Dossier par Jeanne Hoffstetter
Géronimo
Deux pères divorcés décident de passer ensemble le réveillon de Noël pour fuir leur solitude. Partie pour être morose, la soirée devient délirante. Une comédie qu'il serait dommage de manquer.
Les femmes sont aujourd'hui plus nombreuses à demander le divorce que leur conjoint. Sur ce thème très contemporain, David Decca (auteur du Roman de Lulu), en choisissant le point de vue masculin, brode une pièce originale, touchante et drôle. Que devient l'homme lorsque sa femme décide de reprendre sa liberté ? Quels tourments vit le père quant à la garde partagée d'un enfant dont il ressent cruellement le manque ? Comment vit-il la froide indifférence des juges ? Ce texte intelligent et sensible est admirablement servi par Lionel Abelanski et Serge Hazanavicius, qui cosigne la mise en scène avec Caroline Duffau. Sur scène comme à la ville leur complicité ne fait pas l'ombre d'un doute. Tout droit sortis de l'émission de Stéphane Bern, Le Fou du roi, ils enchaînent.
N'est-ce pas un peu pénible d'enchaîner les interviews ?
Lionel Abelanski : Pas du tout, car bien que l'on retrouve un peu la même trame, c'est toujours différent. Et de toute façon, c'est le jeu. Néanmoins, je n'ai pas l'impression de répéter les choses ou d'aller vendre de la lessive ! Il n'y a aucune lassitude.
Serge Hazanavicius : Je suis d'accord avec Lionel, et là, plus que d'habitude encore, car lorsqu'on aime vraiment quelque chose, on peut en parler et en reparler sans problème. Et il arrive même qu'en en parlant, on découvre encore quelque chose.
Le thème du divorce et de ses conséquences vu par les hommes n'a, je crois, jamais été traité au théâtre. Est-ce ce qui vous a donné envie de monter et d'interpréter la pièce ?
S. H. : Il y a quelques années j'avais monté 84, Charing Cross Road qui avait eu un énorme succès. Ensuite, j'ai mis du temps à trouver un texte en lequel je croyais. Lorsque le hasard a voulu que je lise celui-là, j'ai immédiatement eu envie, non pas de le monter, mais qu'il existe. On a organisé une lecture, j'ai appelé mon camarade Lionel en me disant que ce serait un bon duo, et de fil en aiguille, on m'a également demandé de monter la pièce. Comme il me semblait improbable de le faire seul tout en jouant, j'ai fait appel à Caroline avec qui j'avais déjà travaillé sur 84. Quant à Lionel, il a accepté de jouer le jeu avec beaucoup d'élégance.
Ce qui veut dire ?
S. H. : Qu'il porte très bien les fringues ! Non, tout simplement qu'il n'est pas facile de jouer avec quelqu'un qui joue et...
L. A. :: ... et fait en même temps la mise en scène. J'ai quand même l'impression de leur avoir kidnappé une partie de tout ça, et de raconter l'histoire au même titre qu'eux ! (Rire).
Parlez-nous de vos personnages et de la manière dont ils vivent cette situation.
S. H. : Nous sommes deux hommes pris dans les affres du divorce. Moi, je suis Éric, le père de Géronimo qui a 5 ans. Le personnage que je joue n'a pas refait sa vie, il est encore dans le drame de la séparation, dans la guerre.
L. A. :: Éric et Antoine, que je joue, viennent de se rencontrer chez leur avocat et ressentent une espèce de coup de foudre amical dû à une situation particulière. Moi j'ai vécu ce drame avant Éric, donc j'ai pris une certaine distance face à cela, fausse en fait. Plutôt que de rester seul, chacun dans son coin, nous décidons alors de passer Noël ensemble, et je vais essayer de soutenir mon nouveau camarade, tandis que sans vouloir me l'avouer j'ai déjà du mal à me soutenir moi-même. Mais mon personnage est toujours positif, il vit dans l'humour et la mauvaise foi. Voilà le début de l'histoire.
Le fait que l'enfant s'appelle Géronimo est-il symbolique ?
