Il y a d'abord le rythme, soutenu. Pas le moindre temps mort. De la fluidité en tout. Tout file. Les pupitres, montés sur roulettes, passent et repassent, changent de position, offrant ainsi une dynamique de jeu à ces jeunes acteurs, tous époustouflants de vérité : Hélie Thonnat, bouleversant, n'est pas sans nous rappeler Brad Dourif, oscarisé en 1976 dans "Vol au-dessus d'un nid de coucou" (comédien à suivre), Ethan Oliel est entre stupeur et tremblements mais aussi allégresse (il a une palette de jeu déjà impressionnante), Pierre Delage (futur Danny de Vito ?) est facétieux et émouvant à souhait, Maxime Hurriguen désarmant en amoureux transi et gauche, Audran Cattin joue la fronde avec panache et rigueur, comme Maxence Seva qui endosse le rôle - peu sexy - de traitre avec courage et vérité.

Ce rythme que donne Olivier Solivarès à son adaptation du "Cercle" s'imprime dès le début par une fin de bal auquel le public est convié sur scène. Il se termine par une sortie des comédiens au milieu des spectateurs, façon "haie d'honneur". On est presque en immersion. C'est hypnotique !

Il y a aussi cette superbe scénographie qui alterne en quelques panneaux, quelques jeux d'écran, le réel et l'imaginaire, la salle de classe et la grotte. Les lumières et les musiques habillent l'ensemble avec élégance. On ne saurait perdre une seconde de l'histoire qui nous fait passer de la violence du discours des dominants - le directeur et le père de Neil (merveilleux Yvan Garouel et Olivier Bouana)- à l'enthousiasme et la poésie de la jeunesse (le morceau de saxo et les poèmes déclamés dans la grotte sont une caresse, la chorégraphie des lampes-torches façon "Blair Witch" - habile trouvaille - un enchantement). Cette fougue, cet espoir, on les trouve aussi chez le professeur John Keating, campé avec brio par un Stéphane Freiss au sommet de son art. Ex-élève de l'austère Welton Academy, en charge de ce navire éducatif, il est un "Capitaine" charismatique, convaincant. Tour à tour ironique et amical, blagueur et bienveillant, il figure le pédagogue rêvé, celui qui a l'art de la transmission, fait bouger les lignes, élève l'esprit, jusqu'à monter sur son bureau pour prendre et faire prendre de la hauteur de vue à ses élèves. Son ode à la poésie, sa mise en accusation des conventions, de l'ordre établi sont une respiration salvatrice qui a des airs de "Libres enfants de Summerhill" d'Alexander Neill. Mais savoir douter, règle fondamentale de la philosophie, "éprouver les murs" (sic) est-ce possible dans l'Ere Victorienne ?

La tradition, l'esprit réactionnaire ont de beaux jours devant eux, qui savent faire plier. Limogé, le "Capitaine" quitte le navire sous les vivats de ses élèves qui ont grandi grâce à lui et montent à leur tour sur leur pupitre en signe de reconnaissance à leur mentor.
Le "Carpe Diem", inscrit à la craie sur un tableau qui couvre tout le fond de scène va désormais s'effacer. Sauf dans les mémoires.

"Carpe Diem". Cueille le jour présent. Le public et la presse, eux, ont été cueillis. Quelques larmes apparaissent, on voit des visages rougis par l'émotion dans cette interminable standing-ovation qui signifie que l'on vient de vivre un grand moment de théâtre, de ce théâtre plein à craquer depuis le début et qui réunit toutes les classes d'âge, tous les milieux, de ce théâtre qui sait fédérer et qui promet, à coup sûr, quelques statuettes pour la prochaine cérémonie des Molières.