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D.R.
Spécial Avignon par Patrick Adler
Deux frères
À La Factory/Chapelle des Antonins

Quand Renaud Merviel et Julien Goetz, deux frères de cœur à la scène comme à la ville, s'emparent du sujet sensible de la maltraitance, cela donne une tragi-comédie sublime de tendresse sur la fraternité. Avec, pour corollaire un secret de famille et, qui sait, quelques espoirs...
Ça partait plutôt bien. Entre petites blagues, chants, interactivité avec le public et ce sourire généreux, cette bonne humeur communicative des deux (frères ?) comédiens, ce capital-sympathie énorme devenu leur marque de fabrique, le public était conquis. On était partis pour une comédie. Las !
L'histoire débute et se profilent déjà quelques ombres au tableau. Il n'y a pourtant pas le moindre pathos, plutôt cette élégante distanciation, manière polie de ne pas ajouter du malheur au malheur car la maltraitance au sein de la famille est un sujet grave. L'acharnement et la régularité des coups portés à Renaud par son père... anesthésiste (quelle ironie !) sous l'œil sidéré de son petit-frère André va créer une complicité de tous les instants, le cadet se muant en "gardien de son aîné". Tous les pédopsychiatres vous diront que chez l'enfant maltraité les mécanismes de défense sont la sidération ou la rébellion.
Chez Renaud qui subit chaque jour son lot d'humiliations, de raclées et de peurs, avec résignation - syndrome de Stockholm - la seule issue de secours après son frère est la fuite du foyer familial. Il se réfugie dans la musique et poursuit sa fugue dans un piano-bar, havre de paix où pour quelques notes jouées, il gagne gite, couvert et... sécurité. Comme toujours dans un rapport dominant/dominé, le père n'ayant plus prise sur lui, c'est la mère - éternellement passive - qui prend le relais des humiliations. La famille - au départ bien sous tous rapports, vu de l'extérieur - se fissure. Mais, quid de l'origine des coups ? Car il n'y a pas d'effets sans causes. Intervient alors le fameux secret familial... que nous ne saurions éventer car il est le "coup de théâtre" de la pièce.

Que dire si ce n'est qu'on ressort bouleversé par tant de connivence et d'amour chez ces deux frères. Face à l'horreur - résilience oblige - il y a toujours cette belle énergie de l'un pour relever l'autre. Le ton d'André est badin, presque jovial, il est la béquille, l'attache, le lien sacré, le pacte à la vie-à la mort de Renaud, le modérateur de sa violence et de ses errements.
Dans la mise en scène épurée et fine de Déborah Krey (Sur scène, un clavier, un coffre, quelques objets épars et surtout un blouson de cuir qui leur sert, à tour de rôle, à camper le père-bourreau), les deux comédiens sont juste incroyables de sincérité et de justesse. Julien Goetz est lumineux, sémillant, énergique et compassionnel à souhait.
Renaud Merviel - qui signe également ce magnifique texte, fluide et cash - est sombre, digne, attachant, surtout quand il fait corps avec son clavier et qu'il chante... faux. Tous deux ont une charge émotionnelle intense, une puissance de jeu, une sincérité qui forcent le respect. Le public ne s'y trompe pas qui, chaque soir, leur réserve une standing-ovation largement méritée. Cerise sur le gâteau, aucun des deux n'a connu la maltraitance. Alors, bravo de mettre un point d'honneur à alerter les pouvoirs publics car, ne l'oublions pas, en France un enfant meurt tous les cinq jours sous les coups d'un élément familial.

Vous l'aurez compris, "Deux frères" est une pièce-coup de poing - évidemment ! - qui, chez nous, comme chez vous, se transforme en "coup de cœur" ! À voir absolument !


À La Factory/Chapelle des Antonins à 13h45
5, rue Figuière
84000 Avignon
Paru le 16/07/2024