Portrait par Jeanne Hoffstetter
Jean-Claude Carrière et Marie-Sophie L.
“Les Mots et la Chose”
À la Gaîté-Montparnasse, il nous convie à un festin de roi aux côtés de Marie-Sophie L. car, pour parler de "la chose", il y a des mots si savoureux qu'ils sont à déguster sans plus attendre...
Jean-Claude Carrière
Il a décidément plus d'un tour dans son sac à malices ! On le connaissait auteur de scénarios pour Pierre Etaix, Buñuel, Jean-Paul Rappeneau, Volker Schlöndorff et bien d'autres ; de pièces et d'adaptations théâtrales, pour Jean-Louis Barrault, Peter Brook et d'autres. On savait qu'il avait fait des films de télévision, des livrets d'opéras, écrit des romans, un dictionnaire de l'humour, une anthologie et des essais très sérieux, très érudits. Bien des choses en somme, qui n'empêchaient ni l'humour ni la drôlerie de passer en amies dans cet inventaire, comme le raton laveur de Prévert. L'œuvre dans son ensemble rencontre, quel miracle dans un monde où l'on voudrait faire régner la bêtise et l'uniformité, un joli succès. Rendre aujourd'hui visite à Jean-Claude Carrière est une véritable invitation au voyage que l'on commence par le jardin pour lequel il a toutes les attentions, à chaque saison ses fleurs, il plante, arrache quand vient l'heure, ici l'ombre à midi, là le soleil, il faut observer, être attentif. Dans le salon, un chat noir promène sa truffe avant de s'installer sur vos genoux, ponctuant l'entretien de miaulements et ronrons. "Depuis que je suis né, je vis avec des chats, y compris sur mon lit !" Autour de nous, meubles, tapis et objets venus de Chine, d'Amérique du Sud, d'Iran, de l'Inde et d'ailleurs, cohabitent avec élégance et harmonie. Voyage, voyage... Un sentiment de bien-être vous enveloppe, accru par la chaude voix de ce formidable conteur. Sa maison fut un célèbre cercle de jeux parisien avant de devenir un atelier pour ouvriers tapissiers. Depuis trente ans, elle est son repaire. Famille, amis et visiteurs du monde entier s'y retrouvent. Voyage, voyage...
"Je vis dans cette horrible contradiction d'un temps qui s'amenuise et d'une curiosité qui s'élargit"
Installé dans ce qui fut la salle de la roulette, il regrette presque de ne plus jouer aux tarots, ce jeu de gendarmes où l'on peut manifester sa mauvaise humeur, accuser injustement l'autre, voire tricher. "Mais quand on vieillit on a de moins en moins de temps pour se distraire. La vie se resserre et plus la partie qui me reste à vivre est étroite, plus le nombre de choses que je voudrais faire ne cesse de s'accroître. Je vis dans cette horrible contradiction d'un temps qui s'amenuise et d'une curiosité qui s'élargit !" Comme quoi avec du cœur, de la curiosité et de l'esprit, il est possible de tenir en respect le temps qui passe. Voyage, voyage... Un livre posé sur le canapé et nous voici partis à la rencontre d'un des plus beaux pays du monde : le nord Yémen. Qu'entend-il par "plus beau ?" "Ni la main humaine ni la nature seule suffisent. Pour moi la beauté ne peut surgir que de la conjonction des deux.» Grand amoureux de l'Inde, où il va le plus souvent possible «Mister Mahabharata" ne résiste pas au plaisir de s'attarder ensuite sur l'extraordinaire beauté de cette masse humaine. "Et pourtant, le pays dans l'ensemble n'est pas très beau." Il se parle là-bas 47 langues officielles, 1 000 dialectes, la multitude de cultures, de cuisines, de coutumes, ne font qu'un cependant. "Quel exemple ! N'est-ce pas au fond dans la diversité que la démocratie marche le mieux ?" Un détour par la Foire aux livres de Calcutta - la première au monde - parsemé d'anecdotes passionnantes ou drôles, nous entraîne au pays de Don Quichotte "le patron de Kouchner !", dit-il en riant. "Ce