Dossier par Jeanne Hoffstetter
Laetitia Casta: Clara Haskil, prélude et fugue
Reprise au théâtre du Rond-Point
Le temps était venu pour elle, je veux parler de Laetitia Casta, d'aborder seule la scène. Alors, lorsqu'avec Safy Nebbou qui l'avait mise en scène dans Scènes de la vie conjugale, ils tombent sur le texte de Serge Kribus évoquant la vie de Clara Haskil, pianiste au destin tragique, ils se disent qu'ils tiennent là le trésor recherché.
« Tu vois ce que je vois ? Tu entends ce que j'entends ? » dit la comédienne à son metteur en scène qui la connait bien, après avoir lu le texte pour la première fois.
« Oui, oui, je vois très bien, c'est si proche de toi» lui répond-il.
« Oui, il y a quelque chose... Je ne prétends pas avoir le talent, ni le génie, ni avoir connu la vie extrêmement difficile de Clara Haskil, mais il y a quelque chose dans son histoire qui fait lien et qui est du domaine de la sensibilité. »
Ainsi, par cet échange, commença l'histoire qui poussa l'an passé la comédienne, entourée de trois pianos rappelant l'évolution de la pianiste, à se retrouver seule sur scène au théâtre du Rond-Point pour évoquer la vie ponctuée d'événements tragiques de celle qui finira par être ovationnée dans le monde entier.
Près d'elle, Isil Benji joue Schumann, Bartok, Mozart, Haendel, Schubert, Chopin, Debussy, Mendelssohn... L'une joue, l'autre parle. Deux femmes pour une seule. Une merveille de spectacle, pas un biopic, non, mais une évocation, à travers des moments choisis, de la vie de celle qui naquit en 1895 à Bucarest et mourut de la manière la plus bête qui soit en 1960 en chutant dans un escalier de la gare du midi à Bruxelles.
Alors se demande-t-on, en quoi Laetitia Casta, femme ravissante, ex mannequin, modèle, comédienne à la carrière internationale, ceinture marron de judo, mère de quatre enfants et j'en passe, alors se demande-t-on, en quoi Laetitia Casta se sent-elle proche de Clara Haskil que seule, depuis l'enfance entre piano et violon, la musique habitait ? Proche de cette pianiste emprisonnée de longs mois à Berck, à l'âge de 19 ans, dans un corset de plâtre pour tenter de réparer une scoliose déformante et handicapante, durant la première guerre mondiale ? Proche de cette artiste qui ne connut que tard le succès et dont la notoriété se limite aujourd'hui aux connaisseurs.
On avait envie d'oublier le théâtre, on pensait aux films Hollywoodiens
« En effet, moi-même je ne la connaissais pas. Disons qu'elle a quitté sa famille très tôt, comme moi. Que très tôt, elle a été lancée dans un monde d'adultes et qu'elle a été contrainte d'être dans la performance, dans l'exigence à un très haut niveau, comme moi. Qu'enfin, elle n'a pas eu d'adolescence, comme moi. Il m'a fallu comme elle, traverser tout ça pour atteindre la légitimité. » Et puis ajoute-t-elle en riant, « il y a aussi ce caractère bien trempé ! »
La pièce trouvée -elle date de 1975- le travail peut commencer. Un sacré travail au regard des souffrances morales et physiques qu'endura tout sa vie la pianiste, au regard du génie et de la volonté qui étaient les siens. Quelles couleurs donner sur scène à une telle aventure humaine ? À un rôle si exigeant et difficile... «Je n'ai pas vu la difficulté, j'ai immédiatement ressenti toute la sensibilité qui se dégageait du personnage projeté dans un monde qui me parlait. Le texte de Serge Kribus a été pour moi une vraie rencontre, j'ai été émue par sa poésie, mais c'est aussi un texte très littéraire qui pouvait entraver mon incarnation. J'aime incarner mes personnages, en faire de la chair, communier avec le public et j'avais besoin d'être davantage dans le présent pour atteindre les spectateurs. Clamer, être dans le monologue, dans une sorte de performance ou dans un registre intellectuel, n'a pour moi aucun intérêt. Alors, sans le changer, nous avons rendu le texte un peu plus actuel. On avait aussi envie d'oublier le théâtre, la vie de Clara Haskil nous faisait penser à ces films Hollywoodiens et on a travaillé dans ce sens. » Clara Haskil doutait sans cesse d'elle-même, Laetitia Casta a-t-elle douté un instant face à ce rôle ?
