Article de Patrick Adler
Les marchands d’étoiles
Au Splendid
De "Ici tout commence", où il est comédien récurrent, à ce qu'on pourrait appeler "Là-bas, ça continue" (au Splendid) où il est metteur en scène... percutant, pleins feux sur Julien Alluguette qui, avec "Les marchands d'étoiles", nous offre un petit bijou théâtral dans la même veine que "Adieu, M.Hoffman". Les salles sont pleines depuis Avignon et pour cause...
Le rideau s'ouvre sur l'atelier de tissus des Martineau. Dans cette petite entreprise familiale, on s'affaire, c'est jour d'inventaire. On range, on déroule du tissu, on mesure. Et puis on bavasse. Et la parlote, c'est autant de temps perdu pour le "pater familias" qui entend boucler le travail au plus vite. Mais dans ce babillage bon enfant où la faconde toute pagnolesque du père et le chacun pour soi feraient presque oublier que nous sommes en 42, dans la France occupée, l'arrivée inopinée du milicien Marcel change la donne. D'autant qu'au dessus, entre vociférations de l'ennemi allemand et rafales de mitraillettes, rien n'augure de bon. Ce brusque retour à la réalité réveille peu à peu les consciences, c'est alors que les langues se délient. Les premiers signes d'inquiétude apparaissent.
Cela commence avec ce banal incident où la fille de la famille en vient à se "cogner le petit juif". L'expression, pourtant courante et communément admise, prend alors une tout autre dimension. Entre la judaïcité avérée de Joseph l'employé qui, baptisé et chrétien, se pense hors de cause, la validation de l'inventaire par l'administration omise par Martineau, le marché noir géré par Paulette, son épouse, les amitiés particulières de Louis, l'autre employé, avec le milicien et les amours cachées de la fille, les fissures apparaissent. Elles vont aller grandissant. La dramaturgie s'installe, séquencée par les allers-retours de plus en plus appuyés de Marcel qui, en bon collabo, réclame avec un cynisme éhonté toujours plus de gages contre les services rendus. Peu à peu, cette dure réalité de l'occupation amène chacun à se positionner. Quelle opinion adopter face à l'ennemi ?
"Autant être dans le camp des vainqueurs", répond Louis, face à l'assistance médusée. Martineau, fidèle à ses valeurs, entend avant tout sauver sa famille et ses proches, sa fille oscille entre ses rêves d'ailleurs et la doxa familiale, quand Paulette se lance dans un admirable plaidoyer en faveur de son mari un héros ordinaire, un juste qui va sauver Joseph, lequel, de retour d'un interrogatoire musclé, meurtri dans sa chair, sonné d'être à son insu le mouton noir de la bande, attend son heure. L'angoisse vous gagne ? Qu'à cela ne tienne ! Anthony Michineau, l'auteur, vient habilement dédramatiser. Un soupçon de légèreté, quelques touches d'humour, souvent apportées par les punchlines et l'accent méridional de Martineau - on croit voir et entendre Raimu - et vous retrouvez le sourire.
La mise en scène de Julien Alluguette est aussi sensible que subtile. Elle atteint son acmé dans l'interrogatoire du père par la Gestapo imaginé à la boutique par Joseph et Paulette. Aidé dans son exercice intelligent par un casting de haute volée, le résultat est juste... formidable ! Face à un charismatique Guillaume Bouchède, Nicolas Martinez est diabolique à souhait, Stéphanie Caillol bouleversante, Julien Crampon puissant et émouvant et Axelle Didier et l'auteur tout aussi convaincants.
Courez les applaudir... s'il reste encore des places !
Cela commence avec ce banal incident où la fille de la famille en vient à se "cogner le petit juif". L'expression, pourtant courante et communément admise, prend alors une tout autre dimension. Entre la judaïcité avérée de Joseph l'employé qui, baptisé et chrétien, se pense hors de cause, la validation de l'inventaire par l'administration omise par Martineau, le marché noir géré par Paulette, son épouse, les amitiés particulières de Louis, l'autre employé, avec le milicien et les amours cachées de la fille, les fissures apparaissent. Elles vont aller grandissant. La dramaturgie s'installe, séquencée par les allers-retours de plus en plus appuyés de Marcel qui, en bon collabo, réclame avec un cynisme éhonté toujours plus de gages contre les services rendus. Peu à peu, cette dure réalité de l'occupation amène chacun à se positionner. Quelle opinion adopter face à l'ennemi ?
"Autant être dans le camp des vainqueurs", répond Louis, face à l'assistance médusée. Martineau, fidèle à ses valeurs, entend avant tout sauver sa famille et ses proches, sa fille oscille entre ses rêves d'ailleurs et la doxa familiale, quand Paulette se lance dans un admirable plaidoyer en faveur de son mari un héros ordinaire, un juste qui va sauver Joseph, lequel, de retour d'un interrogatoire musclé, meurtri dans sa chair, sonné d'être à son insu le mouton noir de la bande, attend son heure. L'angoisse vous gagne ? Qu'à cela ne tienne ! Anthony Michineau, l'auteur, vient habilement dédramatiser. Un soupçon de légèreté, quelques touches d'humour, souvent apportées par les punchlines et l'accent méridional de Martineau - on croit voir et entendre Raimu - et vous retrouvez le sourire.
La mise en scène de Julien Alluguette est aussi sensible que subtile. Elle atteint son acmé dans l'interrogatoire du père par la Gestapo imaginé à la boutique par Joseph et Paulette. Aidé dans son exercice intelligent par un casting de haute volée, le résultat est juste... formidable ! Face à un charismatique Guillaume Bouchède, Nicolas Martinez est diabolique à souhait, Stéphanie Caillol bouleversante, Julien Crampon puissant et émouvant et Axelle Didier et l'auteur tout aussi convaincants.
Courez les applaudir... s'il reste encore des places !
Paru le 28/10/2024
(91 notes) THÉÂTRE LE SPLENDID Jusqu'au dimanche 22 décembre
COMÉDIE DRAMATIQUE à partir de 10 ans. Juin 1942, la vie poursuit son cours, dans un dépôt de tissus parisien. Raymond Martineau, le patron qui semble tout droit sorti d'une pièce de Pagnol, ne réussit pas à imposer son autorité à sa fille. À sa femme non plus, d'ailleurs. Et puis, il y a aussi Joseph, son plus jeune employé, dont le p...
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