Interview par Jeanne Hoffstetter
Caroline Verdu
en son théâtre de la Pépinière
Depuis sa naissance perdue dans la nuit des temps, le théâtre est un art éphémère, un art en mouvement, attentif mais aussi sensible au monde qui l'entoure. Alors, pour que ces lieux magiques et indispensables que sont les théâtres continuent à nous enchanter, des directeurs œuvrent corps et âme dans l'ombre. Jolie femme « à poigne », Caroline Verdu répond aux questions que nous nous posons.
Vous étiez comédienne avant que votre trajectoire ne change. Hasard ou vrai désir ?
C'est un vieux souvenir ça ! Après mon bac, il était clair que je n'étais pas faite pour les études, je voulais devenir comédienne et le suis devenue. J'ai beaucoup travaillé puis je me suis rendue compte que ce métier, pour des tas de raisons, n'était pas fait pour moi. Alors j'ai commencé à m'occuper des compagnies pour lesquelles je travaillais, et très vite j'ai eu envie de passer de l'autre côté du miroir, je suis entrée en production et il m'est alors venue l'idée de diriger un théâtre.
En 2008, cette envie se concrétise, vous rachetez la Pépinière avec Antoine Coutrot et Emmanuel de Dietrich. Une association qui a duré 10 ans, avant que vous ne repreniez seule ce théâtre...
Oui. En 2018, j'ai refinancé le théâtre que je dirige seule depuis. J'ai deux associés, Fleur et Thibaud Houdinière.
Diriger un théâtre, c'est aussi être confronté aux aléas de la vie en général, lesquels vous malmènent particulièrement depuis quelque temps.
Quelles qu'elles soient, il y a toujours eu des difficultés. Un peu comme les agriculteurs sont tributaires de la météo, nous sommes aussi soumis à des aléas divers et variés ; comme les grèves, les matchs importants, les coupes du monde, la pandémie et le télé travail qui ont modifié la manière de vivre des gens. On peut ajouter depuis un moment le problème de mobilité dans Paris avec tous les travaux, les transports en commun pas toujours sûrs, mais notre souci principal reste aujourd'hui le pouvoir d'achat, car d'une certaine manière nous vendons « du luxe ». Alors on s'adapte, on fait des offres, des tarifs privilège, des bons cadeaux, on explique aux gens que le théâtre n'est pas si cher que ça. Moi, je n'ai jamais été passéiste, hier, on existait d'une certaine façon, demain, ce sera d'une autre et aujourd'hui, nous sommes au milieu. Il faut avancer, sentir l'air du temps, faire les choses avec le cœur, avec passion et détermination.
On entend en effet souvent dire que le théâtre est trop cher, mais voulez-vous nous expliquer tout ce qui se passe en amont pour qu'un spectacle puisse exister quand le prix moyen des places les plus chères à Paris n'atteint pas cinquante euros ?
Les comédiens ne vivent pas d'amour et d'eau fraîche, ce sont des gens qui comme tout le monde paient un loyer, des impôts, une nounou pour venir travailler le soir s'ils ont des enfants, ils ont besoin de manger et ont les mêmes charges que nous. Les artistes sont des gens normaux qu'il faut payer et nous ne sommes pas des assistés. Dans un théâtre, pour qu'un spectacle puisse se jouer, il y a des experts comptables, des billettistes, des personnes qui s'occupent de la communication, des administrateurs, des habilleurs, des techniciens, des graphistes... Tout ça coûte de l'argent et tout ça est normal comme dans toute PME. Ici nous sommes dix, plus des intermittents. Ce n'est pas non plus parce qu'on fait de l'art et du divertissement que l'on n'a pas de loyer à payer à la fin du mois. Créer un spectacle, c'est un an de travail avec toute une équipe. L'argent que l'on gagne sur un spectacle, on le réinvestit dans les suivants. Mais si vous regardez le prix d'une place à Londres, Berlin, Madrid ou New-York, vous comprendrez tout de suite qu'il faut arrêter ce mythe des places trop chères à Paris.
Regarder les affiches des théâtres actuellement, c'est constater que les propositions sont de plus en plus nombreuses. N'est-ce pas trop pour les spectateurs et pour parvenir à remplir les salles ?
