Interview par Jeanne Hoffstetter
Denise Chalem
"Un homme qui boit rêve toujours d’un homme qui écoute"Au théâtre le 13e Art
Les nombreuses chroniques journalistiques du romancier Kamel Daoud enthousiasment depuis longtemps Denise Chalem au point qu'elle imagine à partir de celles-ci un projet théâtral ambitieux qu'elle écrira et mettra en scène.
« Mission impossible !», lui a déclaré en riant Kamel Daoud alors qu'elle lui fait part de son projet. Pourtant, après avoir obtenu sa totale confiance, Denise Chalem relève le gant sans attendre. Thibault de Montalembert, le musicien Ibrahim Maalouf, ainsi que Sarah-Jane Sauvegrain répondent banco à cette aventure.
Partant du choix que vous avez fait parmi ces chroniques, qu'allez-vous nous raconter ? Et de quelle manière votre travail d'autrice va-t-il trouver sa place dans l'histoire ?
Durant le confinement j'ai lu au moins six-cents de ces chroniques qui sont toutes politiques mais relèvent de sujets très divers. Tout raisonnait très fort en moi et après avoir obtenu l'autorisation de leur auteur, je suis partie à la recherche de l'homme qu'il est, son enfance, sa solitude, l'écriture... Mais il fallait que je trouve à l'intérieur de tout ça ma place d'autrice, car il n'était pas question de faire des lectures, je voulais vraiment écrire une pièce de théâtre. Alors, parce que je trouve que nous vivons dans une époque de sommation où chacun est défini par son genre, sa religion ou non, ses fréquentations... j'ai pris le contrepied en voulant écrire une pièce qui soit une ode à l'amitié entre deux personnages qui n'ont rien à voir l'un avec l'autre. Un écrivain algérien qui peut se rapprocher de Kamel Daoud, et un jeune musicien français qui vit à Paris, débute sa carrière et se heurte à toutes sortes de difficultés. A priori rien n'était fait pour que ces deux-là deviennent amis. Et je voudrais qu'à travers leur histoire les spectateurs soient happés par l'émotion, le rire et la sensualité. Voilà.
Sans dévoiler le travail considérable que tout cela suppose en amont, pouvez-vous poser le décor et nous en dire un peu plus ?
Selon les circonstances et les lieux, ces deux personnages vont échanger leurs points de vue, se disputer, se réconcilier autour de sujets qui leur tiennent à cœur ainsi qu'à moi-même, comme la place de la femme dans nos sociétés, comment être un homme aujourd'hui ? Les monothéismes chrétien, juif et musulman, mais aussi le Sud et ses couleurs, sa sensualité, ses nourritures, son vin, et leurs activités respectives, l'écriture et la musique qu'ils ressentent fortement dans leur chair, dans leur corps tout entier. Mais il ne s'agit pas de discussions entre deux potes qui boivent un bon coup, ce sont de vrais moments de vie qui mettent à jour leurs dissemblances dans un rapport physique très fort. Ce qui est beau dans l'amitié c'est cette véritable familiarité. La pièce aura trois parties :
La première dans la maison de l'écrivain à Mostaganem, le spectacle s'ouvre sur la mer, le ciel étoilé, le bruit des vagues et la musique de Pierre qui joue de la trompette et s'émerveille de pouvoir respirer.
La seconde se passe à Paris où il sera question d'écriture et de musique qui sont toutes deux un sport de combat. J'ai voulu montrer l'écriture en marche avec tout le danger qu'elle peut engendrer, ne serait-ce qu'à travers un simple mot. Les pensées prises dans les chroniques de Kamel Daoud interviennent ici comme des dialogues. La troisième partie c'est le confinement, ils sont à 6500 kms l'un de l'autre et ils communiquent par le biais d'une sorte de Face Time. Ils s'engueulent, se réconcilient, avec des moments très drôles. Il y aura aussi des visuels mais laissons la surprise !
D'où vient le personnage féminin ?
D'une magnifique chronique de Kamel Daoud intitulée « Toute la vérité » qui parle d'une jeune femme qui s'était mise nue en haut de l'ambassade d'Égypte pour alerter sur le désir des femmes de faire ce qu'elles veulent de leur corps. J'ai prolongé ce personnage, femme mariée en Algérie dont cette jeunesse a été vite oubliée, elle aussi aura des échanges avec l'écrivain.
Vous confiez le rôle de l'écrivain Algérien à Thibault de Montalembert...
Aujourd'hui, si on joue un arabe il faut en avoir la tête, mais le propos de Kamel, il le dit, est universel, l'essentiel étant que le rôle soit joué par un excellent comédien, c'est là la seule légitimité.
Sur la scène, c'est de la vie, du charnel, de la drôlerie, il ne s'agit en aucun cas d'une pièce politique, je n'ai aucune leçon à donner. En accumulant les difficultés, une grande salle, un magnifique dispositif scénique qu'il va falloir utiliser avec art, peu de temps pour répéter entre les emplois du temps chargés des comédiens, c'est un des spectacles les plus lourds que j'ai eu à monter !
Paru le 25/01/2024
(30 notes) 13ÈME ART Du mardi 27 février au dimanche 31 mars 2024
COMÉDIE DRAMATIQUE. Celle de Kamed Daoud, écrivain et journaliste, (Prix Goncourt du Premier Roman) et Denise Chalem, actrice, autrice, metteuse en scène (Prix Arletty et Molière du meilleur spectacle de création française) qui, à partir des chroniques de Kamel Daoud a écrit cette pièce qui relate une histoire d'amit...
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