serait amusant, en ne parlant que des écrivains, d'essayer de trouver quelle couleur chacun d'eux donnerait à l'Europe, non ?" Shakespeare le demi-Dieu, Balzac qui a si bien nourri l'œuvre de Dostoïevski, Kundera... Comme les autres ce voyage en littérature devient vite captivant. Jean-Claude Carrière possède cette qualité précieuse d'ignorer le temps. Comment fait-il alors pour faire si bien tant de choses, comme ce travail de longue haleine que représente parmi le reste Les Mots et la Chose ? "Vous ne connaissiez certainement pas cette expression : 'Entrer dans la vieille danse !' Quand Proust disait 'Faire Catlaya' ou 'Se faire casser le pot', les mystiques allaient 'Dire bonjour aux anges'." J'apprends ainsi qu'en Europe, nous Français nous y entendons particulièrement dans ce domaine, question vocabulaire. Que les Anglais sont, quant à eux, imbattables pour dire "regarder", "n'allons pas en conclure pour autant que ce sont des voyeurs !". Que les Espagnols ont pour définir les tissus le vocabulaire le plus riche. Voyage, voyage... Les Mots et la Chose ne sont pas nés du hasard, "Une amie comédienne qui, pour pallier des fins de mois difficiles, doublait des films porno, m'avait fait un jour remarquer la pauvreté du vocabulaire. Alors, avec Buñuel et un ami américain, nous nous sommes amusés à partir à la recherche des expressions qui parlaient de
La chose !" Tout cela est si passionnant que Jean-Claude Carrière en fait un livre trois fois réédité, puis adapté par ses soins pour le théâtre sous forme de lettres échangées entre une actrice et un professeur de vocabulaire à la retraite. Une soirée cousue main à savourer sans retenue, servie de voix de maître par son auteur, qui, pour la première fois, découvre le plaisir de faire l'acteur chaque soir au théâtre.
Marie-Sophie L.
Cela faisait combien de temps... ? Dix ans, pas loin, qu'elle s'en était allée on ne savait où. Quand soudain l'an passé, voici qu'elle fait la drôle avec Dany Boon au théâtre du Gymnase, dans La Vie de chantier. Depuis elle n'arrête plus. Partie un jour voir ailleurs ce que le monde avait d'intelligent à lui apprendre, elle finit pourtant par sentir "le manque". Le désir de jouer à nouveau la rattrape, elle revient, mesure-t-elle la chance qu'elle a de repartir comme en quarante à peine revenue ? Vive, jolie et gracieuse elle rit : "Oui ! Parce que revenir à 40 ans en disant, ça y est, je veux reprendre ! Oui, j'ai eu de la chance que Dany Boon m'engage." Quarante ans ? Mais où se cachent-ils dans cette jolie silhouette et ce sourire de jeune fille ? Téléphone, les grands enfants appellent, "Je ne réponds que si c'est la maison, cela ne vous ennuie pas ?" Elle irait bien avec eux à la Foire du trône, "Mais ils sont grands et n'ont plus besoin d'elle. Elle ferait tache !". C'est la vie. Et puis de toute façon, elle tourne pour France 2 sous la direction de Lorenzo Gabriele. "Fête de famille, une minisérie sur les rapports de famille. C'est très joli et intelligent, je suis très heureuse !" Le soir, sur scène, elle dit des mots pour parler de "la chose". "J'aime bien aborder cette question un peu conflictuelle qu'est la sexualité, génératrice de puissance et de fragilité. Les mots ont à la fois la fonction d'apprivoiser cette chose un peu sauvage, mystérieuse, et de la distancer. Il y a, à travers ces expressions une telle richesse d'évocation mentale que l'on pourrait presque perdre la notion de sexe ! Notre rôle est justement de ne pas la perdre, de jouer à s'en approcher, à s'en éloigner, à la mettre en lumière d'une façon à la fois humble et un peu délirante. C'est un très grand plaisir de comédienne !" À part ça ? Elle écrit et nous réserve encore bien des surprises...
