En faisant de la plus grande mystification littéraire un objet théâtral, Vincent Gaillard a réussi ce tour de force de remettre en selle un double Prix Goncourt (1956 /1974), faisant de lui un Frankenstein dépassé par sa créature, un ogre Falstaffien en continuel manque (de lumière, d'inspiration...), avec cette part d'ironie qui sied aux gens distanciés. Mué en marionnettiste aussi machiavélique que Gary, il reprend le factuel inscrit dans une relation à trois : Gary, son ex- femme Jean Seberg et son neveu Paul Pavlowitch et va les confronter... comme dans un thriller. Avec la mise en scène savamment orchestrée de Xavier Lemaire - qui campe Gary, homme charismatique, autoritaire, qui joue la démesure, le charme et la truculence - tout est fluide et ouvert. Décor unique avec une scène "open space" où le bureau - sans portes aucunes - avec sol réfléchissant devient le point central, où un discret portant permet les changements d'identité (on reste dans le "game" Gary/Ajar).
Pour parfaire l'habillage, Xavier Lemaire a privilégié un travail précis sur les lumières et mis en place une bande-son qui rythme chaque séquence avec les tubes de l'époque, ce qui rend l'ensemble très cool. Dans cette confrontation à trois, il fait face à la sublime Laurence Porteil qui incarne aussi bien la folie douce que la mélancolie de Jean Seberg, bouleversante dans ses colères - Jean est la seule à s'opposer au canular -, et à Barthélémy Heran, jeune et beau Rastignac, passé d'homme de paille à décideur avec agilité. Sa mue pour "tuer le père" est saisissante et bouleverse les plans de Gary qui constate alors les limites de l'exercice. Ajar est devenu encombrant. "Il va falloir commencer à mourir" (sic). A force de souffler sur les braises (traduction russe de "Ajar")...

Peut-être que Gary, en créant cet avatar, a gagné un second Goncourt, réveillé sa créature. En clôturant le chapitre du livre de sa vie, il a peut-être aussi retrouvé la paix intérieure et gagné... de "Gros câlins".
Le spectateur, lui, se régale de ce biopic très moderne dans l'écriture et la mise en scène. Entre théâtre et cinéma, on ne voit pas le temps passer dans cette vie pourtant si mouvementée, si dense. Coup de chapeau !


Au Théâtre du Balcon à 15h
38, rue Guillaume Puy
84000 Avignon