Dossier par Jeanne Hoffstetter
Bled runner
Fellag au théâtre du Rond-Point
Partant des moments les plus signifiants de ses spectacles précédents, revus « avec un regard d'aujourd'hui », Fellag reprend sa plume et ajoute de nouvelles scènes aux pérégrinations tragi-comiques d'un jeune Algérien parti de Kabylie...
Fellag
S'il s'emploie depuis le début à désamorcer les rapports tendus entre son pays et le nôtre où il vit depuis vingt ans, s'autorise-t'il, à travers ce dernier spectacle, toutes libertés, dont celle de le faire évoluer en fonction de l'actualité brûlante que nous avons connue récemment?
Avec "Bled runner" dit-il adieu au Seul en scène pour aller vers le théâtre ? « Pour élaborer ce spectacle, j'ai travaillé avec la complicité de Marianne Épin et Ahmed Madani. Mes histoires peuvent choquer, surprendre, mais sans provocation. Ce qui plait, c'est la délicatesse, les contournements absurdes que je déploie pour parler des tabous sans faire fuir. N'oubliez pas que je viens d'une société imbibée jusqu'à l'os par la pudibonderie, et que je m'adresse aux publics français et algérien. Je dois avancer avec prudence, écrire sur le fil du rasoir pour créer la complicité, et pourquoi pas de l'affection et de la tendresse. Bien que réglé au cordeau, ce spectacle peut évoluer à la faveur d'une improvisation miraculeuse que je vais approfondir.
Une scène peut sortir pour céder sa place à une nouvelle venue. Mais je ne travaille pas sur l'actualité, plutôt sur les constantes, les rhizomes, ce qui n'empêche pas des clins d'œil explicites. L'humour est un moteur de Formule 1 pour désamorcer les tensions, mais il y a des limites. Il ne faut jamais oublier que si l'on écrit d'abord pour soi, cette écriture est destinée à être projetée sur les autres, et que les relations entre nos deux pays resteront éternellement celles qui existent entre un chien et un chat. Il est en effet probable que ce soit mon dernier seul en scène, mais on ne peut jurer de rien ! Le théâtre m'a fait des propositions de rêve, j'étais tiraillé mais je laisse le temps faire son travail, c'est lui qui commande. »
Marianne Épin met en scène
« J'ai découvert Fellag dans "Dudjurassique Bled", son premier spectacle en France, quand je m'occupais de la programmation du Théâtre National de La Criée. Un jour il m'a demandé de jouer avec lui, puis de le mettre en scène, ce que j'ai fait plusieurs fois et qui nécessite d'entrer vraiment dans son univers. Ce qui m'a plu, à moi qui ai une formation classique, c'est son immense amour de la langue française, sa très belle écriture mais aussi son humour et les métaphores qu'il utilise. Nous avons beaucoup travaillé pour mettre au point ce spectacle.
Dans mes mises en scène j'aime, avec peu de choses, suggérer des tas d'images. Là, j'ai élaboré un dispositif scénique de quatre tables gigognes mobiles avec lesquelles il peut jouer de manière à ce qu'elles racontent aussi l'histoire. Pour lui donner des partenaires (en fait c'est lui déguisé en d'autres personnages), j'ai introduit de la vidéo. J'ai aussi fait exister les femmes à travers une pluie de robes chatoyantes avec lesquelles il danse... Des choses comme ça, toutes simples mais évocatrices. Maintenant, Fellag est un humoriste, un show-man qui joue avec son public, ce qui peut le pousser à reprendre une certaine liberté... »
Paru le 09/03/2017
(52 notes) THÉÂTRE DU ROND-POINT Du jeudi 23 février au dimanche 9 avril 2017
TEXTE(S). Dans une rétrospective, florilège brûlant d’actualité des spectacles passés, Fellag se joue de tous les tabous, de tous les clichés qui opposent les Français aux Algériens, l’Orient à l’Occident. Fellag, indispensable prophète.
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