raconte. "Les saisons passent, elle ne meurt pas." C'est un homme ordinaire, un simple employé de banque qui n'a pas
véritablement de vie et dont l'enfance a été douloureuse. "Ce sont deux solitudes qui
s'apprivoisent." La délicieuse et trop rare Monique Chaumette, à la ville madame Noiret, interprètera tantine. "Elle doit être sans cesse dans l'écoute, tout doit passer par le regard, un geste. Un rôle pas si facile !"
À l'origine du projet
Après avoir assisté à une représentation à Londres de la pièce de Morris Panych, un de ses amis l'appelle et lui vante les mérites de ce spectacle. Perrin, trop pris par Dumas, ne peut se rendre à Londres, mais lit la pièce. Il achète les droits et demande à Michel Blanc de l'adapter. Stephan Meldegg, ayant vent du projet, lit à son tour la pièce et entre en jeu, en tant que metteur en scène et directeur de théâtre. "J'ai passé le flambeau. C'est la pièce de Stephan. Je ne suis qu'à l'origine du projet. Maintenant j'obéis." Il n'est plus qu'un comédien attentif aux directives de son metteur en scène. Je l'interroge sur le déroulement des répétitions et le travail avec Stephan Meldegg, dont le talent n'est plus à prouver. "Elles se déroulent en plusieurs fois. Pas de précipitation. Un vrai luxe." Celui de prendre leur temps. Ils ont travaillé la première fois au mois de mai, repris en septembre, puis une semaine en novembre. Enfin en janvier, ils répèteront trois semaines dans les décors. "Nous travaillons les intentions. C'est 80 % de la mise en scène." Ils cherchent tout ce qui peut apporter à ce personnage très "premier degré finalement". Meldegg ne se limite pas au "tu sors à droite, tu rentres à gauche, Stephan cherche les petites choses essentielles. Il est très précis".
Une belle évolution
Ce rôle marque bien l'évolution de ce comédien qui peut passer de Rédillon du Dindon à Signé Dumas. Il est parvenu à une belle plénitude. "J'ai la chance de pouvoir jouer ce que je veux." Rouzière lui avait prédit une belle carrière dans le Boulevard, mais il ne s'est pas uniquement cantonné à Oscar. Il a participé à des créations, comme les pièces de David Mamet, Arthur Miller au Théâtre de la Ville, Woody Allen avec sa pièce porte-bonheur Une aspirine pour deux. Il a dirigé durant huit ans le théâtre Montansier de Versailles, a été durant trois ans directeur du Festival d'Anjou. Aujourd'hui, il choisit de ne plus avoir de responsabilités. "Mais, j'aime prendre des risques." Rien de tel pour tuer la routine. Avec trente-huit ans de carrière, il s'étonne d'être encore là. Car le plus difficile dans ce métier, c'est bien de durer. "Je n'ai pas d'agent, ne fait partie d'aucun clan. J'ai toujours fait ce que j'ai eu envie de faire. Cela se paye cher, la liberté." Il reconnaît que c'est une chance. "Mais je sais que tout cela peut s'arrêter du jour au lendemain." Il compare le métier à un sacerdoce. "Il faut jouer malgré tout, quoi qu'il vous arrive", même le pire, comme la mort de ses parents. "Pendant deux-trois heures, on oublie, on est ailleurs, on est quelqu'un d'autre." Mais cela ne signifie pas l'identification totale. "Le personnage que je vais jouer au La Bruyère déteste les enfants, ce qui est totalement mon opposé."
Un artisan fier de son métier
Plus le temps passe, plus Francis Perrin a le sentiment que l'éventail de son jeu s'élargit. Il se compare à un artisan dont l'expérience est le meilleur outil. "Il restera toujours la sincérité de l'acteur. C'est son meilleur capital." Pour cela, il lui faut garder une forme physique, morale et mentale. Tout est dans l'équilibre. Ce qu'il a. Trente-huit ans de métier permettent "de ne plus penser à autre chose qu'au plaisir du jeu, de s'effacer devant l'auteur et le metteur en scène". Il avoue avoir fait le tour des classiques et être plus intéressé par la découverte de textes contemporains, comme le Signé Dumas de Cyril Gely et Éric Rouquette. "Nous en sommes à 280 représentations et je peux vous assurer que c'est une remise en question tous les soirs. Je fais des progrès tout le temps." Pour ce rôle, il a réalisé une belle performance, allant jusqu'à se transformer physiquement. "Les gens ne me reconnaissent pas. Ils disent : oh comme il a grossi ! Au-delà du subterfuge du costume et du maquillage, il y a aussi la transformation de la personnalité."
