Dans une scénographie magistrale où, par un travail ingénieux et d'une précision d'horloger, on lève le voile, voire les voiles pour figurer qui un ciel, qui des vagues, qui un navire, le spectateur se laisse dériver entre philosophie et psychanalyse. Du mythe de la caverne de Platon à l'évocation d'une grotte préhistorique, tout se mélange avec fluidité et quand la grande toile peinte plaquée au sol s'élève, nous nous laissons entrainer par cette grande machinerie. Car l'histoire se déroule sous nos yeux. Et même si ce n'était qu'un rêve, il faut le retenir avant qu'il ne soit englouti. C'est ainsi qu'on assiste, un peu désorientés, à un colloque de philosophes qui n'a peut-être jamais eu lieu.

Peu importe ! C'est la magie de l'imaginaire qui est portée de bout en bout. Par la vidéo, le travail précis sur le son qui figure souvent le souffle des vents et les mouvements de balancier, le théâtre se fait navire et dans cette croisière onirique et magique, on redécouvre les lieux engloutis et autres souvenirs que convoque habilement Gauchet (le mur de Berlin). Il y a comme une géométrie dansante et envoûtante dans la construction, l'agencement et la manipulation des décors devenus marionnettes géantes. Comme aimantés, à l'image des sacs qui montent et descendent dans une belle harmonie, comme ces voiles qui gonflent et se dégonflent, comme ces plis qui, quand ils se rejoignent, créent des figures géométriques, nous nous laissons porter, voire engloutir.

Entre performance et pédagogie - car il y a, à l'évidence, une réflexion profonde sur le devenir de la planète, la montée des eaux, l'environnement -, en utilisant tous les supports qu'offre la scène et en offrant à la troupe (le casting est parfait) d'être tantôt eux-mêmes (ils s'apostrophent par leur prénom) tantôt des personnages - imaginaires ou réels -, l'auteur, qui est aussi metteur en scène, scénographe et plasticien, réalise une parenthèse théâtrale exceptionnelle par son esthétisme et la puissance de son texte.

Au départ, sur le fond noir d'un immense tableau, les comédiens écrivaient "Essaie de te souvenir ou à défaut invente".
Comme nous n'avons pas forcément leur talent, on se contentera de se souvenir de ce moment d'exception. Longtemps. Chapeau !