S. H. : Je crois que c'est à cause d'un grand chef indien... (Rire).
L. A. :: C'est dans la pièce, mais on ne peut pas le révéler !
S. H. : On peut imaginer qu'il vit une situation analogue, mais je ne peux pas en dire plus.
La première scène est longue, mais primordiale et parfaitement réglée pour que le public comprenne les personnages et adhère à ce qui va suivre. On imagine qu'elle a été délicate à mettre au point
L. A. :: Oui, oui ! Et nous l'avons ressenti dans le travail. Nous nous sommes énormément investis dans cette scène, car elle représente effectivement les fondations des personnages. Il s'agissait de ne tomber ni dans le didactique, ni dans le pathos ou la sensiblerie. L'autre difficulté était d'être ensemble, tout en étant chacun dans son histoire.
S. H. : D'autant que la pièce est construite de façon particulière. Très psychologique au départ, elle va basculer petit à petit dans une pièce de situations et va confiner au délire. On n'est pas loin de Feydeau, là. Ce que les spectateurs doivent voir dans cette première scène qui dure vingt minutes, c'est tout simplement deux personnages en train de vivre afin de s'y attacher et de se laisser embarquer après. Quant à nous, sur le plateau, on doit penser qu'il faut se laisser regarder.
L'humour a-t-il le pouvoir de transformer
une tragédie en comédie ?
S. H. : C'est une situation dramatique, décrite avec distance. Je pense que dans le spectacle vivant, l'humour rend les choses beaucoup plus digestes.
L. A. :: Rire ensemble dans une salle est à mon avis très sain. Ça dégage une énergie puissante, et ça permet de ne pas s'apitoyer.
S. H. : Tiens, il y a un truc qui me vient comme ça : j'ai entendu dire que lorsque l'on est amputé d'un membre, on a des douleurs énormes à l'endroit qui n'existe plus. Eh bien, là, ils sont amputés de leur paternité, et ils ont mal à leur paternité. Moi, ça me touche. Je crois que l'humour permet de se dire face à une vraie souffrance : "C'est quand même très, très con tout ça et très, très inutile."
Le théâtre a quelque chose de fascinant dans ce monde dévoré par la vitesse et la technicité...
S. H. : C'est un domaine très difficile qui ne reprend pas les techniques des temps modernes. Pourtant lorsque l'on oublie le côté "théâtre", et que l'on fait un truc simplement vivant, ça peut être triste, ça peut être gai, poétique ou réaliste, quand la sincérité est là, c'est toujours magique.
L. A. : Mes plus grands souvenirs de spectacles, je les ai eus au théâtre. C'est un lieu vivant, un lieu de partage et c'est ce qui est beau !
N'est-ce pas un peu pénible d'enchaîner les interviews ?
Lionel Abelanski : Pas du tout, car bien que l'on retrouve un peu la même trame, c'est toujours différent. Et de toute façon, c'est le jeu. Néanmoins, je n'ai pas l'impression de répéter les choses ou d'aller vendre de la lessive ! Il n'y a aucune lassitude.
Serge Hazanavicius : Je suis d'accord avec Lionel, et là, plus que d'habitude encore, car lorsqu'on aime vraiment quelque chose, on peut en parler et en reparler sans problème. Et il arrive même qu'en en parlant, on découvre encore quelque chose.
Le thème du divorce et de ses conséquences vu par les hommes n'a, je crois, jamais été traité au théâtre. Est-ce ce qui vous a donné envie de monter et d'interpréter la pièce ?
S. H. : Il y a quelques années j'avais monté 84, Charing Cross Road qui avait eu un énorme succès. Ensuite, j'ai mis du temps à trouver un texte en lequel je croyais. Lorsque le hasard a voulu que je lise celui-là, j'ai immédiatement eu envie, non pas de le monter, mais qu'il existe. On a organisé une lecture, j'ai appelé mon camarade Lionel en me disant que ce serait un bon duo, et de fil en aiguille, on m'a également demandé de monter la pièce. Comme il me semblait improbable de le faire seul tout en jouant, j'ai fait appel à Caroline avec qui j'avais déjà travaillé sur 84. Quant à Lionel, il a accepté de jouer le jeu avec beaucoup d'élégance.
Ce qui veut dire ?
S. H. : Qu'il porte très bien les fringues ! Non, tout simplement qu'il n'est pas facile de jouer avec quelqu'un qui joue et...
L. A. :: ... et fait en même temps la mise en scène. J'ai quand même l'impression de leur avoir kidnappé une partie de tout ça, et de raconter l'histoire au même titre qu'eux ! (Rire).
