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© Bruno Perroud
Interview par Jeanne Hoffstetter
Jean-Pierre Bouvier
Maupassant inside

Ils osent tout pour vivre et nous faire vivre la jeunesse licencieuse et les heures les plus sombres de ce « monstre sacré ». Sur scène, mis en scène par Anne Bourgeois, Jean-Pierre Bouvier et Vanessa Cailhol nous offrent un spectacle fascinant basé sur un texte de Gérard Savoisien, écrit pour le comédien, à travers lequel se profilent certaines Nouvelles de l'auteur.
Qu'il soit jeune et affranchi de toute morale, ou malade et sombrant dans la folie, vous incarnez un Maupassant que nous ne sommes pas prêts à oublier. A quel âge l'avez-vous découvert et quel effet avait-t-il produit sur vous ?
Je l'ai découvert vers 15 ou 16 ans lors d'une longue convalescence qui m'a éloigné de la carrière sportive de haut niveau à laquelle je me préparais, et durant laquelle je lisais toutes sortes de livres sur le théâtre aussi. Le premier rapport que j'ai eu avec lui m'a gêné de par sa lucidité, sa violence, disons... bestiale, animale, son rapport aux femmes, à la société, tout ça me dérangeait. Puis j'ai trouvé une sorte de lien entre ce que Cocteau appelait le « Monstre sacré » et l'animalité du personnage de Maupassant.

Et des années après, vous avez utilisé vos impressions de jeunesse comme base de travail...
C'est ça. J'étais convaincu en répétant qu'il fallait, en jouant, privilégier le langage du corps, sinon on ne pouvait justifier le besoin excessif de sexe qu'il éprouve. Ça a été un travail gigantesque, l'approche psychiatrique et psychologique, j'ai parlé à des médecins, j'ai lu des ouvrages faisant référence aux symptômes de la syphilis... C'était une obsession pour moi de trouver un langage clair pour les spectateurs. Et c'est en partant de tout ce matériau que Vanessa et moi avons travaillé. Il n'était pas question de faire abstraction de cette bestialité que portait en lui Maupassant, mais c'était délicat. Alors, Anne a été formidable, elle nous a laissé du temps pour que l'on en parle tous les deux. Le but était de parvenir à ne pas simuler mais à trouver une réelle complicité. Vanessa a un beau passé de danseuse, alors nous avons créé des sortes de mini chorégraphies de félins qui se tournent autour, avec des contacts très violents ou au contraire très intimes. Il ne fallait pas avoir peur d'aller dans l'impudeur, il fallait en jouant, privilégier le réflexe, le langage du corps. La priorité était là, et non pas aux arguments intellectuels ou littéraires. Notre truc était de créer de l'émotionnel à partir de ça. Au début, on voit cet homme sortir du lit, avec cette crise de paralysie ; il a un revolver, il veut mettre fin à ses jours, mais c'est un cauchemar et tout de suite après, il rencontre Solange, il a trente ans, puis on revient vers la folie, puis on repart vers la jeunesse, il y a un équilibre, une espèce de fluidité. Notre jeu est aussi basé sur l'improvisation. S'il m'arrive en lisant de trouver une phrase, boum je la glisse et Vanessa réagit. Ce qu'elle fait est sublime et je crois pouvoir dire que nous avons réussi !

Vanessa est Solange, tantôt toute jeune prostituée, tantôt grande bourgeoise, des femmes que fréquentait Maupassant, nous sommes donc à chacune de ses apparitions dans le rêve, dans l'onirisme ?
Elle est en effet la création d'un homme qui est à la frontière de la vie et de la mort et qui veut créer quelque chose avant de mourir, mais quoi ? Et donc cette créature, dans le sens de création, arrive dans sa petite chemise blanche, à la disposition d'un processus d'improvisation de ce cerveau malade. Elle est le personnage complément de son délire et c'est là où elle est vraiment exceptionnelle.

A vous voir sur scène, on ne voit plus que Maupassant. Perdez-vous tout contact avec vous-même, dès lors que vous êtes en scène ? Quelle est votre manière de travailler et la manière dont votre partenaire entre dans ce jeu...
Où est la fiction ? Où est la réalité ? Quand on commence à jouer avec ces éléments-là, c'est vrai que c'est un peu dangereux. Il y a des moments où j'ai la tête qui tourne, où je suis au bord de l'implosion. Je suis à la recherche de ces sentiments très secrets et je fais tout pour aller vers eux. Mais Vanessa me connaît et elle me suit. Tout ça est très excitant et si le travail est bien fait je n'ai pas à me concentrer, j'entre en scène libre, vide, disponible, je m'allonge sur le lit et lumière, musique et hop ! L' Actor Studio est ma méthode de travail. Je repense aussi à Michel Bouquet qui me disait : « Si tu fais bien ton travail, laisse parler le personnage, il va s'inviter de lui-même. »

On ne peut être artiste sans totale liberté...
Absolument. Moi je ne peux rien créer sans ça.
Paru le 15/01/2025

(6 notes)
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