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Mathieu Amalric
© Philippe Quaisse
Dossier par Jeanne Hoffstetter
Pleins feux sur Harold Pinter
au théâtre de l’Atelier

"L'Amant", et "La Collection", seront respectivement présentées en première et seconde partie de soirée. Ludovic Lagarde met en scène ces deux pièces traduites par Olivier Cadiot. Quatre formidables comédiens y jouent en permanence sur le fil de l'ambiguïté...

Ludovic Lagarde met en scène ces subtils jeux de massacre

Sa distribution
« Le plaisir est d'autant plus grand que je travaille depuis longtemps avec Laurent et Valérie que j'avais très envie de diriger. Mais ce fut la première fois avec Micha, et Mathieu dont je me disais qu'il était l'acteur rêvé pour jouer Harry dans La collection. Alors, lorsqu'en 2019 pour la création aux Bouffes du Nord, il a accepté ma demande, çà a été une grande joie. Cette pièce nécessite de grands acteurs capables de jouer sur la corde raide en permanence et d'en manier l'écriture. Depuis quelques années, je rêvais aussi de réunir sur un projet Micha Lescot que j'admirais dans les mises en scène de Luc Bondy notamment, et Laurent Poitrenaux. J'ai la chance d'avoir pu réunir cette distribution merveilleuse. »

Le lien entre ces pièces
« "La Collection", et "L'Amant", que nous créons pour l'Atelier, ont ceci de commun qu'elles ont été écrites l'une à la suite de l'autre dans les années soixante sous forme de scénarios pour la télévision, ce qui leur donne une facture particulière, avec des indications très précises de lieux et de temps de la part de Pinter, que j'ai suivies dans ma mise en scène. En les lisant, j'ai été saisi par l'écriture, par cette ambiance, ce venin distillé peu à peu. Et plus particulièrement pour "La Collection", qui comporte, outre le thème de l'homosexualité clairement abordé à une époque où en Angleterre il était tabou, une dimension politique et sociologique tout en posant en permanence la question de la vérité et de la fiction. Thème d'une grande actualité aujourd'hui alors que les informations en temps réel circulent autant que les fake news. Dans "L'Amant", c'est au cœur du théâtre qui se joue dans nos vies intimes que Pinter cherche la vérité. Dans les deux pièces, le milieu social joue aussi un rôle important. Ce diptyque avait été créé à Londres, puis en France par Claude Régy, ce qui m'a d'autant plus intéressé et passionné. Alors, j'ai saisi avec enthousiasme l'opportunité qui se présentait de le recréer au théâtre de L'Atelier. »


Laurent Poitrenaux, à l'affiche des deux pièces


Déjà présent sur "La Collection" en 2019, il se prépare à répéter "L'Amant". « Ludovic et moi avons fait nos armes et nos premiers pas ensemble au théâtre. Depuis, il m'a fait des cadeaux inestimables comme "Ivanov", "L'Avare" et toute l'aventure avec Olivier Cadiot. Aujourd'hui, jouer ces deux pièces dans la même soirée va être une expérience peu courante et formidable ! Ce qui me plait beaucoup chez Pinter c'est l'absence de manichéisme, les zones floues, les angles morts, il n'y a jamais de vérités toutes faites. C'est un numéro d'équilibriste qui interroge en permanence la réalité des liens entre les êtres. C'est intéressant de le montrer aujourd'hui où tout est constamment mis sous le feu des projecteurs, nous permettant soi-disant d'atteindre la vérité absolue, alors que plus on croit la saisir, plus elle s'éloigne. "La Collection" part d'une affirmation dont on ignore s'il s'agit d'un mensonge ou d'une réalité. »

Pinter ne donne jamais de clés... ?
En effet et ce n'est pas une absence de point de vue, mais montre au contraire combien la vérité est complexe. Il prend plaisir à ne jamais définir les êtres par un seul et même prisme. Dans "L'Amant", l'ambiguïté est là aussi, mais cette fois dans les rapports qu'entretient un couple qui essaie de trouver un autre chemin que celui imposé par les conventions sociales en inventant des jeux de rôles. D'une manière générale, Pinter est assez elliptique, ses pièces sont rapides mais très profondes et les rapports de pouvoir n'y sont jamais univoques, un camp ne domine jamais l'autre et c'est passionnant.


Valérie Dashwood, de "L'Amant" à "La Collection", infidèle... ou non ?


Infidèle dans "L'Amant", elle reprend dans "La Collection" son rôle de Stella créé en 2019. « Je n'avais jamais joué Pinter de manière professionnelle, cependant je l'avais beaucoup travaillé au Conservatoire où j'avais proposé pour mon concours "C'était hier", une pièce à trois personnages, un couple et une femme, que je jouais, venue s'immiscer entre eux, créant un malaise et laissant supposer une relation homosexuelle entre les deux femmes. Ce que j'aime chez Pinter ce sont les non-dits, le fait que l'on soit dans le quotidien le plus banal et que subitement arrivent des situations surprenantes qui éclairent les choses d'une manière inattendue. Les personnages parlent tout à fait normalement en se disant parfois des horreurs, des choses très dures, ou très sexuelles comme dans "L'Amant". Ces pièces sont très modernes dans la manière d'aborder des thèmes éternels, comme la non connaissance réelle de l'autre, sans que l'on ne sache jamais à quoi s'en tenir. »

Du théâtre en perpétuelle bascule, parfois difficile à aborder pour des comédiens... ?
Pas pour moi qui ai des origines anglaises et qui suis réceptive à cet humour qui se joue dans la manière de se regarder ou de se taire, à cette manière de dire les choses sans les dire et de jouer les silences. "L'Amant" par exemple parle de l'intimité cachée du couple. L'homme et la femme se livrent à des jeux de rôles pour maintenir en vie ce qui semble s'éloigner d'eux comme l'amour et le désir. Il faut s'amuser en jouant ça et je pense que la complicité artistique que j'ai déjà avec Laurent à travers "La Collection" devrait parfaitement fonctionner.

