Article de Patrick Adler
Qu’il fait beau, cela vous suffit
Théâtre de l’Etoile du Nord
Malgré un titre abscons qui pourrait augurer une proposition théâtrale intelli-chiante, d'autant que nous sommes à la fois à l'école et dans un Grenelle de l'éducation, Mélanie Charvy et Millie Duyé, autrices et metteuses en scène, nous plongent tout de go dans le sujet avec un J.T. relatant la prise d'otage d'une classe par un enseignant et de violents échanges verbaux sur la gestion de l'école qu'elles font démarrer dans la salle.
C'est le théâtre du réel qui, après deux ans d'un travail d'écoute des élèves et des profs, à l'instar d'un « Cash Investigation » interroge, fouille, ratiocine et forcément dérange. C'est du vivant avec cette sève humaine que sont les élèves et les profs, avec leurs failles, leurs indécisions, leurs colères dans cette micro-société qu'est l'école, qu'on pense sanctuarisée puisqu'elle aborde tout, y compris la sexualité mais qui ne saurait tout résoudre puisque la famille a droit d'ingérence.
C'est aussi et surtout un rapport à l'autorité, une gestion qui varie d'un prof à l'autre, d'un élève à l'autre. L'école ne peut tout résoudre et on lui demande tant. Entre les profs débordés, les pleutres démagos, les partisans de l'autorité ferme, les idéalistes « baba cool », les pseudo-détenteurs de la loi et du savoir, rien n'est simple et tout n'est qu'affaire de tolérance, de médiation. Rien ne saurait être imposé - Montesquieu parlait en son temps déjà de la nécessité d'une autorité consentie -, le rapport entre le sachant et l'apprenant étant affaire d'écoute, de compréhension mutuelle. L'adulte ne saurait oublier qu'il a été un enfant, on ne se parle pas d'égal à égal. Il doit faire figure d'exemple. Il a un champ de vision plus large, davantage d'expérience pour proposer un diagnostic. Alors...
Et si la poésie, si les mots faisaient sens et offraient une échappatoire. « Qu'il fait beau, cela vous suffit », sorti du long poème, répond en partie à ce « Désenchanté « de Mylène Farmer, repris à dessein dans la pièce, amer bilan de décennies d'erreurs dans l'Education nationale , d'un chantier fissuré, rafistolé à la-va-vite, qui peu à peu s'effondre.
« Tout le monde ici est susceptible d'exploser » dit un prof...
Et pourtant, avec humour et sans pathos, en mettant juste l'accent sur le factuel, les autrices mettent de l'espoir dans cette pièce. Violette, la CPE, réplique de Louise Fletcher dans « Vol au-dessus d'un nid de coucous » par sa rigidité et son dogmatisme se mue progressivement en pasionaria et tente le tout pour le tout pour sauver Aleksander, adolescent violent, en révolte et en rupture avec l'école, chez qui elle décèle un talent de dessinateur et pour qui elle envisage une orientation autre qu'une sortie du système scolaire, s'attirant les foudres de sa mère, réfugiée polonaise vivant de ses charmes, une « Fantine » moderne . Hugo et le Lumpenproletariat » cher à Marx ne sont pas loin. « Etre enseignant, c'est être en saignant », disait Lacan. Ils se saignent, certes, mais quelle veine quand les résultats apparaissent : Aleksander, qui malgré son âge gère une mère paumée, progresse dans sa conduite comme dans ses notes. Alors, comme dans le film de Mélanie Auffret « Les petites victoires », c'est une explosion de fraîcheur et de bonheur qui nous envahit. Entre les profs, l'assistante sociale, la CPE, c'est tout un SAMU scolaire en action. Car - et c'est un ex-prof d'allemand qui vous parle - l'école ne tient que par son personnel, surtout en ZEP où ceux qui ont choisi d'y enseigner ont fait un choix qui n'a rien à voir avec le plaisir des points de retraite majorés mais plutôt à un sacerdoce.
La pièce est merveilleuse car elle est à mi-chemin entre le reportage et le théâtre filmé (mention spéciale à la bande-son de Timothée Langlois et à la scénographie basée sur des éléments modulables, facilement déplaçables). Aucun temps mort, aucun « ventre mou », tout est rythmé. Et pour servir cette écriture précise et cette mise en scène au cordeau ce sont vingt personnes qui s'engagent à fond - bravo à la troupe d'élèves intégrée aux professionnels, bravo à la troupe Kirikou - avec une mention spéciale pour les deux moteurs de la pièce : l'époustouflant Etienne Toqué (il joue Aleksander, un député, un prof d'anglais) et la très convaincante Clémentine Lamothe (elle est Violette la CPE et la Présidente de l'Assemblée Nationale).
