Article de Patrick Adler
Un Prince
Comédie des Champs-Elysées
Sami Bouajila signe enfin son retour au théâtre.
"Un Prince" d'Émilie Frèche ne pouvait que résonner chez ce fils d'immigré ayant vécu dans les faubourgs de Grenoble. Endossant tour à tour les habits du père et du fils, les rêves de l'un, les échecs de l'autre, il évolue avec brio entre récit et fantasme avec pudeur, sobriété, élégance. Et le sourire. Ah, ce sourire !
"Sublime, forcément sublime", eût dit M. Duras...
"Un Prince" d'Émilie Frèche ne pouvait que résonner chez ce fils d'immigré ayant vécu dans les faubourgs de Grenoble. Endossant tour à tour les habits du père et du fils, les rêves de l'un, les échecs de l'autre, il évolue avec brio entre récit et fantasme avec pudeur, sobriété, élégance. Et le sourire. Ah, ce sourire !
"Sublime, forcément sublime", eût dit M. Duras...
Il traine comme un pauvre hère son petit chariot, sa cage à oiseaux, son pliant aux abords du périphérique, gravit parfois un môle de sable pour prendre de la hauteur et distinguer les tours bleu-sale des cités. Il se parle, il nous parle, convoque ses souvenirs : Jeanne, la femme de sa vie, partie, son licenciement, sa précarité, sa désillusion. Devenu presque clochard, il est bouleversant d'humanité, émouvant dans sa souffrance. Il est et reste malgré tout le Prince déraciné déchu, le Prince fantasmé de ce père qui, parti d'Algérie pour travailler dans une usine en France la verra délocalisée là-bas cinquante ans plus tard, laissant sur le carreau son fils. Dire qu'en quittant le pays, ce père lui avait prédit une carrière de footballeur. Il serait Salif Keita. Désillusion. Ironie de l'histoire, celle de la France et de l'Algérie, celle de la décolonisation, avec son lot de douleurs.
Alors, la résilience opère. C'est par la poésie qu'on échappe à la tristesse. Elle seule l'arrache au réel. Entendre les mots du père décrivant sa condition d'avant, celle d'un berger dans les vallées de champs d'arganiers qui s'étendent jusqu'à la mer, entendre le bêlement des chèvres, les stridulations des criquets, le souffle du sirocco offre quelques instants de bonheur dans une terre retrouvée, un peu de soleil dans le décor crasse de ce terrain vague où seuls le bruit de moteurs d'automobiles et quelques klaxons figurent un semblant de vie. La nostalgie est parfois salvatrice. L'ode à la patrie quittée, ce "On est amoureux comme on est amoureux d'une femme" du père claque comme une vérité retrouvée.
Pour ce "Prince" d'Émilie Frèche, aussi délicat que poétique, on ne pouvait rêver meilleur interprète que Sami Bouajila. Il irradie la pièce. Il est admirablement dirigé par Marie-Christine Orry qui signe une mise en scène aussi épurée que précise. Courez voir cette pépite !
Alors, la résilience opère. C'est par la poésie qu'on échappe à la tristesse. Elle seule l'arrache au réel. Entendre les mots du père décrivant sa condition d'avant, celle d'un berger dans les vallées de champs d'arganiers qui s'étendent jusqu'à la mer, entendre le bêlement des chèvres, les stridulations des criquets, le souffle du sirocco offre quelques instants de bonheur dans une terre retrouvée, un peu de soleil dans le décor crasse de ce terrain vague où seuls le bruit de moteurs d'automobiles et quelques klaxons figurent un semblant de vie. La nostalgie est parfois salvatrice. L'ode à la patrie quittée, ce "On est amoureux comme on est amoureux d'une femme" du père claque comme une vérité retrouvée.
Pour ce "Prince" d'Émilie Frèche, aussi délicat que poétique, on ne pouvait rêver meilleur interprète que Sami Bouajila. Il irradie la pièce. Il est admirablement dirigé par Marie-Christine Orry qui signe une mise en scène aussi épurée que précise. Courez voir cette pépite !
Paru le 31/01/2024
(99 notes) COMÉDIE DES CHAMPS-ÉLYSÉES Du mercredi 24 janvier au jeudi 25 avril 2024
SEUL-E EN SCÈNE. Un homme, mal rasé, mal coiffé, pas très bien habillé non plus, se tient au sommet d’une butte de sable. On ne peut pas dire tout de suite qu’il vit dans la rue. Le temps, le monde, les gens n’ont plus d’emprise sur lui. Seul sa mémoire le maintient ici-bas. Rejeté par la ville, cet homme seul, ha...
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