Dossier par Jeanne Hoffstetter
Alex Vizorek : "Ad vitam"
au théâtre de l’Œuvre
Durant dix ans "Alex Vizorek est une œuvre d'art" a enthousiasmé les salles de France et de Navarre. Son nouveau sujet de dissertation, mis en scène par Stéphanie Bataille ? La mort. Culotté après la période que nous venons de traverser. Certes, mais en maniant l'humour, l'érudition, la philosophie et les blagues dont il a le secret, le monsieur sait y faire et le rire l'emporte.
Alex Vizorek...
Il chronique, il anime, il se moque.
La radio, la télévision, les planches sont ses aires de travail et de jeu. Ah oui ! Ne pas oublier : Il est Belge, mais ça, il l'annonce d'emblée au début de ses spectacles. C'est parti, il est pardonné et le public rit déjà. À part ça ? Avec lui remontons un peu le fil. L'enfant était-t-il déjà du genre à amuser la galerie ? « Du plus loin que je me souvienne j'étais plutôt boute-en-train et joyeux, c'est l'image que je donnais, mais moi-même ne me ressentais pas comme ça. Je ne vais pas vous parler de mal être, ce serait exagéré, mais d'une certaine angoisse de la vie, du pourquoi on est là, du est-ce que les gens m'aiment ? C'était une façon de mettre les choses à distance. »
Se confronter à Paris c'est comme montrer mon spectacle à mes parents
Une école de commerce puis des études de journalisme... C'est fait, mais... Des cours de théâtre, voilà ce dont il a envie, alors direction Paris et le cours Florent. C'est fait aussi, pourtant, excepté une incursion autour du couffin de Coline Serreau en 2018, on ne l'a jamais vu à l'affiche d'une pièce. « Je pensais vraiment devenir comédien, j'aurais adoré jouer Tchékhov, Molière et Corneille mais il s'est avéré que je ne pensais pas avoir un talent au-dessus de la moyenne, et quand en dernière année on a abordé les cours de One man show, j'ai senti que quand j'écrivais mes propres textes, il y avait une unicité, quelque chose de plus fort. » L'humour donc sera sa voie. L'humour et le rire qu'il déclenche, l'humour envers et contre tout. «Lorsque quelque chose m'inquiète, me révolte, me frustre, c'est ma façon à moi de me protéger, et c'est là qu'on me suit. Pour moi, quand les gens vous offrent leur rire c'est comme s'ils vous disaient qu'ils vous aiment. Vous disiez que l'humour est un art difficile, pour moi c'est un artisanat. Les artistes s'affranchissent du retour du public, ils créent d'abord pour eux, et si ça marche, c'est fantastique. En tant qu'humoriste, je tiens d'abord à ce que « mon client » aime, et je travaille dans ce sens. Évidemment, je ne vais pas nier qu'à côté il y a quelque chose de profondément artistique. »
En route pour le Festival du film de Valencienne, qu'il présente cette année, il se prépare à investir la scène du théâtre de L'Œuvre à Paris, un défi malgré le succès en Avignon ? « Je ne peux pas vous parler d'une série parisienne qui s'est passée sans angoisser sur le remplissage, aucune pour moi n'a été une évidence, donc j'aimerais que celle-ci le soit parce que je crois avoir tapé sur le clou avec mon premier spectacle, dans le bon sens du terme car je savais qu'il était bon. En tournée, j'ai l'impression que je m'adresse à des amis, mais se confronter à Paris, c'est comme montrer mon spectacle à mes parents, et on est toujours un peu inquiet de l'avis de ses parents... Maintenant, avec tout ce travail, avec le temps et ces reports, j'ai vraiment une envie d'y aller ! » La conversation se poursuit, riche, agréable, parlons aussi de l'affiche, belle et chargée de sens. « Ah merci ! Je l'aime beaucoup. Je tenais à ce que le mot mort ne figure pas, donc « Ad Vitam » était un bon titre car il connote à la fois la mort et la vie. Lorsque j'ai vu cette photo je me suis dit que c'était fantastique car on y voit des racines mais pas de sommet, on ne sait pas quand et où ça va s'arrêter. Il y avait tout dans cette photo, et puisque je devais être sur l'affiche j'ai pensé : Pourquoi ne pas me mettre derrière ces arbres ? Mes racines ? Je suis une sorte de caméléon sociétal qui a vécu entre deux classes sociales, ce qui a fait en partie ce que je suis aujourd'hui. Mais il y a aussi l'autre passé, celui des autres lorsque je lis Desproges, quand j'écoute Barbara ou quand je vais voir des tableaux de Brueghel... C'est inspirant et ce sont aussi des racines, bien que ce ne soient pas les miennes directement. »
Stéphanie Bataille
met en scène. Comédienne, humoriste, directrice déléguée du Théâtre Antoine et romancière*
A quand remonte votre rencontre avec Alex Vizorek, et qu'est-ce qui vous a conduit à mettre en scène ses spectacles ?
