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D.R.
Article de Patrick Adler
Le dîner chez les Français de V. Giscard d’Estaing
Au Théâtre 13 - Glacière

Il se voyait Kennedy, il en avait sous le capot et ce fut Dallas, il finit... décapité électoralement. Son épouse, Anne-Aymone, Première Dame "plante verte", raide comme une tige, se voyait Jackie et flétrit. En deux heures et cinq actes d'un dîner imaginaire sur un septennat, Léo Cohen-Paperman et sa troupe, dans une écriture cool-égiale retracent le destin d'un monarque Républicain. Une farce jubilatoire !
"On dirait qu'ça te gêne de marcher dans la boue", chantait jadis Delpech. Le nouvel élu à la Magistrature Suprême relève le défi ou fait semblant. Histoire de donner une image moderne, positive, empathique d'un président, jeune de surcroit - Il n'a que quarante-huit ans - fort d'avancées sociétales majeures (IVG, divorce par consentement mutuel), il se voit disruptif, effaçant d'un revers de main l'image sépia de la France "Don Camillo-Peppone". Pour lui, l'heure n'est plus à la lutte des classes, aux querelles droite-gauche. En se situant au Centre il envisage de rallier à sa cause deux français sur trois. C'est son mantra. Mais le chatelain chuintant de Chamalières connait-il son peuple ?

A la manière d'un entomologiste, il débarque donc avec sa loupe grossissante dans une famille "ordinaire", y découvre trois générations : les grands-parents agriculteurs - ils ont connu la guerre, les privations, s'accordent difficilement aux changements, on les situera à droite sur l'échiquier politique -, les parents - eux ont connu 68 et affichent plutôt une sensibilité de gauche. Lui est ouvrier, syndiqué, pense collectif et est peu sensible aux tendances féministes de sa conjointe qui suit l'air du temps, est plus dans le désir individuel et aspire à la jouissance. L'enfant, qu'on voit à un an et qui grandit au fur et à mesure du repas, va connaître à son tour les mutations de la société et essayer de se frayer un chemin entre tradition et modernité. Comme le Président en exercice.

Tout cela pourrait être convenu et intelli-chiant s'il n'y avait cette narration truculente, ce jeu précis et très varié des comédiens qui donnent force et sens à cette farce politique mise en scène avec brio. On ne s'ennuie jamais, on va de surprise en surprise, la pièce devient même interactive quand, au détour d'un mot, une parenthèse musicale point, convoquant Sheila, Diane Tell, Plastic Bertrand, Eddy Mitchell... Tous chantent délicieusement faux, on entre avec la boule à facettes, le micro et ses larsens dans un kitsch revendiqué, le public tape des mains et reprend les airs, c'est Grand-Guignol dans la campagne Normandie et surtout un pied-de-nez à la comédie du pouvoir qui donne l'occasion de punchlines savoureuses ("La fumée blanche ? Y a pas de pape caché dans le moteur, M. le Président" ou encore "Qu'est-ce qu'il veut, le Karl Marx de Belfort ?").

Il y a du "Minuit chrétien" de Tilly dans la mise en scène très étudiée de Léo Cohen-Paperman, une minutie dans l'agencement de la table comme dans les costumes et coiffures des personnages, tous haut-en-couleurs. Giscard, reconnaissable à son chuintement et à sa diction aristocratique, à son port altier et condescendant devient un personnage de comédie italienne, tout comme Anémone, raide et tirée à quatre épingles comme un papillon dans un cadre qui ne se déploie que quand elle part aux toilettes, finement imaginées derrière la table de la salle à manger. Les anciens sont des Bodins, en plus "fouillés", plus subtils même si leur volapük échappe aux chatelains d'un soir. Leur fille, rousse flamboyante, futile pasionaria de bureau et le gendre Coco dont la barbe oscille entre Le Forestier et Che Guevarra sont des militants à la petite semaine. Quant au gamin - qui, dans la narration, devient aussi récitant, annonce chaque acte et déroule les événements - il est lunaire et candide à souhait mais, quelque part, nous interroge.

De la politesse des hôtes au départ aux "pétages de plomb" des uns et des autres à la fin - le "Si j'étais un homme" de Diane Tell version Anne-Aymone, le "Alexandrie, Alexandra" de Claude François du vieux et le "Ça plane pour moi" de Plastic Bertrand repris par sa fille annoncent le délitement de la soirée, comme la fin d'un règne présidentiel sur fond de chômage, inflation, chocs pétroliers... - sont irrésistibles de drôlerie. Traiter l'Histoire par la petite histoire avec humour ne manque ni de piquant ni d'intérêt. La parabole de la galette des Rois - Normande, sans fève - nous renvoie à cette Vè République que d'aucuns associent à une République monarchique. L'actualité ne saurait les démentir. Autres présidents, mêmes effets.
Ubris, quand tu nous tiens !
Paru le 14/06/2024

(3 notes)
HUIT ROIS (NOS PRÉSIDENTS) - 3 spectacles
THÉÂTRE 13 - GLACIÈRE
Du jeudi 13 juin au samedi 29 juin 2024

THÉÂTRE CONTEMPORAIN. Chaque "roi" sera porté à la scène avec le style singulier qu’il incarne : comédie onirique pour J. Chirac, portrait d’une génération pour F. Mitterrand, farce culinaire et chevaleresque pour V. Giscard d’Estaing … À chaque président son esthétique ! La série raconte aussi, le destin d’une famille...

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