Si l'on veut que les spectateurs ne paient pas plus cher, on ne peut pas s'en sortir autrement. Le prix des places chute alors que nos coûts fixes augmentent et c'est un vrai problème. A partir de là, il faut donc exploiter nos lieux le plus possible. C'est un peu le serpent qui se mord la queue ! Plus le prix des places va chuter, plus il y aura de spectacles. Fabriquer du théâtre a un coût élevé, nous devons employer beaucoup de monde par rapport à la taille de l'entreprise et à son chiffre d'affaires. Ici, je fais entre 50 et 70 fiches de paie par mois. Notre salle fait 350 places, chaque soir, nous devons payer « le plateau » c'est-à-dire l'ensemble des artistes sur scène, et le Tom (théâtre en ordre de marche). Je vous laisse faire le calcul. Nous devons avoir une recette nette de 6500 euros pour couvrir tout ça. Mais je suis consciente que face à des gens qui ont des difficultés financières, il est difficile de leur expliquer qu'une place de théâtre n'est pas chère et c'est actuellement l'un de mes chevaux de bataille. L'autre côté positif de ces nombreuses propositions est que l'on peut voir aussi bien des spectacles classiques, que plus pointus ou très contemporains sur des thématiques féministes, et essentiellement des créations. La programmation de la Pépinière est toujours assez engagée et s'adresse à des publics différents et de tous âges.
Malgré ces difficultés, il suffit de regarder votre site pour constater que vous maintenez une offre ambitieuse, très variée et de qualité. Dans quelques jours et jusqu'à la fin de l'année vous reprenez « Comme il vous plaira » de Shakespeare qui a remporté 4 Molière en 2022, avec 9 comédiens sur scène.
Oui, et ce spectacle est le fruit du travail d'une soixantaine de personnes sur deux ans !
Vous avez également fait de gros travaux !
Oui, on a fermé trois mois en 2018 et on a refait complètement la salle. La pandémie nous a empêché de refaire le reste, ce sera pour plus tard.
Selon quels critères choisissez-vous votre programmation ?
Simplement et uniquement sur ce qui me plait !
Pour conclure ?
On tient le coup ! Les gens ont besoin du lien social que crée le théâtre. Ils sont face à de vrais gens, ce ne sont pas des métavers. Ils ont besoin de vérité et de sincérité. Alors... Vive le théâtre !
C'est un vieux souvenir ça ! Après mon bac, il était clair que je n'étais pas faite pour les études, je voulais devenir comédienne et le suis devenue. J'ai beaucoup travaillé puis je me suis rendue compte que ce métier, pour des tas de raisons, n'était pas fait pour moi. Alors j'ai commencé à m'occuper des compagnies pour lesquelles je travaillais, et très vite j'ai eu envie de passer de l'autre côté du miroir, je suis entrée en production et il m'est alors venue l'idée de diriger un théâtre.
En 2008, cette envie se concrétise, vous rachetez la Pépinière avec Antoine Coutrot et Emmanuel de Dietrich. Une association qui a duré 10 ans, avant que vous ne repreniez seule ce théâtre...
Oui. En 2018, j'ai refinancé le théâtre que je dirige seule depuis. J'ai deux associés, Fleur et Thibaud Houdinière.
Diriger un théâtre, c'est aussi être confronté aux aléas de la vie en général, lesquels vous malmènent particulièrement depuis quelque temps.
Quelles qu'elles soient, il y a toujours eu des difficultés. Un peu comme les agriculteurs sont tributaires de la météo, nous sommes aussi soumis à des aléas divers et variés ; comme les grèves, les matchs importants, les coupes du monde, la pandémie et le télé travail qui ont modifié la manière de vivre des gens. On peut ajouter depuis un moment le problème de mobilité dans Paris avec tous les travaux, les transports en commun pas toujours sûrs, mais notre souci principal reste aujourd'hui le pouvoir d'achat, car d'une certaine manière nous vendons « du luxe ». Alors on s'adapte, on fait des offres, des tarifs privilège, des bons cadeaux, on explique aux gens que le théâtre n'est pas si cher que ça. Moi, je n'ai jamais été passéiste, hier, on existait d'une certaine façon, demain, ce sera d'une autre et aujourd'hui, nous sommes au milieu. Il faut avancer, sentir l'air du temps, faire les choses avec le cœur, avec passion et détermination.
