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© Photo Lot
Dossier par Jeanne Hoffstetter
L’Importance d’être constant
au théâtre Hébertot

Créée en 1895, la dernière pièce d'Oscar Wilde repose sur la double identité que s'inventent deux dandys de la haute société pris au piège de leurs mensonges. Un festival de répliques savoureuses au travers desquelles l'auteur tire à fleurets mouchetés sur l'hypocrisie de l'austérité victorienne.
Arnaud Denis
signe la mise en scène et joue Jack.


Acteur ou metteur en scène, directeur de troupe, nommé aux Molières l'an passé pour sa mise en scène de «Marie des poules», qui a reçu le Molière du meilleur spectacle du théâtre privé, son parcours artistique, à trente-huit ans, est aussi riche que remarquable et les acteurs qu'il dirige n'ont à son propos qu'éloges et affection. D' «Oscar Wilde» il vante la culture, la subtilité, et l'intelligence du regard mordant mais sans méchanceté qu'il pose sur la société au milieu de laquelle il vit. Il fait de «L'importance d'être constant» un spectacle magnifique, spirituel et drôle, pour la joie d'un public qui reprend doucement le chemin des théâtres. « Ce qui est réconfortant, c'est de voir que l'esprit d'Oscar Wilde ne vieillit pas, et qu'il fait toujours rire plusieurs générations de spectateurs. Comme pour Sacha Guitry, son cousin Français en termes de rythmique, on a tendance à le prendre pour un auteur léger, mais vous trouvez chez lui outre son humour, des maximes d'une grande densité philosophique et morale qui pourraient être de Chamfort ou de La Rochefoucauld. »

Parlant de subtilité, si Arnaud Denis la restitue si bien c'est qu'il est parfaitement bilingue et s'appuie beaucoup sur le texte original pour travailler et diriger ses comédiens. « La langue de Wilde est très pure et d'une richesse absolue. Il avait une grande culture du théâtre et sa pièce est traversée par les plus grands dramaturges, comme Marivaux au deuxième acte ou Molière dans l'acte final. Lady Bracknell est un peu la reine des cœurs d'Alice au pays des merveilles et, comme dans La nuit des rois de Shakespeare, il y a tout un travail sur le mensonge et les apparences. Jouer Oscar Wilde, c'est aussi travailler sur le souffle et le rythme du phrasé. Les acteurs Anglais ont un souffle large, ils peuvent enchaîner trois phrases et s'arrêter au bon endroit. Nous, nous sommes cartésiens, on aime s'arrêter aux points et aux virgules ce qui n'est pas possible chez Wilde, si on s'arrête trop tôt ou trop tard, c'est mort ! Et l'aphorisme est une règle dramaturgique, comment les dit-on ? A qui les adresse-t-on ? Il faut les dire comme si on lançait des flèches, mais sans avoir l'air de le faire exprès, c'est compliqué ! » S'il a joué Algernon dans une adaptation de Jean-Marie Besset, il est aujourd'hui Jack « Oui, comme ça j'aurai joué les deux faces d'une même médaille, car Wilde joue sur la double identité, le double sens de constant, prénom et adjectif. Je pense qu'il a mis autant de lui-même dans l'un que l'autre. » Neuf comédiens sur scène après les difficultés que viennent de rencontrer les théâtres, on dit bravo ! « Oui, je salue l'audace de la production, Francis Lombrail à Hébertot et Pascal Héritier qui a créé le spectacle à Lyon. Il fallait le faire, c'est une vraie gageure ! »


Evelyne Buyle
est Lady Bracknell, la mère de Gwendoline.


Maurice Escande, Béatrix Dussane et Jean-Laurent Cochet furent ses professeurs de théâtre avant qu'elle entre à l'école de la rue Blanche. On la voit au cinéma, à la télévision et beaucoup au théâtre, où elle remporte en 2017 un Molière pour son interprétation de Bélise dans «Les Femmes savantes» mise en scène par Catherine Hiegel. Sur Oscar Wilde, son rôle, et le bonheur qu'elle éprouve à faire partie de cette distribution, elle est intarissable. Le public adore cette Lady Bracknell ! « Nous sommes heureux tous les soirs et le public l'est aussi ! J'ai profité de l'été pour me plonger dans les textes d'Oscar Wilde dont je ne connaissais que le théâtre, et je suis tombée amoureuse de l'homme et de l'œuvre. Il est tellement au-delà de l'image que l'on en a de lui en France ! Quelle intelligence ! Il était profondément généreux, sensible et joyeux. Penser à ce que la société victorienne a fait de la fin de sa vie et qu'on refusait de lui verser ses droits d'auteur me révolte. Imaginer que pendant qu'il était en prison, sa pièce faisait un triomphe à Londres, mais que son nom avait été retiré de l'affiche ! Il y a longtemps que j'avais envie de jouer Lady Bracknell, j'avais beaucoup aimé ce qu'en avait fait Danièle Lebrun avec Savary au théâtre de Chaillot. J'ai vu également à quel point les actrices anglaises osent aller au bout des choses. C'est fascinant. Il y a une telle force dans ce personnage, une telle richesse et une telle ambiguïté, parfois perfide, jamais méchante. Je l'adore et les répliques sont tellement drôles ! Mais je ne veux pas développer, c'est tellement mieux de laisser le public découvrir ! Les costumes sont magnifiques, dans l'élégance et la simplicité. Arnaud a aussi eu l'idée de décaler légèrement les jeunes filles vers les années folles, c'est très intéressant car Wilde traite de manière sous-jacente du conflit des générations et de l'émancipation des femmes. Et pour moi chaque soir est un cadeau, j'espère transmettre la joie de vivre que je cultive. Je veux rendre hommage à Oscar Wilde ! »


Nicole Dubois
est Miss Prism, la gouvernante de Cecily.