Sur scène il n'est pas question de physique, mais d'émotions
« Le doute, c'est d'une certaine manière une idée de la perfection. Le doute, la peur, la pièce traite aussi de ces choses-là. Moi, j'ai dû surmonter mes peurs au début, et j'ai dû dépasser mes doutes rapidement, sinon, je n'aurais jamais pu interpréter Clara Haskil, j'aurais été paralysée. Vous voyez, le doute a ses limites, il peut être un moteur aussi, pas seulement quelque chose de négatif. » Et Laetitia, au terme d'un long travail prolongé par un confinement général imposé, devient Clara, la musique, l'âme de Clara, rien d'autre. « De toute façon, sur scène, il n'est pas question de physique, mais d'émotions, il faut faire apparaître l'âme de Clara Haskil qui n'était que musique, que pureté, qu'humilité, et non pas son enveloppe qui n'était pas sa préoccupation première et qui n'est pas la mienne non plus dans mon travail. Mais si je suis parvenue à faire tout ça, c'est parce que Safy Nebbou me connait bien et que nous avons un rapport intime dans le travail. Je savais qu'avec lui je pouvais aller plus loin. »
En janvier 2022, dans la grande salle du Rond-point, sept-cent-cinquante personnes sont venues voir et écouter Laetitia Casta pour un premier seule en scène, de quoi impressionner... « Non, je vois ça comme une fête, et puis, je ne fais pas un One woman show non plus ! dit-elle en riant. Les trois pianos et Isil Benji sont mes partenaires de jeu, et la connexion entre nous deux est indispensable. Car il ne s'agit pas simplement d'une pianiste qui joue des morceaux sur scène, c'est Clara qui joue, et nous devons être en permanence en adéquation dans les émotions. Le texte est très musical aussi et je suis très à l'aise avec ça car la musique a toujours été dans ma vie. »
Qui pourrait le nier ? Laetitia incarne la pianiste de toute son âme, de toute sa chair et le public l'acclame, les critiques saluent une grande comédienne, tous louent un spectacle extraordinaire. En province, en Belgique, au Luxembourg, les ovations se prolongent, avant qu'elle ne retrouve en mars prochain le théâtre du Rond-Point pour un adieu à Clara Haskil. Alors, une autre histoire pourra commencer...
« Oui, oui, je vois très bien, c'est si proche de toi» lui répond-il.
« Oui, il y a quelque chose... Je ne prétends pas avoir le talent, ni le génie, ni avoir connu la vie extrêmement difficile de Clara Haskil, mais il y a quelque chose dans son histoire qui fait lien et qui est du domaine de la sensibilité. »
Ainsi, par cet échange, commença l'histoire qui poussa l'an passé la comédienne, entourée de trois pianos rappelant l'évolution de la pianiste, à se retrouver seule sur scène au théâtre du Rond-Point pour évoquer la vie ponctuée d'événements tragiques de celle qui finira par être ovationnée dans le monde entier.
Près d'elle, Isil Benji joue Schumann, Bartok, Mozart, Haendel, Schubert, Chopin, Debussy, Mendelssohn... L'une joue, l'autre parle. Deux femmes pour une seule. Une merveille de spectacle, pas un biopic, non, mais une évocation, à travers des moments choisis, de la vie de celle qui naquit en 1895 à Bucarest et mourut de la manière la plus bête qui soit en 1960 en chutant dans un escalier de la gare du midi à Bruxelles.
Alors se demande-t-on, en quoi Laetitia Casta, femme ravissante, ex mannequin, modèle, comédienne à la carrière internationale, ceinture marron de judo, mère de quatre enfants et j'en passe, alors se demande-t-on, en quoi Laetitia Casta se sent-elle proche de Clara Haskil que seule, depuis l'enfance entre piano et violon, la musique habitait ? Proche de cette pianiste emprisonnée de longs mois à Berck, à l'âge de 19 ans, dans un corset de plâtre pour tenter de réparer une scoliose déformante et handicapante, durant la première guerre mondiale ? Proche de cette artiste qui ne connut que tard le succès et dont la notoriété se limite aujourd'hui aux connaisseurs.