Parlez-nous de vos personnages et de la manière dont ils vivent cette situation.
S. H. : Nous sommes deux hommes pris dans les affres du divorce. Moi, je suis Éric, le père de Géronimo qui a 5 ans. Le personnage que je joue n'a pas refait sa vie, il est encore dans le drame de la séparation, dans la guerre.
L. A. :: Éric et Antoine, que je joue, viennent de se rencontrer chez leur avocat et ressentent une espèce de coup de foudre amical dû à une situation particulière. Moi j'ai vécu ce drame avant Éric, donc j'ai pris une certaine distance face à cela, fausse en fait. Plutôt que de rester seul, chacun dans son coin, nous décidons alors de passer Noël ensemble, et je vais essayer de soutenir mon nouveau camarade, tandis que sans vouloir me l'avouer j'ai déjà du mal à me soutenir moi-même. Mais mon personnage est toujours positif, il vit dans l'humour et la mauvaise foi. Voilà le début de l'histoire.
Le fait que l'enfant s'appelle Géronimo est-il symbolique ?
S. H. : Je crois que c'est à cause d'un grand chef indien... (Rire).
L. A. :: C'est dans la pièce, mais on ne peut pas le révéler !
S. H. : On peut imaginer qu'il vit une situation analogue, mais je ne peux pas en dire plus.
La première scène est longue, mais primordiale et parfaitement réglée pour que le public comprenne les personnages et adhère à ce qui va suivre. On imagine qu'elle a été délicate à mettre au point
L. A. :: Oui, oui ! Et nous l'avons ressenti dans le travail. Nous nous sommes énormément investis dans cette scène, car elle représente effectivement les fondations des personnages. Il s'agissait de ne tomber ni dans le didactique, ni dans le pathos ou la sensiblerie. L'autre difficulté était d'être ensemble, tout en étant chacun dans son histoire.
S. H. : D'autant que la pièce est construite de façon particulière. Très psychologique au départ, elle va basculer petit à petit dans une pièce de situations et va confiner au délire. On n'est pas loin de Feydeau, là. Ce que les spectateurs doivent voir dans cette première scène qui dure vingt minutes, c'est tout simplement deux personnages en train de vivre afin de s'y attacher et de se laisser embarquer après. Quant à nous, sur le plateau, on doit penser qu'il faut se laisser regarder.
L'humour a-t-il le pouvoir de transformer
une tragédie en comédie ?
S. H. : C'est une situation dramatique, décrite avec distance. Je pense que dans le spectacle vivant, l'humour rend les choses beaucoup plus digestes.
L. A. :: Rire ensemble dans une salle est à mon avis très sain. Ça dégage une énergie puissante, et ça permet de ne pas s'apitoyer.
S. H. : Tiens, il y a un truc qui me vient comme ça : j'ai entendu dire que lorsque l'on est amputé d'un membre, on a des douleurs énormes à l'endroit qui n'existe plus. Eh bien, là, ils sont amputés de leur paternité, et ils ont mal à leur paternité. Moi, ça me touche. Je crois que l'humour permet de se dire face à une vraie souffrance : "C'est quand même très, très con tout ça et très, très inutile."
Le théâtre a quelque chose de fascinant dans ce monde dévoré par la vitesse et la technicité...
S. H. : C'est un domaine très difficile qui ne reprend pas les techniques des temps modernes. Pourtant lorsque l'on oublie le côté "théâtre", et que l'on fait un truc simplement vivant, ça peut être triste, ça peut être gai, poétique ou réaliste, quand la sincérité est là, c'est toujours magique.
L. A. : Mes plus grands souvenirs de spectacles, je les ai eus au théâtre. C'est un lieu vivant, un lieu de partage et c'est ce qui est beau !
Paru le 12/11/2008
(56 notes) THÉÂTRE DE PARIS - SALLE RÉJANE Du mardi 16 septembre au samedi 15 novembre 2008
COMÉDIE. Antoine et Eric sont deux pères célibataires pris dans les affres des procédures, mains courantes et autres expertises psychologiques concernant les droits de visite et de garde de leurs enfants. Et plutôt que de rester seuls, le soir de Noël, chacun de leur côté, ils décident de passer leur révei...
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