La comédienne retrouve Arnaud Denis sous la direction duquel elle avait joué «Les Femmes savantes». « Je suis ravie car je l'aime beaucoup humainement et professionnellement. Quand il m'a téléphoné pour me proposer ce rôle, j'ai sauté au plafond ! J'aime tellement la liberté et l'anticonformisme de cette pièce. Oscar Wilde est un immense auteur qui, avec beaucoup d'humour et de talent, ose être lui-même. Tout le monde n'en est pas capable. Donc, moi je joue une gouvernante vieille fille qui a l'âme d'une jeune fille, romantique et sentimentale et qui écrit de très mauvais romans fleuve à l'eau de rose. Elle est amoureuse du Révérend Chasuble avec lequel elle veut absolument se marier. C'est un personnage très anglais qu'on ne trouve pas dans le théâtre français et derrière lequel il y a le clin d'œil de l'auteur, son humour. Cette gouvernante aime beaucoup Cecily, la pupille de Jack, qu'elle éduque, elles ont ensemble de grandes conversations sur la littérature et sur celui qu'elles croient être le vilain frère de Jack. Le couple que forme Miss Prism et le Révérend est vraiment très marrant ! Oscar Wilde a le sens de la dérision, mais derrière tout ça il a de la tendresse pour ses personnages, et on sent qu'il s'amuse en écrivant cette pièce. Tout ça est très anglais, et les pièces anglaises sont souvent des pièces d'équipe dans lesquelles on voit tout le monde, mais aussi, chacun. Arnaud a ce sens-là, ce sens de la troupe, il sait qui va convenir au personnage et ce que les acteurs entre eux vont donner. Nous formons vraiment une équipe formidable et je crois que le public le sent. »
Nicole Dubois revient elle aussi sur le choix du metteur en scène de s'appuyer sur le texte original pour monter «L'Iimportance d'être constant». « Je connaissais la pièce bien sûr, mais en travaillant sur le texte anglais, on en perçoit beaucoup mieux toute la subtilité, le contexte social et le côté un peu visionnaire d'Oscar Wilde. »

Avec également : Delphine Depardieu, Olivier Sitruck, Marie Coutance, Jean-Pierre Couturier, Gaston Richard et Fabrice Talon


Sur Oscar Wilde

Le 3 décembre 1900 un corbillard suivi de quelques personnes arrive au cimetière de Bagneux. Des fleurs, oui, bien sûr, mais qui pour l'accompagner ? Où sont les beaux esprits ? Où sont Gide, Proust et les autres, qui partagèrent du temps de sa gloire des instants de sa vie ? Seul Paul Fort, le poète, est là. Je parle des obsèques d'Oscar Wilde, le flamboyant dandy, spirituel, joyeux, sensible... Oscar Wilde, abandonné de tous. Il a quarante-six ans... On raconte que Lord Alfred Douglas, son Bosie à l'image de mauvais génie, se jeta ce jour-là de douleur dans la tombe et qu'on l'en ressortit couvert de boue... Mais c'est grâce à l'opiniâtreté de Robert Ross, fidèle ami et exécuteur testamentaire à la vie tout aussi scandaleuse, et au don d'une baronne Allemande, qu'en 1909 Wilde est transféré au Père Lachaise sous un imposant Sphinx ailé où les cendres de Ross sont venues plus tard le rejoindre. De cet esthète qui s'employait à «faire de sa vie un art » et qui maîtrisait si bien l'art de l'insolence, on sait tant de choses, à moins que ce ne soit si peu... Mais on a tant dit, tant écrit à son propos que chacun peut y puiser ce qu'il désire. Sans relâche il cause, pose, écrit pièces, poèmes, contes pour enfants, articles pour les journaux, lettres, tant de lettres et tant d'aphorismes si célèbres ! On l'admire, on le courtise, mais au fond... L'aime-t-on ? Après les procès, l'humiliation, les travaux forcés, la prison pour outrage aux bonnes mœurs, il s'exile à Paris où il meurt, malade et couvert de dettes à l'hôtel d'Alsace, rue des Beaux-Arts, devenu depuis L'Hôtel, luxueux établissement... Quelques années plus tôt, pourtant, du fond de sa geole à Reading, il sait que dans son théâtre de l'Œuvre à Paris, Lugné-Poé ose monter « Salomé », la pièce qu'il avait écrite en français pour Sarah Bernhardt, empêchée de la jouer pour cause de censure. Voilà. Oscar Wilde le magnifique achevait sa vie, malade et misérable, mais aujourd'hui, se joue à Paris pour le plus grand bonheur du public «L'importance d'être constant.»
Paru le 02/12/2021

(64 notes)
IMPORTANCE D’ÊTRE CONSTANT (L)
THÉÂTRE HÉBERTOT
Du mardi 21 septembre 2021 au dimanche 8 janvier 2023

COMÉDIE. Deux dandys de la haute société Londonienne découvrent qu’ils ont recours au même stratagème pour mener une double vie : ils s’inventent chacun un faux frère malade qui leur sert d’alibi, afin de satisfaire leurs escapades libertines. Mais l’amour vient à s’en mêler, et il leur faudra faire un cho...

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