Zoom par Patrick Adler
Je suis la maman du bourreau
A la Pépinière
Un rôle sur mesure pour Clémentine Célarié, un diamant taillé... sur pièce, évidemment !
Elle a lu, adapté, mis en scène le roman éponyme de David Lelait-Helo. Elle déroule cette histoire à partir d'un petit carnet, joue tous les personnages : le fils, l'enfant abusé, le journaliste... mais surtout cette "mère du bourreau" qui découvre avec stupeur la duplicité d'un fils mi-ange, mi-démon. Rimbaud et son "Je est un autre" n'est pas loin. Si cette mère prend une claque en découvrant la réalité des faits, le public, lui, est submergé par la puissance émotionnelle que dégage Clémentine.
Gabrielle de Miremont est dans la lignée des aristos-cathos-rétro : elle place l'intelligible au-dessus du sensible. Elle a eu deux filles dans ses "fièvres du samedi soir". De simples parenthèses car, rigide à souhait, elle goûte fort peu la bagatelle. Elle a néanmoins connu l'extase quand, au troisième coup, un fils est venu au monde. Elle l'a prénommé Pierre-Marie. Un classique chez les gens de son rang. Pour cet enfant élu, elle s'est muée en Génitrix, aimante, enveloppante, étouffante aussi.
Pierre-Marie est, comme on dit vulgairement la chair de sa chair mais pour elle, il est avant tout "l'âme de son âme" (sic). On s'élève à la Grâce divine par les mots plus que par les gestes. Pas d'effusions, pas de câlins. Roide et pieuse, elle n'est pas futile et légère comme sa mère. Elle, elle tient de son père. Le même profil hiératique, la même noblesse des sentiments, une compassion toute chrétienne. Elle montrera donc de la retenue en tout, jusqu'au voussoiement.
"Faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là..." chantait Brel. On complètera par "On ne tutoie pas", qui prendra un sens tout "Lacanien" quand elle déclarera à son fils condamné "Je te tue, toi".
"Faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là, on ne touche pas non plus"...
Devenu prêtre, le fils élu n'aura de cesse de toucher. Des enfants. En nombre. Pendant des années.
Partagée entre colère et déni, terrorisée par les dégâts collatéraux, en proie à la culpabilité ("Ce drame que j'ai porté dans mon ventre", sic), partagée entre l'amour et la malédiction, elle fera pourtant corps jusqu'au bout avec son fils en le libérant de la justice des hommes, gardant ainsi les liens du sang ("J'ai tué le monstre et je suis devenue monstre à mon tour"), même si elle offre une filiation à Hadrien, l'enfant accusateur.
Le sujet avait été traité au cinéma par François Ozon dans son admirable "Grâce à Dieu".
Ici, Clémentine Célarié en fait un objet théâtral puissant, digne d'intérêt. Elle a choisi à dessein Herman Batz à la scénographie et aux lumières, confié le choix des musiques et le son à Gustave Reichert et Abraham Diallo. Le résultat est une pure pépite.
Le décor est pourtant spartiate : une table, un lit, une chaise et une croix - immense - qui, par sa présence imposante, devient un personnage à part entière. Mais par le jeu des lumières et une scénographie très astucieuse, il se meut en salon, en chapelle, en geôle, s'allonge, se réduit. Le texte est puissant, la musique aussi et l'interprète est juste magique. Incandescente, bouleversante dans son déchirement, ses interrogations, ses maladresses ("Au diable les mauvais souvenirs" dit-elle à l'enfant abusé par son fils avant d'entrer en totale compassion), elle est une "Mère Courage", une mère de douleur d'une telle authenticité que d'aucuns ont pu penser qu'elle ne jouait pas, qu'elle était Gabrielle de Miremont. Vertigineux !
Gabrielle de Miremont est dans la lignée des aristos-cathos-rétro : elle place l'intelligible au-dessus du sensible. Elle a eu deux filles dans ses "fièvres du samedi soir". De simples parenthèses car, rigide à souhait, elle goûte fort peu la bagatelle. Elle a néanmoins connu l'extase quand, au troisième coup, un fils est venu au monde. Elle l'a prénommé Pierre-Marie. Un classique chez les gens de son rang. Pour cet enfant élu, elle s'est muée en Génitrix, aimante, enveloppante, étouffante aussi.
Pierre-Marie est, comme on dit vulgairement la chair de sa chair mais pour elle, il est avant tout "l'âme de son âme" (sic). On s'élève à la Grâce divine par les mots plus que par les gestes. Pas d'effusions, pas de câlins. Roide et pieuse, elle n'est pas futile et légère comme sa mère. Elle, elle tient de son père. Le même profil hiératique, la même noblesse des sentiments, une compassion toute chrétienne. Elle montrera donc de la retenue en tout, jusqu'au voussoiement.
"Faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là..." chantait Brel. On complètera par "On ne tutoie pas", qui prendra un sens tout "Lacanien" quand elle déclarera à son fils condamné "Je te tue, toi".
"Faut vous dire, Monsieur, que chez ces gens-là, on ne touche pas non plus"...
Devenu prêtre, le fils élu n'aura de cesse de toucher. Des enfants. En nombre. Pendant des années.
Partagée entre colère et déni, terrorisée par les dégâts collatéraux, en proie à la culpabilité ("Ce drame que j'ai porté dans mon ventre", sic), partagée entre l'amour et la malédiction, elle fera pourtant corps jusqu'au bout avec son fils en le libérant de la justice des hommes, gardant ainsi les liens du sang ("J'ai tué le monstre et je suis devenue monstre à mon tour"), même si elle offre une filiation à Hadrien, l'enfant accusateur.
Le sujet avait été traité au cinéma par François Ozon dans son admirable "Grâce à Dieu".
Ici, Clémentine Célarié en fait un objet théâtral puissant, digne d'intérêt. Elle a choisi à dessein Herman Batz à la scénographie et aux lumières, confié le choix des musiques et le son à Gustave Reichert et Abraham Diallo. Le résultat est une pure pépite.
Le décor est pourtant spartiate : une table, un lit, une chaise et une croix - immense - qui, par sa présence imposante, devient un personnage à part entière. Mais par le jeu des lumières et une scénographie très astucieuse, il se meut en salon, en chapelle, en geôle, s'allonge, se réduit. Le texte est puissant, la musique aussi et l'interprète est juste magique. Incandescente, bouleversante dans son déchirement, ses interrogations, ses maladresses ("Au diable les mauvais souvenirs" dit-elle à l'enfant abusé par son fils avant d'entrer en totale compassion), elle est une "Mère Courage", une mère de douleur d'une telle authenticité que d'aucuns ont pu penser qu'elle ne jouait pas, qu'elle était Gabrielle de Miremont. Vertigineux !
Paru le 16/02/2024
(168 notes) PÉPINIÈRE THÉÂTRE (LA) Du jeudi 18 janvier au samedi 4 mai 2024
SEUL-E EN SCÈNE. Elle aimait un ange, il était le diable. Quand Gabrielle découvre quel monstre est vraiment son fils adoré, il est déjà trop tard… Sous l'armure de cette femme sévère, éclate le cœur en miettes d'une mère. Comment survivre à la trahison ultime ? Où peut la mener son amour de mère ? Vacillante, Gab...
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