Le public est un partenaire
"Celui que l'on ne connaît pas et qui n'est jamais le même à chaque représentation. Il faut en tenir compte." Il a un grand respect pour le public. "Les gens nous font un cadeau en se déplaçant pour venir nous voir jouer. On doit les en remercier, en donnant la meilleure représentation chaque soir." Ce public, qui peut aussi le faire râler lorsqu'il tousse trop fort et trop souvent, coupant l'élan de la pièce, risquant de faire perdre pied dans la concentration. Je l'ai vu sur scène jeter un regard noir à une "Marguerite Gautier" trop énergique entre deux répliques. "Je ne suis pas colérique sauf contre moi. Mais je donne tout, vous comprenez. Après qu'on aime ou qu'on n'aime pas, c'est autre chose." Il a tellement brouillé les pistes depuis le début de sa carrière, qu'il est difficile de lui coller une étiquette. Il aime tant les décoller. "J'ai la chance de faire ce que je veux, avec amour et une passion qui augmente chaque jour." Nous aurions pu continuer à deviser encore longtemps. Il est tellement agréable de se retrouver en tête à tête avec un homme aussi charmant. Mais avant d'aller à sa répétition, Francis Perrin doit rencontrer un jeune metteur en scène pour un projet. Découvrant l'heure bien
avancée, nous nous quittons dans l'urgence. J'ai quand même droit à une bise !
La légende veut que Francis Perrin soit bégayant, voire nerveux. C'est l'image d'Épinal que ses premiers rôles ont imprimée dans la mémoire de bien des Français. En raccrochant le combiné de mon téléphone, je suis surprise d'avoir entendu une voix grave et posée. Le rendez-vous a lieu, une matinée pluvieuse de novembre. Je l'attends dans le hall du Théâtre de l'Œuvre. Il arrive avec le "quart d'heure" de politesse, s'excusant de son retard. "Je déteste faire attendre." Je le rassure en lui avouant que j'avais mis à profit ces quelques instants pour rêvasser. Il m'entraîne dans un charmant salon de thé situé rue de Clichy, où nous déjeunons tout en devisant. En prenant place, Francis Perrin laisse choir son agenda et de la paperasse. Ah ! Voilà le fiancé maladroit de La Gifle qui ressurgit. Perrin n'est pas un Monsieur 100 000 volts, mais plutôt une force tranquille. Il est charmant, attentif, prévenant, très calme et posé. En revanche, il est très actif. "En ce moment, c'est la course, entre les répétitions et les dernières épreuves de mon roman... Mon bureau étant ma voiture, j'ai travaillé en venant." Il range ses affaires, tout en m'expliquant que le 6 janvier, il sort sa première œuvre de fiction. Il ne me donnera que le titre, Degrés de lassitude et l'éditeur, les Éditions du Rocher. Nous sommes là pour parler de théâtre. Pourtant, il est évident que l'aventure le passionne, mais la pudeur l'empêche d'aller plus loin. Par contre, il est heureux de pouvoir m'annoncer la date à laquelle sa pièce commencera. Cela vient de se décider. "Ce sera le 25 janvier !" Il dit cela avec la gourmandise du comédien qui a hâte d'être sur scène.
"Tantine et Moi"
Comme le coureur de fond avant la grande course, Perrin est concentré sur la pièce qu'il prépare. Il s'anime en l'évoquant. À l'écouter, cela semble un beau projet. "Cette pièce a un ton particulier." Un homme se rend au chevet de sa vieille tante mourante. Ils ne se sont pas vus depuis trente-cinq ans. Il est le dernier survivant de la famille. Il va s'occuper d'elle. Comme elle ne dit rien, il est obligé de combler les silences. "C'est une sorte de modus vivendi entre eux." Au début, ce sont des petits riens, des banalités, le temps, les bruits de la rue, puis il se raconte. "Les saisons passent, elle ne meurt pas." C'est un homme ordinaire, un simple employé de banque qui n'a pas
véritablement de vie et dont l'enfance a été douloureuse. "Ce sont deux solitudes qui
s'apprivoisent." La délicieuse et trop rare Monique Chaumette, à la ville madame Noiret, interprètera tantine. "Elle doit être sans cesse dans l'écoute, tout doit passer par le regard, un geste. Un rôle pas si facile !"
À l'origine du projet
Après avoir assisté à une représentation à Londres de la pièce de Morris Panych, un de ses amis l'appelle et lui vante les mérites de ce spectacle. Perrin, trop pris par Dumas, ne peut se rendre à Londres, mais lit la pièce. Il achète les droits et demande à Michel Blanc de l'adapter. Stephan Meldegg, ayant vent du projet, lit à son tour la pièce et entre en jeu, en tant que metteur en scène et directeur de théâtre. "J'ai passé le flambeau. C'est la pièce de Stephan. Je ne suis qu'à l'origine du projet. Maintenant j'obéis." Il n'est plus qu'un comédien attentif aux directives de son metteur en scène. Je l'interroge sur le déroulement des répétitions et le travail avec Stephan Meldegg, dont le talent n'est plus à prouver. "Elles se déroulent en plusieurs fois. Pas de précipitation. Un vrai luxe." Celui de prendre leur temps. Ils ont travaillé la première fois au mois de mai, repris en septembre, puis une semaine en novembre. Enfin en janvier, ils répèteront trois semaines dans les décors. "Nous travaillons les intentions. C'est 80 % de la mise en scène." Ils cherchent tout ce qui peut apporter à ce personnage très "premier degré finalement". Meldegg ne se limite pas au "tu sors à droite, tu rentres à gauche, Stephan cherche les petites choses essentielles. Il est très précis".
