Connexion : Adhérent - Invité - Partenaire

D.R.
Zoom par Patrick Adler
Dis-moi des maux d’amour.
Scène Libre

Pourquoi aller au théâtre si ce n'est pour se distraire. Pas forcément au sens Pascalien du terme qui entend par là se détourner de l'essentiel, "parce qu'on ne demeure chez soi avec plaisir" (sic). On s'offre avec les boulevards, les vaudevilles, les comédies, certains stand-ups, une respiration salutaire. On décompresse, on rit, on se fait du bien. Mais il existe aussi un théâtre engagé qui, lui, choisit de traiter des sujets sociétaux douloureux. Ce théâtre fait aussi un bien fou car il éveille les consciences. Quand Karim Kaï choisit de traiter la violence dans le couple, il sait d'emblée que le sujet n'est pas sexy mais il sait aussi d'expérience qu'il parle au public. Et parler, c'est déjà résoudre en partie le problème.
Le huis-clos s'annonce sobre : deux comédiens, peu d'éléments de décor, des éclairages a minima... L'histoire partait pourtant bien et même en trombe avec cette petite chorégraphie endiablée de Kaïna, l'épouse, sur le "Laissez-moi danser" de Dalida, poussé à fond. Comme pour s'étourdir. Comme dans la chanson, elle se vit en vacances avec la parenthèse d'un week-end à venir à Rome. Las ! Le soufflet retombe, le quotidien reprend ses droits dès le retour d'Italie. Olivier, l'époux, retrouve sa charge d'éducateur spécialisé et elle sa pâtisserie "home-made". Elle fait des choux, des petits choux, encore des petits choux, eût dit Gainsbourg. Des choux de toutes les couleurs, en fonction de la douleur à venir car elle va peu à peu devoir affronter la face cachée et douloureuse d'Olivier qui, jaloux maladif et pervers narcissique, va progressivement faire le vide dans ses relations, la couper du monde extérieur, l'accabler de reproches, l'humilier... avant de commettre l'irréparable : la gifle, manière inconsciente pour lui d'"imprimer directement sur le corps" (dixit Kaïna) . Une gifle qui va laisser des traces, comme une petite musique sourde qui s'installe. Au départ, c'est celle du déni - une manière comme une autre de se protéger - qui la voit balayer d'un revers de main toute exaction dès lors qu'elle l'entend dire "je t'aime", sésame oral qui "efface toutes les choses, même les pires" (sic). La "banal song" chère à Souchon prend alors les accents des Doors et a tôt fait d'éclipser le disco joyeux des débuts. Olivier - qui porte, ironie du sort, le nom d'un arbre de la paix - vit avec douleur sa dualité. Il est Eros et Thanatos. On entend son amour comme sa plainte (des antécédents de violence familiale et une incapacité à réfréner sa violence, comme si le schéma se reproduisait, comme si un diable intérieur le guidait), il n'a jamais voulu franchir le seuil de la thérapie et pourtant il souffre et fait souffrir. Il aura beau convoquer la poésie des mots, rien ne pourra cimenter le couple. Son "Quand je me regarde dans tes yeux, je suis beau", maintes fois prononcé, a perdu tout son éclat. Reste à Kaïna l'image bienveillante d'un père disparu il y a peu qui lui aura au moins donné une autre image des hommes et accélèrera sa résilience et son départ du foyer familial...

En campant avec sincérité et vérité Kaïna et Olivier, Laëtitia Le Bras et Karim Kai - dirigés par Joseph Morana - nous invitent à réfléchir sur ce "vivre ensemble" si essentiel aujourd'hui.

Chaque année, ce sont plus de deux-cent femmes qui meurent sous les coups de leur compagnon. Si ce théâtre "lanceur d'alertes" peut servir cette cause...
"C'est déjà ça, c'est déjà ça", eût encore dit Souchon.
Paru le 24/02/2025

(21 notes)
DIS-MOI DES MAUX D’AMOUR
SCÈNE LIBRE (LA)
Jusqu'au dimanche 23 mars

COMÉDIE DRAMATIQUE. Kahina, Olivier. C’est une histoire d’amour comme il y en a tant, avec des hauts et des bas. Ce pourrait être un couple ordinaire, quand on les croise main dans la main, à la boulangerie, au restaurant, au café du bout de la rue. On pourrait penser qu’ils sont amoureux. On pourrait même croire qu’...

Voir tous les détails