On avait envie d'oublier le théâtre, on pensait aux films Hollywoodiens
« En effet, moi-même je ne la connaissais pas. Disons qu'elle a quitté sa famille très tôt, comme moi. Que très tôt, elle a été lancée dans un monde d'adultes et qu'elle a été contrainte d'être dans la performance, dans l'exigence à un très haut niveau, comme moi. Qu'enfin, elle n'a pas eu d'adolescence, comme moi. Il m'a fallu comme elle, traverser tout ça pour atteindre la légitimité. » Et puis ajoute-t-elle en riant, « il y a aussi ce caractère bien trempé ! »
La pièce trouvée -elle date de 1975- le travail peut commencer. Un sacré travail au regard des souffrances morales et physiques qu'endura tout sa vie la pianiste, au regard du génie et de la volonté qui étaient les siens. Quelles couleurs donner sur scène à une telle aventure humaine ? À un rôle si exigeant et difficile... «Je n'ai pas vu la difficulté, j'ai immédiatement ressenti toute la sensibilité qui se dégageait du personnage projeté dans un monde qui me parlait. Le texte de Serge Kribus a été pour moi une vraie rencontre, j'ai été émue par sa poésie, mais c'est aussi un texte très littéraire qui pouvait entraver mon incarnation. J'aime incarner mes personnages, en faire de la chair, communier avec le public et j'avais besoin d'être davantage dans le présent pour atteindre les spectateurs. Clamer, être dans le monologue, dans une sorte de performance ou dans un registre intellectuel, n'a pour moi aucun intérêt. Alors, sans le changer, nous avons rendu le texte un peu plus actuel. On avait aussi envie d'oublier le théâtre, la vie de Clara Haskil nous faisait penser à ces films Hollywoodiens et on a travaillé dans ce sens. » Clara Haskil doutait sans cesse d'elle-même, Laetitia Casta a-t-elle douté un instant face à ce rôle ?
Sur scène il n'est pas question de physique, mais d'émotions
« Le doute, c'est d'une certaine manière une idée de la perfection. Le doute, la peur, la pièce traite aussi de ces choses-là. Moi, j'ai dû surmonter mes peurs au début, et j'ai dû dépasser mes doutes rapidement, sinon, je n'aurais jamais pu interpréter Clara Haskil, j'aurais été paralysée. Vous voyez, le doute a ses limites, il peut être un moteur aussi, pas seulement quelque chose de négatif. » Et Laetitia, au terme d'un long travail prolongé par un confinement général imposé, devient Clara, la musique, l'âme de Clara, rien d'autre. « De toute façon, sur scène, il n'est pas question de physique, mais d'émotions, il faut faire apparaître l'âme de Clara Haskil qui n'était que musique, que pureté, qu'humilité, et non pas son enveloppe qui n'était pas sa préoccupation première et qui n'est pas la mienne non plus dans mon travail. Mais si je suis parvenue à faire tout ça, c'est parce que Safy Nebbou me connait bien et que nous avons un rapport intime dans le travail. Je savais qu'avec lui je pouvais aller plus loin. »
En janvier 2022, dans la grande salle du Rond-point, sept-cent-cinquante personnes sont venues voir et écouter Laetitia Casta pour un premier seule en scène, de quoi impressionner... « Non, je vois ça comme une fête, et puis, je ne fais pas un One woman show non plus ! dit-elle en riant. Les trois pianos et Isil Benji sont mes partenaires de jeu, et la connexion entre nous deux est indispensable. Car il ne s'agit pas simplement d'une pianiste qui joue des morceaux sur scène, c'est Clara qui joue, et nous devons être en permanence en adéquation dans les émotions. Le texte est très musical aussi et je suis très à l'aise avec ça car la musique a toujours été dans ma vie. »
Qui pourrait le nier ? Laetitia incarne la pianiste de toute son âme, de toute sa chair et le public l'acclame, les critiques saluent une grande comédienne, tous louent un spectacle extraordinaire. En province, en Belgique, au Luxembourg, les ovations se prolongent, avant qu'elle ne retrouve en mars prochain le théâtre du Rond-Point pour un adieu à Clara Haskil. Alors, une autre histoire pourra commencer...
Paru le 08/03/2023
(81 notes) THÉÂTRE DU ROND-POINT Du mercredi 8 mars au dimanche 26 mars 2023
SEUL-E EN SCÈNE. Charlie Chaplin disait : "Parmi mes amis, j'ai pu côtoyer trois génies : le professeur Einstein, Winston Churchill, et Clara Haskil."
Ce soir, veille de concert, Clara Haskil vient de faire une chute dans un escalier mécanique de la gare de Bruxelles. La pianiste, au sommet de sa gloire en 1960, v...
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