C'était en 2008. Je donnais des cours de One man show au cours Florent et face à toutes ces têtes blondes, il y en avait une plus blonde que les autres. Il y a des présences qui vous parlent, comme une sorte d'évidence. Lorsqu'il est monté sur scène avec ses sketchs, il m'a tout de suite intéressée. A l'issu de ce stage, j'étais convaincue qu'il était fait pour ça. Ensuite, nous avons travaillé pendant six mois sur « Alex Vizorek est une œuvre d'art ». Je l'ai mis en scène, il a commencé par de petites salles à Bruxelles, il a trouvé des producteurs et il a joué ce spectacle pendant dix ans ! C'est long et c'est bien, il a rôdé son instrument, lui-même, il l'a affiné et il a fait parallèlement une multitude de choses. A six heures du matin, il est déjà sur la route !
Comment avez-vous travaillé « Ad Vitam », qui a remporté un grand succès cet été en Avignon ?
C'est Alex qui m'a apporté le thème de la mort. Au début, je me posais des questions et quand il m'a lu ses textes, je n'ai pu dire que : évidemment ! Et nous l'avons mis au point ensemble. J'ai travaillé la scénographie avec Julie Noyat et Johan Chabal, deux personnes que j'aime énormément qui travaillent avec de la vidéo, parce que je voulais que ça bouge, qu'il y ait de la vie. Mais je ne veux pas déflorer maintenant ce qui va se passer sur scène. Ce qui est fou, c'est que c'était avant les confinements et que la programmation a été annulée. Alors, on a beaucoup retravaillé le texte de manière à ce qu'il soit tenu. Comme disait Camus : «Un homme ça se tient !» Il fallait qu'il se tienne, qu'il soit singulier, que le public soit comblé avec un sujet qui n'est pas simple : la mort. C'est un spectacle vivant, indispensable pour mieux vivre l'instant. On rit mais on réfléchit aussi et Alex Vizorek est un garçon qui donne envie de vivre !
* «Mon histoire est votre histoire», aux éditions de L'Observatoire. Un témoignage édifiant et bouleversant sur la perte de son père, mort à l'hôpital du Corona virus dans des conditions inhumaines.
Il chronique, il anime, il se moque.
La radio, la télévision, les planches sont ses aires de travail et de jeu. Ah oui ! Ne pas oublier : Il est Belge, mais ça, il l'annonce d'emblée au début de ses spectacles. C'est parti, il est pardonné et le public rit déjà. À part ça ? Avec lui remontons un peu le fil. L'enfant était-t-il déjà du genre à amuser la galerie ? « Du plus loin que je me souvienne j'étais plutôt boute-en-train et joyeux, c'est l'image que je donnais, mais moi-même ne me ressentais pas comme ça. Je ne vais pas vous parler de mal être, ce serait exagéré, mais d'une certaine angoisse de la vie, du pourquoi on est là, du est-ce que les gens m'aiment ? C'était une façon de mettre les choses à distance. »
Se confronter à Paris c'est comme montrer mon spectacle à mes parents
Une école de commerce puis des études de journalisme... C'est fait, mais... Des cours de théâtre, voilà ce dont il a envie, alors direction Paris et le cours Florent. C'est fait aussi, pourtant, excepté une incursion autour du couffin de Coline Serreau en 2018, on ne l'a jamais vu à l'affiche d'une pièce. « Je pensais vraiment devenir comédien, j'aurais adoré jouer Tchékhov, Molière et Corneille mais il s'est avéré que je ne pensais pas avoir un talent au-dessus de la moyenne, et quand en dernière année on a abordé les cours de One man show, j'ai senti que quand j'écrivais mes propres textes, il y avait une unicité, quelque chose de plus fort. » L'humour donc sera sa voie. L'humour et le rire qu'il déclenche, l'humour envers et contre tout. «Lorsque quelque chose m'inquiète, me révolte, me frustre, c'est ma façon à moi de me protéger, et c'est là qu'on me suit. Pour moi, quand les gens vous offrent leur rire c'est comme s'ils vous disaient qu'ils vous aiment. Vous disiez que l'humour est un art difficile, pour moi c'est un artisanat. Les artistes s'affranchissent du retour du public, ils créent d'abord pour eux, et si ça marche, c'est fantastique. En tant qu'humoriste, je tiens d'abord à ce que « mon client » aime, et je travaille dans ce sens. Évidemment, je ne vais pas nier qu'à côté il y a quelque chose de profondément artistique. »
