C'est une fable comme on les aime, une fable car, si le propos est crédible et sensible, son traitement est - volontairement ? - édulcoré . L'arrivée inopinée d'un couple géorgien sans-papiers chez une grande bourgeoise tout juste retraitée et en plein désarroi - on se croirait chez « Ricci e poveri » ou dans « La vie est un long fleuve tranquille » - est un sujet intéressant. Va-t-elle sombrer dans le bovarysme - on connait la fin - ou l'auteur va-t-il lui offrir une échappatoire, un second souffle ?

Elle a tout réussi, est reconnue, même à l'international, c'est une bâtisseuse (Elle n'a pas moins de 27 gratte-ciels à son actif dans 27 pays). Elle a reçu les plus hautes distinctions dans son travail et même la légion d'honneur. A l'heure où le silence et le temps libre permettent les bilans, à l'heure où elle pourrait profiter pleinement de ses richesses accumulées, savourer la vie, une succession d'éléments factuels vient bouleverser son programme de jeune retraitée : son couple se fissure, sa fille part aux Etats-Unis et son jardinier meurt rapidement en lui « léguant » deux personnages pour le moins baroques et pittoresques. Ce qui eût pu créer un cataclysme dans cette rencontre de deux mondes diamétralement opposés, par la langue, la culture, l'argent va, au contraire créer une extraordinaire respiration.

Elle apparaissait un brin arrogante et auto-centrée, elle est désormais à l'écoute, empathique, jusqu'à se muer en pasionaria des pauvres gens, n'ayant plus peur d'affronter l'altérité, son époux, son avocat et ami, prête à s'affranchir des lois, à aller au-delà d'elle-même. En s'ouvrant aux autres, elle se redécouvre et prend cette épreuve comme un cadeau de la vie. D'ailleurs, elle en est vite récompensée car elle vainc sa peur de l'avion, se rapproche de sa fille avec qui elle avait un rapport conflictuel, redécouvre sa passion pour le violon grâce à son nouveau jardinier géorgien, comme l'instinct maternel quand sa femme accouche.
Cette pièce, bouleversante dans l'écriture et la construction est une ode à la vie, à la transmission, au partage. Elle est remarquablement servie par le couple Florence Pernel/Bernard Malaka qui nous offre un tourbillon d'émotions.

Les autres acteurs, notamment Charlotte Matzneff qui défend deux rôles - la fille et la cuisinière géorgienne - ne sont pas en reste. Truculents à souhait, presque caricaturaux dans leur langage et leur gestuelle, ils donnent à l'histoire une allure de fable qui ferait presque oublier le désordre général engendré par la précarité de la situation. On rit, on s'émeut, d'autant que le sujet est d'actualité et nous renvoie - forcément - à nos propres interrogations.

Car c'est aussi cela Daguerre : une éternelle quête de sens, un regard tendre et une foi en l'homme. A l'instar de Tolstoï ...Daguerre est paix.