Zoom par Patrick Adler
Guerre
Au théâtre de L’Œuvre.
Retrouvé et publié après une très longue bataille juridique en 2022, "Guerre", le manuscrit de Céline est aussitôt adapté pour la scène par Bérangère Caillot et Benoit Lavigne (qui signe également la mise en scène). Le seul-en-scène voit le jour en Avignon, puis au Petit St Martin et aujourd'hui à L'Œuvre devant des salles à chaque fois bondées. Benjamin Voisin n'est pas pour rien dans ce triomphe. Il campe avec brio Ferdinand, ce soldat candide blessé, traumatisé par la guerre qui "reste enfermée dans sa tête" (sic) puisqu'une balle s'y est logée. Au trauma physique viennent s'ajouter le trauma moral et psychologique. Le jeune soldat fait front face aux absurdités de la guerre, au chaos général. C'est à la fois violent, cash, cru, obscène, lyrique et poétique. C'est dire la palette de jeux qui s'offre à Benjamin Voisin, lequel semble jubiler en campant cette foultitude de personnages avec une maîtrise du verbe et du corps assez impressionnante. Ce "Guerre" est un grand texte qui ne pouvait être servi que par un grand comédien. C'est chose faite avec Benjamin, déjà Césarisé en 2022 pour son rôle de Rubempré dans "Illusions perdues".
Il apparait chancelant en avant-scène, il est sur le champ de bataille que figure au fond une toile terre-de-Sienne traversée par des lumières crépusculaires qui balaient même le plateau, devenu sol orangé terreux et poussiéreux. Partout le chaos, le rougeoiement des incendies, le bruit des bombes. Il s'écroule dans un long cri. Il est touché. Au bras et à la tête. Alors, il rampe... et râle, en attendant les secours. A vingt ans, à défaut de finir en chair à canon , il va déjà côtoyer la mort, la poussière, les corps en décomposition, la compagnie des rats, avant celle des bouchers qui fusillent les déserteurs, des toubibs qui extraient les balles du cerveau. Dans ce chaos obscène où il ressuscite peu à peu loin du front et en convalescence, il est encore et toujours sur le qui-vive. C'est alors que Eros rejoint Thanatos : l'infirmière Mlle Lespinasse donne vie à son membre vivant comme les prostituées que lui présente Cascade, son frère d'armes, un déserteur hâbleur qui dit avoir la main sur Angèle, un "fleuron poitrinaire" qui finira par le dénoncer. "Quelle connerie, la guerre !", écrivait Prévert.
Dans ce long soliloque où il campe avec virtuosité tous les personnages, les rendant parfois même burlesques - son imitation d'Angèle, la garce moucharde, est un morceau d'anthologie -, il est infiniment sincère et puissant, passant avec agilité de la détresse face aux blessures à la jubilation insolente et salace face aux plaisirs de la chair. Là, il se montre rugueux et sans filtre, ajoutant au corps en action le verbe haut et tonitruant. Il éructe, jure comme un charretier, insulte, devient mâle alpha lubrique, tranchant ainsi avec l'apparente timidité, la gaucherie du début qui lui conféraient une sensibilité à la Bourvil, voire à Danny Boon dans le film "Joyeux Noël". C'est cette aisance incroyable, cette part absolue de naturel qui bouleverse et emballe l'auditoire. A la fois fort et fragile, humble et arrogant (il n'est qu'à voir son émotion mâtinée de fierté quand il reçoit la médaille militaire), il est ce mille-feuilles théâtral qu'on déguste sans jamais vouloir en perdre une miette. En un mot, Benjamin Voisin est bluffant !
Dans ce long soliloque où il campe avec virtuosité tous les personnages, les rendant parfois même burlesques - son imitation d'Angèle, la garce moucharde, est un morceau d'anthologie -, il est infiniment sincère et puissant, passant avec agilité de la détresse face aux blessures à la jubilation insolente et salace face aux plaisirs de la chair. Là, il se montre rugueux et sans filtre, ajoutant au corps en action le verbe haut et tonitruant. Il éructe, jure comme un charretier, insulte, devient mâle alpha lubrique, tranchant ainsi avec l'apparente timidité, la gaucherie du début qui lui conféraient une sensibilité à la Bourvil, voire à Danny Boon dans le film "Joyeux Noël". C'est cette aisance incroyable, cette part absolue de naturel qui bouleverse et emballe l'auditoire. A la fois fort et fragile, humble et arrogant (il n'est qu'à voir son émotion mâtinée de fierté quand il reçoit la médaille militaire), il est ce mille-feuilles théâtral qu'on déguste sans jamais vouloir en perdre une miette. En un mot, Benjamin Voisin est bluffant !
Paru le 11/02/2025






![]() ![]() ![]() ![]() ![]() (35 notes) THÉÂTRE DE L'ŒUVRE Du mercredi 8 janvier au dimanche 2 mars 2025
TEXTE(S) à partir de 14 ans. À travers la convalescence du jeune Ferdinand Destouches, Louis-Ferdinand Céline nous livre son expérience traumatisante de soldat, sa vie à tout jamais bouleversée et sa rage de vivre dans le chaos du monde. Puissant, violent, dérangeant, le récit se fait aussi émouvant, burlesque et poétique. To...
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