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© Franck Harscouët
Article de Patrick Adler
Je m’appelle Adèle Bloom
Gémeaux Parisiens

Entre conte fantastique et thriller haletant, Franck Harscouët, dont l'univers fantasmagorique à la Tim Burton nous enchante régulièrement, nous invite cette fois à plonger dans les années 50, dans un hôpital psychiatrique d'Hallifax, rendu célèbre par sa patiente Rosemary Kennedy, sœur du Président J.F.K et un certain Dr Walter Freeman, neurochirurgien adepte des techniques dites "révolutionnaires" de l'électrochoc et la lobotomie. C'est glaçant, divinement écrit, habilement dirigé et joué avec brio par un quatuor de choc. Avec, cerise sur le gâteau, une poésie envoûtante. Un vrai bijou théâtral !
Ironie du sort pour Adèle Bloom, internée par sa propre mère à la Providence. Quelle providence ? Elle ne la voyait pas comme ça, sa vie, la recluse rebelle écrivaine, amoureuse des mots, ces mots-témoins qu'elle griffonne en cachette sur des carnets et qu'elle fera passer sous le manteau à sa tante bien-aimée pour se sauver. Un jour, qui sait ? Car son sort semble scellé, comme tous ces "inutiles" de la société, qu'on soignait avec barbarie, avec cette lente progression sadique des traitements en réponse aux crises progressives. Adèle, oisillon perdu dans ce nid de fous, découvre des êtres aussi divers qu'étranges. Si elle savoure la charité, la bienveillance de Poppie, une ancienne pensionnaire qui lui délivre les clefs du "savoir-vivre" au Pavillon des malades légers - avant d'atterrir au Pavillon des réfractaires - et qui sait la divertir, si elle est intriguée par le mutisme d'une Rosemary lobotomisée qui n'existe que par son piano et sa marionnette, elle doit aussi faire avec l'autoritarisme diabolique d'une Miss Wilford (Le double de Miss Fletcher dans "Vol au-dessus d'un nid de coucous") et le sentencieux et glacial Dr Freeman qui taille aussi bien ses crayons que le cerveau de ses patientes. Ainsi va-t-on assister à la lente progression d'Adèle dans cet abattoir humain où, malgré les électrochocs et autres barbaries, elle va, grâce à l'amitié et la création, sortir de huit années de barbaries.

Le casting est époustouflant : Armelle Deutsch est fascinante de justesse et on vibre à chaque instant avec elle, on souffre avec elle de la voir se décomposer moralement et physiquement. Regardez cette jeune fille prostrée, en position fœtale, ses traits hâves, son œil hagard qui nous feraient presque oublier sa vigueur passée, ses provocations, ses colères, sa violence. Elle est juste... bouleversante ! Tout comme Sophie-Anne Lescene, qui campe avec agilité et un infini talent tous les rôles : Miss Wilford, Poppy, la mère, la nouvelle infirmière ; tout comme Laura Elko, lunaire, "habitée" et poétique à souhait et, last but not least, Franck Harscouët, l'auteur et metteur en scène de ce grand texte, aussi froid et menaçant que son pic à glace et son scalpel. Ce rôle est joué en alternance avec le même talent par Philippe Davila qui a signé lumières, son et vidéos. Un travail léché, comme d'habitude, avec ce sens inouï du détail que nous avions déjà encensé dans "Jonasz au grenier", autre pépite théâtrale.
Vous l'aurez aisément compris : à l'instar du film mythique "Vol au-dessus d'un nid de coucous", vous allez assister à une pièce majeure, qui ne vous laissera pas indifférents. À la beauté, à la pertinence du texte, très documenté - les fantômes de Adèle Hugo, Frances Farmer et Rosemary Kennedy sont évoqués, on est donc entre fiction et réalité -, ajoutez la beauté de la scénographie, des costumes et vous avez une œuvre de résistance... majeure ! Alors, vous aussi, soyez fous, courez découvrir "Je m'appelle Adèle Bloom", notre coup de cœur !
Paru le 17/04/2025

(17 notes)
JE M'APPELLE ADÈLE BLOOM
THÉÂTRE DES GEMEAUX PARISIENS
Jusqu'au dimanche 27 avril

COMÉDIE DRAMATIQUE à partir de 12 ans. Le parcours d’une jeune femme écrivain dans un asile canadien des années 50, jusqu’à sa sortie grâce à la miraculeuse parution de son livre écrit durant 8 années d’internement dans des pavillons de plus en plus durs dirigés par un célèbre neurologue en plein tourbillon médiatique : Walter Freeman.

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