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D.R.
Spécial Avignon par Patrick Adler
Le Lavoir
Le chien qui fume

"Ici on vient pour laver, pas pour aller à la tribune", dit l'une des lavandières dans la pièce. On lave son linge sale en famille ici car le lavoir est une communauté du labeur où chacune défend ardemment sa place et ses opinions mais où toutes font bloc dans le malheur.
Comme dans un tableau de peintres Hollandais du XVIII ème, il y a un parfum de nostalgie dans cette chronique infiniment humaine et compassionnelle de ces lavandières de Picardie. Leur parler est rude mais authentique, avec ça et là ce petit racisme ordinaire dû à l'inculture de certaines et en même temps ce brassage heureux de la juive et la musulmane, de l'handicapée et de l'aidante. On est à l'approche de la Première Guerre Mondiale mais leur récit rappelle des passages de "L'Assommoir" - l'une d'entre elles se prénomme d'ailleurs Gervaise - ou du "Bonheur des Dames" de Zola. C'est la condition ouvrière représentée dans toute sa vérité et sa splendeur : ça cancane, ça bavasse, ça rudoie - parfois même durement -, ça s'accroche, ça se chamaille, ça se bat, parfois même ça s'insulte, chacune y va de son histoire pour exister, être unique, même dans la douleur ("C'est le sort des pauvres de souffrir", sic) mais ça fait bloc dans l'adversité, dans le malheur comme dans ces petits bonheurs du quotidien qui égayent la vie et font oublier le poids des corps courbés, parfois violentés, abusés mais ça, elles vous le disent, c'était avant. Avant le lavoir où, désormais munies de leur brosse et de leur battoir, elles retrouvent leurs armes et un lieu pour se battre. Le "vivre ensemble" de cette chronique sociale - qui n'est pas sans nous rappeler les films en noir et blanc de notre enfance - existe pleinement dans ce lieu clos où avec la gouaille du "Café du Commerce" ces femmes s'expriment librement, où elles existent individuellement et collectivement.
Frédérique Lazzarini nous offre avec "Le lavoir" l'une de ses plus belles créations. C'est collectif et joliment drapé comme un chœur antique, beau comme un tableau de maître. Le blanc du linge et des tenues - à deux exceptions près chez les anciennes (veuves ?) -, ce blanc de la paix qui inonde le plateau résonne d'autant plus que la guerre vient d'être déclarée. Comme un pied de nez au malheur, elles entonnent chansons coquines et dansent. Ensemble. Elles font bloc. Le public est submergé par l'émotion que dégagent ces femmes passées à la lessiveuse de la vie. Leur sourire est un baume. Leur compassion une leçon.
A voir absolument. Pépite !!!
Paru le 03/07/2024