Zoom par Philippe Escalier
Félix Radu dans "Les mots s’improsent"
Mathurins
La scène des Mathurins, avec Félix Radu, permet la découverte d'un humoriste-comédien de la nouvelle génération, tout en finesse, maître dans l'art de manier le verbe et de créer du rêve.
Il arrive sur scène, dans sa tenue irréprochable, chemise ajustée, pantalon seyant et coiffure parfaite. Grand, avec des allures de jeune premier, il débute par un discours aussi contrôlé que son allure vestimentaire. Mais on sent bien qu'avec lui, il ne faut pas se fier aux apparences. D'entrée, il prend la salle à témoins et des poses d'enfant intimidé, redevient adulte et sage avant de finir par un épisode assez déjanté, le tout sans jamais cesser de nous faire rire. Étonner semble être l'un de ses sports favoris. Et, en effet, avec lui, nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Dont celle de voir le raffinement s'acoquiner avec la drôlerie. Son dada est de jouer avec les mots et de susciter des rires d'une grande fraicheur. À la manière d'un Raymond Devos ou d'un Stéphane de Groodt, mais avec un style qui lui est bien personnel, il jongle avec le vocabulaire pour nous faire entrer dans son univers où la poésie et la dérision ne font qu'un. Il faut le suivre, activer ses neurones, chaque mot ou presque est trituré dans tous les sens, en appelle un autre qui subit alors le même sort. Et comme les grands maîtres, actuels ou anciens auxquels il nous fait penser, son but, parfaitement atteint, est de nous raconter des histoires et de nous inviter à partager son univers dont la magie et la simplicité aurait plu à Saint-Exupéry, mobilisé pour l'occasion. On salue les trouvailles, les associations d'idées et les jeux de mots qui s'enchainent sans un instant de répit, les côtés joliment absurdes générés par une imagination débridée. Petit péché de jeunesse, le spectateur, une fois ou deux, est sur le point de se perdre dans ce foisonnement verbal ébouriffant. Mais c'est un peu la règle du jeu et l'ensemble est d'une telle tenue, d'une maitrise si remarquable que l'on reste sous le charme de son exploit réalisé à partir d'une extraordinaire faconde parfaitement ciselée. Comme s'il avait fait de longues études de l'être, pour dépeindre des personnages touchants, il appelle à la rescousse des auteurs prestigieux. Son irrésistible résumé du mythe de Sisyphe d'Albert Camus est un délice tout comme le récit imagé et fleuri de la personne qui a su, l'espace d'un instant, le séduire pour ne rien dire de sa rencontre avec un étrange professeur de musique. Félix Radu a la culture joyeuse, jamais pédante, un humour facétieux qui parle des fleurs sans jamais être ras des pâquerettes, une capacité à nous amuser, en mettant la barre haut et en bannissant toute affectation. Ce jeune belge, né à Namur, est un parfait ambassadeur de la langue française avec laquelle il a scellé un mariage d'amour sous l'auspice d'une tonique originalité sous laquelle se cache une part de romantisme salvateur. Mis en scène avec beaucoup de finesse par Julien Alluguette, il nous tient, plus d'une heure durant, sous le charme de son verbe enchanteur. Parce qu'approcher un talent naissant, appelé à marquer durablement le monde de l'humour, est un plaisir qui ne saurait se refuser, il est, qui plus est dans les temps assez rugueux que nous connaissons, fortement conseillé d'aller à sa rencontre afin de savourer son spectacle aussi exceptionnel que revigorant.
Paru le 05/03/2020
(28 notes) THÉÂTRE DES MATHURINS Du mardi 14 janvier 2020 au vendredi 31 décembre 2021
SEUL-E EN SCÈNE. C'est un virtuose des traits d'esprit qui convoque avec brio les géants de la littérature. Il dénoue les non-sens et complique la logique. Marche en funambule entre théâtre et humour. Rappelle sur scène Camus, Saint-Exupéry, Rilke, Shakespeare ; les dépoussière d'un revers de manche pour un ultime...
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