En route pour le Festival du film de Valencienne, qu'il présente cette année, il se prépare à investir la scène du théâtre de L'Œuvre à Paris, un défi malgré le succès en Avignon ? « Je ne peux pas vous parler d'une série parisienne qui s'est passée sans angoisser sur le remplissage, aucune pour moi n'a été une évidence, donc j'aimerais que celle-ci le soit parce que je crois avoir tapé sur le clou avec mon premier spectacle, dans le bon sens du terme car je savais qu'il était bon. En tournée, j'ai l'impression que je m'adresse à des amis, mais se confronter à Paris, c'est comme montrer mon spectacle à mes parents, et on est toujours un peu inquiet de l'avis de ses parents... Maintenant, avec tout ce travail, avec le temps et ces reports, j'ai vraiment une envie d'y aller ! » La conversation se poursuit, riche, agréable, parlons aussi de l'affiche, belle et chargée de sens. « Ah merci ! Je l'aime beaucoup. Je tenais à ce que le mot mort ne figure pas, donc « Ad Vitam » était un bon titre car il connote à la fois la mort et la vie. Lorsque j'ai vu cette photo je me suis dit que c'était fantastique car on y voit des racines mais pas de sommet, on ne sait pas quand et où ça va s'arrêter. Il y avait tout dans cette photo, et puisque je devais être sur l'affiche j'ai pensé : Pourquoi ne pas me mettre derrière ces arbres ? Mes racines ? Je suis une sorte de caméléon sociétal qui a vécu entre deux classes sociales, ce qui a fait en partie ce que je suis aujourd'hui. Mais il y a aussi l'autre passé, celui des autres lorsque je lis Desproges, quand j'écoute Barbara ou quand je vais voir des tableaux de Brueghel... C'est inspirant et ce sont aussi des racines, bien que ce ne soient pas les miennes directement. »
Stéphanie Bataille
met en scène. Comédienne, humoriste, directrice déléguée du Théâtre Antoine et romancière*
A quand remonte votre rencontre avec Alex Vizorek, et qu'est-ce qui vous a conduit à mettre en scène ses spectacles ?
C'était en 2008. Je donnais des cours de One man show au cours Florent et face à toutes ces têtes blondes, il y en avait une plus blonde que les autres. Il y a des présences qui vous parlent, comme une sorte d'évidence. Lorsqu'il est monté sur scène avec ses sketchs, il m'a tout de suite intéressée. A l'issu de ce stage, j'étais convaincue qu'il était fait pour ça. Ensuite, nous avons travaillé pendant six mois sur « Alex Vizorek est une œuvre d'art ». Je l'ai mis en scène, il a commencé par de petites salles à Bruxelles, il a trouvé des producteurs et il a joué ce spectacle pendant dix ans ! C'est long et c'est bien, il a rôdé son instrument, lui-même, il l'a affiné et il a fait parallèlement une multitude de choses. A six heures du matin, il est déjà sur la route !
Comment avez-vous travaillé « Ad Vitam », qui a remporté un grand succès cet été en Avignon ?
C'est Alex qui m'a apporté le thème de la mort. Au début, je me posais des questions et quand il m'a lu ses textes, je n'ai pu dire que : évidemment ! Et nous l'avons mis au point ensemble. J'ai travaillé la scénographie avec Julie Noyat et Johan Chabal, deux personnes que j'aime énormément qui travaillent avec de la vidéo, parce que je voulais que ça bouge, qu'il y ait de la vie. Mais je ne veux pas déflorer maintenant ce qui va se passer sur scène. Ce qui est fou, c'est que c'était avant les confinements et que la programmation a été annulée. Alors, on a beaucoup retravaillé le texte de manière à ce qu'il soit tenu. Comme disait Camus : «Un homme ça se tient !» Il fallait qu'il se tienne, qu'il soit singulier, que le public soit comblé avec un sujet qui n'est pas simple : la mort. C'est un spectacle vivant, indispensable pour mieux vivre l'instant. On rit mais on réfléchit aussi et Alex Vizorek est un garçon qui donne envie de vivre !
* «Mon histoire est votre histoire», aux éditions de L'Observatoire. Un témoignage édifiant et bouleversant sur la perte de son père, mort à l'hôpital du Corona virus dans des conditions inhumaines.
Paru le 08/12/2021
(10 notes) THÉÂTRE DE L'ŒUVRE Du mercredi 13 octobre 2021 au samedi 8 janvier 2022
ONE MAN SHOW. Pourquoi pas proposer un spectacle sur la... mort!
Partant du postulat que ça pouvait concerner pas mal de gens. À travers la philosophie, la biologie, la culture et sans oublier l'orgasme: appelé aussi la petite mort. Alex Vizorek nous propose avant tout un spectacle sur la vie: "Ad Vitam".
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