Dans les années soixante ces pièces n'étaient pas du goût de tout le monde en Angleterre !
Elles bousculaient une certaine bourgeoisie, oui, mais aujourd'hui nous sommes moins formatés et j'ai hâte de jouer ces deux pièces très drôles et malignes devant le public !


Micha Lescot est Bill, jeune créateur de mode dans "La Collection"


Avec "Célébration", mis en scène par Roger Planchon, et "Le Retour", monté par Luc Bondy, il est le seul dans l'équipe à avoir joué plusieurs fois Pinter. « Des expériences fortes. J'adore son écriture, cet endroit de jeu très ambigu où plusieurs vérités coexistent sans que l'on sache vraiment ce que pensent les personnages. Pour un acteur, c'est passionnant et très drôle à jouer. Dans "La Collection", la mise en scène reste la même, mais l'écriture permet d'un soir à l'autre de jouer des nuances différentes du plus léger au plus agressif... Si par exemple Mathieu entre en scène avec une proposition agressive, il faut suivre, et c'est plus amusant que de rester chacun dans sa petite zone de confort ! Mais il faut aussi rester courtois, ne pas déborder de cette violence sourde, de cette inquiétante étrangeté créée par Pinter. C'est un théâtre de la menace, qui se joue sous le vernis anglais. Il y a aussi des petits moments très drôles qui peuvent faire penser aux sketchs que Pinter écrivait à une époque. On frôle le théâtre de l'absurde en fait. Dans cette pièce qui se joue à quatre, Stella et James d'un côté, Bill et Harry de l'autre, on ne sait jamais s'ils vont se donner un coup de couteau ou s'embrasser. »

On ne sait jamais qui mène la danse sous le vernis de ces jeux de massacre ?
Exactement. Il faut trouver la bonne atmosphère tout en ne s'empêchant pas de la faire évoluer. Lorsqu'on voit une pièce plus classique, on sait qui mène la scène, qui a le pouvoir. Pinter, lui, ne s'embarrasse pas du sens de l'histoire, tout s'inverse constamment au cours d'une même scène, le leader change, c'est comme si l'on dansait un tango, et tout ça fait partie du plaisir de la représentation !


Mathieu Amalric, Harry, est en couple avec Bill dans "La Collection"


Quel rôle joue-t-il dans cette histoire ?« Disons qu'il est riche, un peu vieux et peut se payer un gigolo qu'il a sûrement aidé à créer sa première collection », résume-t-il en riant. Nous connaissons tous l'acteur, le réalisateur, multi récompensé au cinéma. Mais qui sait que très jeune déjà, il aimait le théâtre, ses décors peints, ses coulisses et tous ces métiers qui gravitent autour pour le faire vivre. Il aimait par-dessus tout dit-il, en être le spectateur, être emporté par un spectacle, être dans l'émotion, partir vers tant de choses ! « L'acteur, lui, est dans la fabrication, il ne peut pas prendre en charge toute l'émotion sinon le spectateur ne voit que ça et ne prend pas sa place. Ce qui se joue entre le spectateur et l'acteur est si mystérieux ! C'est pour ça qu'on aime physiquement être dans une salle de théâtre ou de cinéma. » Pour appuyer ses dires, il invite Hamlet et Diderot dans la conversation, il parle de la danse qui lui a procuré « Ses plus grandes émotions de spectateur. » et des animaux dont il aime observer les attitudes.

En fait ce qui est magnifique avec Pinter, c'est qu'on peut tout se raconter ?
Ce que j'aime aussi au théâtre, j'y pense souvent et ça me sert beaucoup pour tourner, c'est que l'acteur est vu en entier en permanence, contrairement au cinéma. C'est tout bête, hein ! Mais voir Laurent Poitrenaux seul en scène, sans bouger, dire "Le Colonnel des zouaves", un monologue d'Olivier Cadiot, qui est aussi le traducteur des Pinter, a été un véritable choc, une leçon pour moi. Alors, lorsque Ludovic m'a proposé de m'embarquer avec eux pour créer La collection, j'ai pris le bateau et le reprends aujourd'hui avec la bande. En fait, ce qui est magnifique avec Pinter, c'est qu'on peut tout se raconter. Ce texte, on peut le jouer à l'infini, soit totalement déchiré, soit calculateur... on ne décide pas avant, au point qu'on est nous même surpris en fin de représentation. C'est magique.
Paru le 22/05/2023

(12 notes)
AMANT (L')
THÉÂTRE DE L'ATELIER
Du samedi 3 juin au dimanche 25 juin 2023

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