Une belle évolution
Ce rôle marque bien l'évolution de ce comédien qui peut passer de Rédillon du Dindon à Signé Dumas. Il est parvenu à une belle plénitude. "J'ai la chance de pouvoir jouer ce que je veux." Rouzière lui avait prédit une belle carrière dans le Boulevard, mais il ne s'est pas uniquement cantonné à Oscar. Il a participé à des créations, comme les pièces de David Mamet, Arthur Miller au Théâtre de la Ville, Woody Allen avec sa pièce porte-bonheur Une aspirine pour deux. Il a dirigé durant huit ans le théâtre Montansier de Versailles, a été durant trois ans directeur du Festival d'Anjou. Aujourd'hui, il choisit de ne plus avoir de responsabilités. "Mais, j'aime prendre des risques." Rien de tel pour tuer la routine. Avec trente-huit ans de carrière, il s'étonne d'être encore là. Car le plus difficile dans ce métier, c'est bien de durer. "Je n'ai pas d'agent, ne fait partie d'aucun clan. J'ai toujours fait ce que j'ai eu envie de faire. Cela se paye cher, la liberté." Il reconnaît que c'est une chance. "Mais je sais que tout cela peut s'arrêter du jour au lendemain." Il compare le métier à un sacerdoce. "Il faut jouer malgré tout, quoi qu'il vous arrive", même le pire, comme la mort de ses parents. "Pendant deux-trois heures, on oublie, on est ailleurs, on est quelqu'un d'autre." Mais cela ne signifie pas l'identification totale. "Le personnage que je vais jouer au La Bruyère déteste les enfants, ce qui est totalement mon opposé."
Un artisan fier de son métier
Plus le temps passe, plus Francis Perrin a le sentiment que l'éventail de son jeu s'élargit. Il se compare à un artisan dont l'expérience est le meilleur outil. "Il restera toujours la sincérité de l'acteur. C'est son meilleur capital." Pour cela, il lui faut garder une forme physique, morale et mentale. Tout est dans l'équilibre. Ce qu'il a. Trente-huit ans de métier permettent "de ne plus penser à autre chose qu'au plaisir du jeu, de s'effacer devant l'auteur et le metteur en scène". Il avoue avoir fait le tour des classiques et être plus intéressé par la découverte de textes contemporains, comme le Signé Dumas de Cyril Gely et Éric Rouquette. "Nous en sommes à 280 représentations et je peux vous assurer que c'est une remise en question tous les soirs. Je fais des progrès tout le temps." Pour ce rôle, il a réalisé une belle performance, allant jusqu'à se transformer physiquement. "Les gens ne me reconnaissent pas. Ils disent : oh comme il a grossi ! Au-delà du subterfuge du costume et du maquillage, il y a aussi la transformation de la personnalité."
Le public est un partenaire
"Celui que l'on ne connaît pas et qui n'est jamais le même à chaque représentation. Il faut en tenir compte." Il a un grand respect pour le public. "Les gens nous font un cadeau en se déplaçant pour venir nous voir jouer. On doit les en remercier, en donnant la meilleure représentation chaque soir." Ce public, qui peut aussi le faire râler lorsqu'il tousse trop fort et trop souvent, coupant l'élan de la pièce, risquant de faire perdre pied dans la concentration. Je l'ai vu sur scène jeter un regard noir à une "Marguerite Gautier" trop énergique entre deux répliques. "Je ne suis pas colérique sauf contre moi. Mais je donne tout, vous comprenez. Après qu'on aime ou qu'on n'aime pas, c'est autre chose." Il a tellement brouillé les pistes depuis le début de sa carrière, qu'il est difficile de lui coller une étiquette. Il aime tant les décoller. "J'ai la chance de faire ce que je veux, avec amour et une passion qui augmente chaque jour." Nous aurions pu continuer à deviser encore longtemps. Il est tellement agréable de se retrouver en tête à tête avec un homme aussi charmant. Mais avant d'aller à sa répétition, Francis Perrin doit rencontrer un jeune metteur en scène pour un projet. Découvrant l'heure bien
avancée, nous nous quittons dans l'urgence. J'ai quand même droit à une bise !
Paru le 07/02/2005
TANTINE ET MOI THÉÂTRE ACTUEL / LA BRUYÈRE Du mardi 25 janvier au samedi 11 juin 2005
COMÉDIE. Kemp, un petit employé de banque, reçoit une lettre de sa tante. Seule et malade, elle pense que sa fin est proche. Kemp fait sa valise et traverse le pays pour se précipiter au chevet de "Tantine". À son grand étonnement, celle-ci ne semble pas du tout prête à partir pour un monde meilleur. Tandi...
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