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D.R.
Article de Patrick Adler
Ostinato
Au Théâtre de la Huchette.

Dans cette première pièce du romancier Marc Villemain, nous avons une partition pour un quatuor dont le quatrième élément ne joue pas mais, comme un "ostinato", revient systématiquement. L'absence est la clef de voûte de ce thriller doux-amer où Claude Aufaure, mué en Falstaff triste, rongé par la maladie et la culpabilité, nous offre, entre colères et moments de tendresse, un moment de théâtre époustouflant.
Quand le fils réapparait quatorze ans plus tard dans la maison, "rien n'a changé, pas même l'odeur" (sic). Son vieux bougon de père, en promenant entre deux toux violentes sa lourde carcasse de vieillard malade, est toujours aussi peu enclin aux civilités d'usage, encore moins aux explications. Retranché face à la mer dans sa solitude et ses rituels avec l'amertume générée par le temps qui passe et la maladie, il dit, désabusé, "passer son temps à regarder les goélands en attendant la mort". Avec Madeleine, sa compagne, sa confidente, sa planche de salut. Son fils, trop souvent absent, est devenu un grand critique musical. Le grand musicien de jazz qu'il fut pourrait s'enorgueillir de cette transmission réussie. Las ! La relation prend vite un tour orageux quand, venu fêter l'anniversaire de son père avec un cadeau - que ce dernier refuse d'ouvrir - il évoque le mystère de la disparition de sa mère, pointant du doigt les mensonges paternels qui ont pour effet de raviver sa colère. Comme dans un dernier tour de piste où l'un attendrait la vérité et l'autre la mort, l'échange, certes violent, laisse aussi transparaître beaucoup de tendresse de part et d'autre. Et l'on en viendrait presque à excuser le vieillard quand il dit en manière d'excuse "Je me suis tu pour qu'il continue à grandir". Il l'a élevé seul - ou presque - ce fils, car Mado n'est jamais loin. C'est même la courroie de transmission entre les deux hommes, celle qui dévoilera ce que le fils a toujours su (ce que le père ne sait pas). En ouvrant elle-même le cadeau - un livre très documenté sur Etretat, ses falaises, la vie et la maison d'avant et, fatalement, un rapport au mensonge originel - en libérant sa parole, elle réfute le sempiternel adage de son compagnon taiseux "Celui qui ne parle que de lui rétrécit le monde". Dans cet univers de non-dits, de communication impossible, elle est cette vérité qui éclate, ce dialogue retrouvé, cette poésie des âmes.

Face à la puissance de jeu du génial Claude Aufaure, il fallait l'autorité et la subtilité d'un Ludovic Baude pour camper ce fils pugnace, cet adulte accompli qui attend des aveux et la douceur de la - toujours - délicate Hélène Cohen. Ce huis-clos, magistralement mis en scène par Dimitri Rataud, assisté de d'Emmanuelle Jauffret, est fait de délicatesse et d'émotions et servi par un décor marin en trompe l'œil qui nous invite à la rêverie. Encore une pépite produite par l'excellent directeur du théâtre: Franck Desmedt, que vous pouvez encore et toujours applaudir dans "Kessel" au Théâtre Rive Gauche.
Paru le 24/10/2024

(17 notes)
OSTINATO
THÉÂTRE DE LA HUCHETTE
Jusqu'au samedi 7 décembre

COMÉDIE DRAMATIQUE. Ostinato, comme les battements du coeur, est cette musique qui se répète sans jamais être tout à fait la même. Après des années d’absence et de silence, un homme renoue avec son père, ancien musicien de jazz, dans sa maison de bord de mer. Des retrouvailles qui ne tarderont pas à prendre l’allure ...

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