Il a décidément plus d'un tour dans son sac à malices ! On le connaissait auteur de scénarios pour Pierre Etaix, Buñuel, Jean-Paul Rappeneau, Volker Schlöndorff et bien d'autres ; de pièces et d'adaptations théâtrales, pour Jean-Louis Barrault, Peter Brook et d'autres. On savait qu'il avait fait des films de télévision, des livrets d'opéras, écrit des romans, un dictionnaire de l'humour, une anthologie et des essais très sérieux, très érudits. Bien des choses en somme, qui n'empêchaient ni l'humour ni la drôlerie de passer en amies dans cet inventaire, comme le raton laveur de Prévert. L'œuvre dans son ensemble rencontre, quel miracle dans un monde où l'on voudrait faire régner la bêtise et l'uniformité, un joli succès. Rendre aujourd'hui visite à Jean-Claude Carrière est une véritable invitation au voyage que l'on commence par le jardin pour lequel il a toutes les attentions, à chaque saison ses fleurs, il plante, arrache quand vient l'heure, ici l'ombre à midi, là le soleil, il faut observer, être attentif. Dans le salon, un chat noir promène sa truffe avant de s'installer sur vos genoux, ponctuant l'entretien de miaulements et ronrons. "Depuis que je suis né, je vis avec des chats, y compris sur mon lit !" Autour de nous, meubles, tapis et objets venus de Chine, d'Amérique du Sud, d'Iran, de l'Inde et d'ailleurs, cohabitent avec élégance et harmonie. Voyage, voyage... Un sentiment de bien-être vous enveloppe, accru par la chaude voix de ce formidable conteur. Sa maison fut un célèbre cercle de jeux parisien avant de devenir un atelier pour ouvriers tapissiers. Depuis trente ans, elle est son repaire. Famille, amis et visiteurs du monde entier s'y retrouvent. Voyage, voyage...
"Je vis dans cette horrible contradiction d'un temps qui s'amenuise et d'une curiosité qui s'élargit"
Installé dans ce qui fut la salle de la roulette, il regrette presque de ne plus jouer aux tarots, ce jeu de gendarmes où l'on peut manifester sa mauvaise humeur, accuser injustement l'autre, voire tricher. "Mais quand on vieillit on a de moins en moins de temps pour se distraire. La vie se resserre et plus la partie qui me reste à vivre est étroite, plus le nombre de choses que je voudrais faire ne cesse de s'accroître. Je vis dans cette horrible contradiction d'un temps qui s'amenuise et d'une curiosité qui s'élargit !" Comme quoi avec du cœur, de la curiosité et de l'esprit, il est possible de tenir en respect le temps qui passe. Voyage, voyage... Un livre posé sur le canapé et nous voici partis à la rencontre d'un des plus beaux pays du monde : le nord Yémen. Qu'entend-il par "plus beau ?" "Ni la main humaine ni la nature seule suffisent. Pour moi la beauté ne peut surgir que de la conjonction des deux.» Grand amoureux de l'Inde, où il va le plus souvent possible «Mister Mahabharata" ne résiste pas au plaisir de s'attarder ensuite sur l'extraordinaire beauté de cette masse humaine. "Et pourtant, le pays dans l'ensemble n'est pas très beau." Il se parle là-bas 47 langues officielles, 1 000 dialectes, la multitude de cultures, de cuisines, de coutumes, ne font qu'un cependant. "Quel exemple ! N'est-ce pas au fond dans la diversité que la démocratie marche le mieux ?" Un détour par la Foire aux livres de Calcutta - la première au monde - parsemé d'anecdotes passionnantes ou drôles, nous entraîne au pays de Don Quichotte "le patron de Kouchner !", dit-il en riant. "Ce serait amusant, en ne parlant que des écrivains, d'essayer de trouver quelle couleur chacun d'eux donnerait à l'Europe, non ?" Shakespeare le demi-Dieu, Balzac qui a si bien nourri l'œuvre de Dostoïevski, Kundera... Comme les autres ce voyage en littérature devient vite captivant. Jean-Claude Carrière possède cette qualité précieuse d'ignorer le temps. Comment fait-il alors pour faire si bien tant de