On entend en effet souvent dire que le théâtre est trop cher, mais voulez-vous nous expliquer tout ce qui se passe en amont pour qu'un spectacle puisse exister quand le prix moyen des places les plus chères à Paris n'atteint pas cinquante euros ?
Les comédiens ne vivent pas d'amour et d'eau fraîche, ce sont des gens qui comme tout le monde paient un loyer, des impôts, une nounou pour venir travailler le soir s'ils ont des enfants, ils ont besoin de manger et ont les mêmes charges que nous. Les artistes sont des gens normaux qu'il faut payer et nous ne sommes pas des assistés. Dans un théâtre, pour qu'un spectacle puisse se jouer, il y a des experts comptables, des billettistes, des personnes qui s'occupent de la communication, des administrateurs, des habilleurs, des techniciens, des graphistes... Tout ça coûte de l'argent et tout ça est normal comme dans toute PME. Ici nous sommes dix, plus des intermittents. Ce n'est pas non plus parce qu'on fait de l'art et du divertissement que l'on n'a pas de loyer à payer à la fin du mois. Créer un spectacle, c'est un an de travail avec toute une équipe. L'argent que l'on gagne sur un spectacle, on le réinvestit dans les suivants. Mais si vous regardez le prix d'une place à Londres, Berlin, Madrid ou New-York, vous comprendrez tout de suite qu'il faut arrêter ce mythe des places trop chères à Paris.
Regarder les affiches des théâtres actuellement, c'est constater que les propositions sont de plus en plus nombreuses. N'est-ce pas trop pour les spectateurs et pour parvenir à remplir les salles ?
Si l'on veut que les spectateurs ne paient pas plus cher, on ne peut pas s'en sortir autrement. Le prix des places chute alors que nos coûts fixes augmentent et c'est un vrai problème. A partir de là, il faut donc exploiter nos lieux le plus possible. C'est un peu le serpent qui se mord la queue ! Plus le prix des places va chuter, plus il y aura de spectacles. Fabriquer du théâtre a un coût élevé, nous devons employer beaucoup de monde par rapport à la taille de l'entreprise et à son chiffre d'affaires. Ici, je fais entre 50 et 70 fiches de paie par mois. Notre salle fait 350 places, chaque soir, nous devons payer « le plateau » c'est-à-dire l'ensemble des artistes sur scène, et le Tom (théâtre en ordre de marche). Je vous laisse faire le calcul. Nous devons avoir une recette nette de 6500 euros pour couvrir tout ça. Mais je suis consciente que face à des gens qui ont des difficultés financières, il est difficile de leur expliquer qu'une place de théâtre n'est pas chère et c'est actuellement l'un de mes chevaux de bataille. L'autre côté positif de ces nombreuses propositions est que l'on peut voir aussi bien des spectacles classiques, que plus pointus ou très contemporains sur des thématiques féministes, et essentiellement des créations. La programmation de la Pépinière est toujours assez engagée et s'adresse à des publics différents et de tous âges.
Malgré ces difficultés, il suffit de regarder votre site pour constater que vous maintenez une offre ambitieuse, très variée et de qualité. Dans quelques jours et jusqu'à la fin de l'année vous reprenez « Comme il vous plaira » de Shakespeare qui a remporté 4 Molière en 2022, avec 9 comédiens sur scène.
Oui, et ce spectacle est le fruit du travail d'une soixantaine de personnes sur deux ans !
Vous avez également fait de gros travaux !
Oui, on a fermé trois mois en 2018 et on a refait complètement la salle. La pandémie nous a empêché de refaire le reste, ce sera pour plus tard.
Selon quels critères choisissez-vous votre programmation ?
Simplement et uniquement sur ce qui me plait !
Pour conclure ?
On tient le coup ! Les gens ont besoin du lien social que crée le théâtre. Ils sont face à de vrais gens, ce ne sont pas des métavers. Ils ont besoin de vérité et de sincérité. Alors... Vive le théâtre !
Paru le 01/03/2023