Dossier par Jeanne Hoffstetter
Les Caprices de Marianne
au théâtre des Gémeaux Parisiens
Écrite en 1833 mais créée à la Comédie Française en 1851, la « comédie » de Musset est depuis devenue un classique de nos théâtres. Pièce complexe s'il en est, elle offre aux metteurs en scène et comédiens une formidable aire d'inspiration. Rencontre avec Philippe Calvario et Zoé Adjani.
Philippe Calvario produit, met en scène et joue Octave
C'est au cours Florent qu'il fait la connaissance de Patrice Chéreau dont il devient l'assistant, avant de participer à nombre de ses spectacles. Une collaboration qui sans doute le marque profondément et dont il tire des enseignements... « Oui, il a laissé des traces, il disait toujours : Travailler, travailler et encore travailler. Il ne croyait pas beaucoup à l'inspiration. Alors, pendant les répétitions, je m'accrochais à cette phrase si les idées ne me venaient pas. Je travaillais, travaillais et ça finissait par venir. Le discours d'Octave à la fin, qui fait un retour sur quelqu'un qui n'est plus là, Cœlio dans la pièce, lui est aussi totalement dédié.»
Classiques, contemporaines, françaises ou étrangères, il met en scène de nombreuses pièces et n'hésite pas à sortir des sentiers battus, mais ce n'est qu'aujourd'hui qu'il aborde Musset.
« Je suis d'abord passé par la case Marivaux qui présente quand même pas mal de points communs. Peut-être aussi que je trouvais Musset très difficile... Ce que je confirme d'ailleurs parce qu'à la lecture, on se pose la question de savoir si ça ne va pas être trop littéraire, trop poétique, si ça va être assez concret, si ce n'est pas trop bavard, si on va pouvoir tout incarner, mais en fait, quand on le joue, on voit qu'on y arrive, que ça n'a rien d'ennuyeux et même que c'est très chouette. En travaillant Musset, j'ai vraiment trouvé le côté concret de cette langue étincelante. »
Musset, après avoir subi un gros échec, avait décidé de ne plus écrire pour la scène mais plutôt pour des lectures en salons... « Oui, et la version originale des Caprices avait même été censurée parce qu'on y trouve des métaphores assez sexuelles, même si elles sont très belles et faites de manière si élégante qu'on peut ne pas les voir. Ajoutons à ça qu'il malmène de temps en temps la religion. La pièce est courte, elle dure une heure vingt, et excepté quelques mini coupes, nous jouons vraiment le texte intégral. »
Le personnage d'Octave est un joyeux libertin mais au fond assez désespéré et ne dédaignant pas la bouteille. Un piège à éviter en jouant ? « On pourrait dire : joyeusement désespéré. Je montre très tôt qu'il est dans l'alcool avant de m'en éloigner un peu tout en gardant le fil rouge, car à continuer là-dedans la langue de Musset n'aurait plus été entendue. Mais moi, ce qui me tenait à cœur, c'était de parler de l'addiction, parce qu'Octave, avant d'être ce héros romantique, est un alcoolique, un vrai. Cœlio, lui, est plutôt addict à l'amour qu'amoureux, et Marianne l'est à la religion. Voilà, ces trois personnages sont attachés de manière inconsidérée à quelque chose, j'ai tenu à travailler en ce sens. »
Au regard de la pièce, que penser du titre : Les caprices de Marianne ? Le mot caprice a-t-il aujourd'hui le même sens qu'à l'époque de Musset ? « Mais oui, justement ! Comment dire ? Pour moi c'est un faux ami, alors j'ai pris le sens italien du terme : Capriccio, qui contient une idée de révolte plutôt que celle d'inconstance féminine, comme on a pu le voir souvent. Les caprices de Marianne, je déteste cette idée-là, pour moi ce n'est pas du tout la pièce. Quant à Zoé Adjani, c'est un très grand rôle pour elle et ses questions durant notre travail étaient toujours d'une telle intelligence que forcément ça me faisait grandir aussi. C'est formidable d'avoir une partenaire comme ça ! »
Zoé Adjani est Marianne
Faire du cinéma... Elle fera du cinéma ! Volontaire, intelligente, elle fait mouche à son premier casting et décroche en 2015 le rôle de Cerise dans le film de Jérôme Enrico. Après avoir passé un bac littéraire, elle poursuit son chemin, attire l'attention, le talent est là, c'est indéniable, le théâtre lui ouvre ses portes. Cet été à Avignon, Cliff Paillé la choisit ; sur scène ils sont quatre, « Moi j'ai choisi d'aimer » est un gros succès. « Pour moi qui n'ai jamais fait d'école de théâtre et dont c'était la première expérience, j'ai eu l'impression de vivre en deux mois trois ans d'école avec tout ce que ça comporte d'enseignements ! »
Petit clin d'œil du destin ? Cliff Paillé avait mis en exergue de sa pièce une phrase de Musset, et la voici aujourd'hui interprétant Marianne dont elle s'est fait une idée personnelle très précise. « Mais vous avez raison ! Je n'y avais pas pensé, voyez il y a des petites graines qui poussent sur le chemin, portées par des choses plus grandes que nous et maintenant oui, je joue Musset et découvre une langue magnifique. Je crois qu'il avait 23 ans quand il a écrit cette pièce il n'avait donc pas encore rencontré George Sand et pourtant le personnage de Marianne en porte certains aspects. Donc lui aussi avait en quelque sorte créé sa réalité ! C'est la première fois que j'aborde un texte classique et je trouve qu'il y a bien plus d'interprétations possibles que dans un texte contemporain et j'aime beaucoup cette phase de recherche. J'ai tout de suite senti là une trinité : l'âme, le corps et l'esprit. Au début chacun est dans sa case, Octave est l'âme, Cœlio le cœur et Marianne l'esprit. Puis, ils vont s'entrechoquer jusqu'au malheureux final. Marianne a totalement rejeté son grand pouvoir de séduction pour tomber dans une forme de religion que je vois moi plutôt comme un sanctuaire. On la considère comme une dévote mais elle ne l'est pas, elle va à l'église parce que c'est le seul lieu où elle peut ne pas être regardée. Mais grâce à Octave, elle va finir par divulguer tout ce qu'elle pense de la condition féminine, de la manière dont les femmes doivent se comporter en société et ce qu'elle dit est très puissant. Comment peut-on passer à côté de toute la réflexion qu'il y a derrière, et c'est souvent le cas ? Voilà comment j'aborde le personnage de Marianne et voilà comment je suis tombée, grâce à elle, amoureuse de ce métier ! »
Paru le 09/01/2025