Par son pragmatisme assumé, cette pièce , véritable ode à la transmission, n'a sûrement pas vocation à changer l'école mais peut-être à changer notre jugement sur les enseignants. En mettant un focus sur les dysfonctionnements du système mais en convoquant aussi la poésie (Aleksander reprenant Aragon, un must !) et, plus globalement, les mots des autres, en ne cédant pas pour autant à la facilité de l'excuse et en laissant la porte ouverte à l'imaginaire (quid de l'avenir d'Aleksander, la réponse est en suspens) elle est une pièce intelligente, pédagogique, humaniste qui devrait être présentée dans les lycées. De là à en faire un « cas d'école », il n'y a qu'un pas ...que les parents d'élèves seraient avisés de franchir.
C'est aussi et surtout un rapport à l'autorité, une gestion qui varie d'un prof à l'autre, d'un élève à l'autre. L'école ne peut tout résoudre et on lui demande tant. Entre les profs débordés, les pleutres démagos, les partisans de l'autorité ferme, les idéalistes « baba cool », les pseudo-détenteurs de la loi et du savoir, rien n'est simple et tout n'est qu'affaire de tolérance, de médiation. Rien ne saurait être imposé - Montesquieu parlait en son temps déjà de la nécessité d'une autorité consentie -, le rapport entre le sachant et l'apprenant étant affaire d'écoute, de compréhension mutuelle. L'adulte ne saurait oublier qu'il a été un enfant, on ne se parle pas d'égal à égal. Il doit faire figure d'exemple. Il a un champ de vision plus large, davantage d'expérience pour proposer un diagnostic. Alors...
Et si la poésie, si les mots faisaient sens et offraient une échappatoire. « Qu'il fait beau, cela vous suffit », sorti du long poème, répond en partie à ce « Désenchanté « de Mylène Farmer, repris à dessein dans la pièce, amer bilan de décennies d'erreurs dans l'Education nationale , d'un chantier fissuré, rafistolé à la-va-vite, qui peu à peu s'effondre.
« Tout le monde ici est susceptible d'exploser » dit un prof...
Et pourtant, avec humour et sans pathos, en mettant juste l'accent sur le factuel, les autrices mettent de l'espoir dans cette pièce. Violette, la CPE, réplique de Louise Fletcher dans « Vol au-dessus d'un nid de coucous » par sa rigidité et son dogmatisme se mue progressivement en pasionaria et tente le tout pour le tout pour sauver Aleksander, adolescent violent, en révolte et en rupture avec l'école, chez qui elle décèle un talent de dessinateur et pour qui elle envisage une orientation autre qu'une sortie du système scolaire, s'attirant les foudres de sa mère, réfugiée polonaise vivant de ses charmes, une « Fantine » moderne . Hugo et le Lumpenproletariat » cher à Marx ne sont pas loin. « Etre enseignant, c'est être en saignant », disait Lacan. Ils se saignent, certes, mais quelle veine quand les résultats apparaissent : Aleksander, qui malgré son âge gère une mère paumée, progresse dans sa conduite comme dans ses notes. Alors, comme dans le film de Mélanie Auffret « Les petites victoires », c'est une explosion de fraîcheur et de bonheur qui nous envahit. Entre les profs, l'assistante sociale, la CPE, c'est tout un SAMU scolaire en action. Car - et c'est un ex-prof d'allemand qui vous parle - l'école ne tient que par son personnel, surtout en ZEP où ceux qui ont choisi d'y enseigner ont fait un choix qui n'a rien à voir avec le plaisir des points de retraite majorés mais plutôt à un sacerdoce.
La pièce est merveilleuse car elle est à mi-chemin entre le reportage et le théâtre filmé (mention spéciale à la bande-son de Timothée Langlois et à la scénographie basée sur des éléments modulables, facilement déplaçables). Aucun temps mort, aucun « ventre mou », tout est rythmé. Et pour servir cette écriture précise et cette mise en scène au cordeau ce sont vingt personnes qui s'engagent à fond - bravo à la troupe d'élèves intégrée aux professionnels, bravo à la troupe Kirikou - avec une mention spéciale pour les deux moteurs de la pièce : l'époustouflant Etienne Toqué (il joue Aleksander, un député, un prof d'anglais) et la très convaincante Clémentine Lamothe (elle est Violette la CPE et la Présidente de l'Assemblée Nationale).
Par son pragmatisme assumé, cette pièce , véritable ode à la transmission, n'a sûrement pas vocation à changer l'école mais peut-être à changer notre jugement sur les enseignants. En mettant un focus sur les dysfonctionnements du système mais en convoquant aussi la poésie (Aleksander reprenant Aragon, un must !) et, plus globalement, les mots des autres, en ne cédant pas pour autant à la facilité de l'excuse et en laissant la porte ouverte à l'imaginaire (quid de l'avenir d'Aleksander, la réponse est en suspens) elle est une pièce intelligente, pédagogique, humaniste qui devrait être présentée dans les lycées. De là à en faire un « cas d'école », il n'y a qu'un pas ...que les parents d'élèves seraient avisés de franchir.
Plus d'informations : etoiledunord-theatre.com/
Paru le 21/11/2023