choses, comme ce travail de longue haleine que représente parmi le reste Les Mots et la Chose ? "Vous ne connaissiez certainement pas cette expression : 'Entrer dans la vieille danse !' Quand Proust disait 'Faire Catlaya' ou 'Se faire casser le pot', les mystiques allaient 'Dire bonjour aux anges'." J'apprends ainsi qu'en Europe, nous Français nous y entendons particulièrement dans ce domaine, question vocabulaire. Que les Anglais sont, quant à eux, imbattables pour dire "regarder", "n'allons pas en conclure pour autant que ce sont des voyeurs !". Que les Espagnols ont pour définir les tissus le vocabulaire le plus riche. Voyage, voyage... Les Mots et la Chose ne sont pas nés du hasard, "Une amie comédienne qui, pour pallier des fins de mois difficiles, doublait des films porno, m'avait fait un jour remarquer la pauvreté du vocabulaire. Alors, avec Buñuel et un ami américain, nous nous sommes amusés à partir à la recherche des expressions qui parlaient de
La chose !" Tout cela est si passionnant que Jean-Claude Carrière en fait un livre trois fois réédité, puis adapté par ses soins pour le théâtre sous forme de lettres échangées entre une actrice et un professeur de vocabulaire à la retraite. Une soirée cousue main à savourer sans retenue, servie de voix de maître par son auteur, qui, pour la première fois, découvre le plaisir de faire l'acteur chaque soir au théâtre.
Marie-Sophie L.
Cela faisait combien de temps... ? Dix ans, pas loin, qu'elle s'en était allée on ne savait où. Quand soudain l'an passé, voici qu'elle fait la drôle avec Dany Boon au théâtre du Gymnase, dans La Vie de chantier. Depuis elle n'arrête plus. Partie un jour voir ailleurs ce que le monde avait d'intelligent à lui apprendre, elle finit pourtant par sentir "le manque". Le désir de jouer à nouveau la rattrape, elle revient, mesure-t-elle la chance qu'elle a de repartir comme en quarante à peine revenue ? Vive, jolie et gracieuse elle rit : "Oui ! Parce que revenir à 40 ans en disant, ça y est, je veux reprendre ! Oui, j'ai eu de la chance que Dany Boon m'engage." Quarante ans ? Mais où se cachent-ils dans cette jolie silhouette et ce sourire de jeune fille ? Téléphone, les grands enfants appellent, "Je ne réponds que si c'est la maison, cela ne vous ennuie pas ?" Elle irait bien avec eux à la Foire du trône, "Mais ils sont grands et n'ont plus besoin d'elle. Elle ferait tache !". C'est la vie. Et puis de toute façon, elle tourne pour France 2 sous la direction de Lorenzo Gabriele. "Fête de famille, une minisérie sur les rapports de famille. C'est très joli et intelligent, je suis très heureuse !" Le soir, sur scène, elle dit des mots pour parler de "la chose". "J'aime bien aborder cette question un peu conflictuelle qu'est la sexualité, génératrice de puissance et de fragilité. Les mots ont à la fois la fonction d'apprivoiser cette chose un peu sauvage, mystérieuse, et de la distancer. Il y a, à travers ces expressions une telle richesse d'évocation mentale que l'on pourrait presque perdre la notion de sexe ! Notre rôle est justement de ne pas la perdre, de jouer à s'en approcher, à s'en éloigner, à la mettre en lumière d'une façon à la fois humble et un peu délirante. C'est un très grand plaisir de comédienne !" À part ça ? Elle écrit et nous réserve encore bien des surprises...
Paru le 15/07/2005
MOTS ET LA CHOSE (LES) THÉÂTRE DE LA GAITÉ-MONTPARNASSE Du vendredi 20 mai au samedi 16 juillet 2005
COMÉDIE DRAMATIQUE. Une jeune comédienne qui, pour survivre, fait du doublage de films pornographiques, écrit un jour à un érudit à la retraite pour se plaindre de la pauvreté du vocabulaire qu'on met à sa disposition. L'ancien professeur se fait un plaisir de lui répondre, en une série de lettres et de billets, lus ...
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