Il en a fallu des auditions pour dénicher ces trois talents qui, deux heures durant, vont endosser une quinzaine de personnages, changer en un tournemain de voix, de costumes - mention spéciale à l'ingénieuse Julia Allègre, créatrice - dans un décor de toiles peintes qui vous fait passer, en quelques secondes aussi, des bas-fonds de l'Ile de la Cité aux salons bourgeois du XIXè. Lara Pegliasco et Simon Heulle sont solaires et font le pendant au ténébreux Olivier Breitman, le mythique Scar du "Roi Lion" qui, décidément, évolue avec autant d'agilité sur la scène du Mogador que celle de La Huchette. Côté mise en scène, tout est étudié dans les moindres recoins, tout est millimétré dans cet espace restreint mais habilement utilisé, y compris hors-scène. Les bagarres de rue, orchestrées en amont par un maître d'armes, deviennent chorégraphies. Ces "Mystères de Paris" sont en mouvement perpétuel et traduisent à la manière d'un thriller le sordide des entrailles du Paris populaire. Il y a un côté "Affreux, sales et méchants" chez ces personnages : La Chouette - qui terminera, ironie de l'histoire, dans un cri, un long râle - et son mari le Maître d'Ecole (Couple de "Thénardier" contemporains d'Hugo) mais aussi chez Ferrand, le notaire véreux, aussi avide que pervers sexuel. Face à eux, il y a l'ingénuité de Fleur-Marie, dite la "Goualeuse", sublimée par l'exquise Lara Pegliasco et la détermination, le courage de Rodolphe, chevaleresque défenseur de la veuve et l'orphelin, que campe avec maestria Simon Heulle au milieu d'autres rôles moins "sexy" comme celui de la Chouette et autres malfrats qu'il endosse avec le même bonheur. Olivier Breitman, lui, se délecte à passer du notaire "classieux" (eût dit Gainsbourg) mais retors à l'éborgné Maître d'école, au majordome du Prince et autres utilités. Les voix sont belles, toutes assurées, la diction parfaite, le jeu précis et les chants agréables à l'oreille. On suit, comme aimantés, le feuilleton, les rencontres malheureuses de Fleur-de-Marie - c'est joli - jusqu'à la découverte de de François-Germain - c'est pas commun (les initiés comprendront) -, la rédemption du Chourineur, les actions d'éclat de Rodolphe le chevalier blanc et justicier (il a quand même éborgné le Maître d'école !), l'agonie du notaire amateur de jupons pour qui, comme eût dit Sylvie Joly, ça se termine "médical"... Entre-temps, on ne compte plus les rixes, avec leur lot de morts, de blessés. Netflix n'est pas loin. Ces "Mystères" sont addictifs. On a enchaîné la série 1, 2, 3... en deux heures à peine, sans s'en rendre compte. On n'a pas vu le temps passer, on garde quelques airs en tête et on repart émerveillés face à tant de talents dans un si petit lieu qui sait se renouveler, nous surprendre et nous offrir tant de bonheur. Bravo, mille bravos !