Connexion : Adhérent - Invité - Partenaire

D.R.
Zoom par Patrick Adler
Caspar
Manufacture des Abbesses

Il s'appelle Caspar 199-19-13. Un prénom suivi d'un matricule, comme dans les camps de la mort. Comme s'il n'existait pas, comme s'il n'était rien. Or, malgré la construction scénique perpendiculaire qui, en abstraction, pourrait figurer une tombe (une couche à l'horizontale, un mur-écran à la verticale) il n'entend pas creuser la sienne, en dépit du risque imminent de lobotomie qu'il encourt. Dans ce huis-clos bouleversant de Claude-Alain Planchon, mis en scène avec finesse et sobriété par Olivier Desbordes, le jeune interné - il est diagnostiqué "schizophrène" - entretient une relation aussi dense que compliquée avec son infirmier-geôlier où, entre confessions et questionnements se dégagent une autre définition de la folie (peut-elle être une liberté ?) et une remise en cause de l'identité de chacun.
Leland, infirmier, s'est attaché à Caspar, un jeune malade qui a la beauté des traits d'un Rimbaud et la folie maléfique d'un Artaud. Entre mutisme, prostration, logorrhée poétique et gestuelle saccadée, Leland doit jongler, manifester juste ce qu'il faut d'empathie pour entendre la plainte de cet oiseau tombé du nid et éviter les pièges de la manipulation. Comment cependant ne pas saisir dans le magma verbal combien la frontière est ténue entre raison et déraison. Le "je est un autre" tout Rimbaldien prend tout son sens dans "le monde infranchissable" de Caspar (sic). "Je souffre parce que mon esprit n'est pas dans ma vie et ma vie n'est pas dans mon esprit", dit-il. Vaste sujet. On est en droit d'attendre le "Vous avez quatre heures" de l'épreuve du bac. Il n'en faudra pas tant pour voir, entre hallucinations et réalité, entre jeux de lumières et projections psychédéliques sur l'écran, la détresse de Caspar par son rythme de paroles accéléré, une gestuelle qui oscille entre arabesques et arrêts sur image dignes d'une chorégraphie de Pina Bausch. On est entre l'esthétique poétique, le fantastique et le maléfique. Resurgissent chez lui la maltraitance de l'enfance - il a toujours été le vilain petit canard de la famille, maltraité par ses géniteurs et abusé par son frère Karl qu'il a fini par égorger - qu'il sublime à sa manière en répondant à des appels venus de puissances célestes imaginaires. On connaissait la justice réparatrice. Il y aurait donc une folie libératrice...

Et quid de ces questions à répétition qui bousculent Leland jusqu'à envisager Caspar sous un autre angle, le voir en objet du désir tout en refusant des pulsions qui interrogent sa propre sexualité. D'autant que - rêve ou réalité ? - le tableau final voit figurer Leland sous les traits de Karl, le frère égorgé. Comme un château de cartes, tout semble s'écrouler. Enfin, presque tout car la fin du "game" n'est pas déclarée. Quid de la sentence ? Les parents sont intervenus... À une époque - les années 70 - où l'Amérique va enfin abolir la lobotomie, Caspar pourrait donc trouver le remède idoine pour échapper à la morbidité de l'existence autrement que par l'acharnement médical, répondant ainsi à la formule de Leland "Ici, c'est pas la médecine du mal mais la mal qui naît de la médecine".

Le texte de Claude-Alain Planchon est puissant, la mécanique théâtrale habilement pensée : l'ensemble est dépouillé, on est dans une symphonie en "noir et blanc" (décors et costumes) qui est soutenue dans la dramaturgie par une bande-son très recherchée - bravo au metteur en scène Olivier Desbordes - et... last but not least, par un jeu d'acteurs qui force le respect car sur ce canevas très précis, tout tient à un fil et Mickaël Winum - grandiose Caspar - et Jean-Paul Sermadiras, à l'impeccable rigueur, par la précision et la variation de leur jeu, rendent ce moment de théâtre aussi palpitant qu'émouvant.

Cette pépite est à découvrir à La Manufacture des Abbesses.
Paru le 17/02/2025

(3 notes)
CASPAR 199-19-13
MANUFACTURE DES ABBESSES
Du jeudi 16 janvier au dimanche 23 février 2025

THÉÂTRE CONTEMPORAIN à partir de 16 ans. Dans l'Amérique des années 1970, Caspar jeune schizophrène est enfermé dans un hospice pour probablement y être lobotomisé (comme la sœur de J-F Kennedy). Il installe alors avec son infirmier Leland une relation tumultueuse entre confidences, troubles, colères et manipulation. Les deux hommes déve...

Voir tous les détails