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© Philippe Escalier
Article de Patrick Adler
Le Père Goriot
Aux Gémeaux Parisiens

En dépoussiérant ce classique de notre enfance, tout en gardant les répliques cultes et la patte incisive de Balzac, David Goldzahl réussit un coup de maître : réduire à l'essentiel - une heure trente - ce pavé de plus de quatre cents pages, lui apporter, avec Charlotte Villermet, une vraie modernité dans la scénographie, inventive et épurée. Le décor ? De hautes cloisons aux portes coulissantes qui figurent autant d'entrées, de sorties, de labyrinthes dans cette jungle du XIXè siècle. La bande-son, très pop, est signée Xavier Ferri. Aux lumières, il fallait un orfèvre : Denis Koransky. Ajoutez à cela une distribution de haut vol et vous avez là un grand moment de théâtre.
Exit les perruques, habits d'époque et autres artifices. Les trois comédiens devant camper une vingtaine de personnages, ils sont aisément identifiables dans leurs habits. Certes, ils sont contemporains mais l'amour déraisonnable, l'argent qui corrompt, l'ascension sociale, la trahison, la corruption sont-ils seulement l'apanage de la bourgeoisie de l'époque ? Que nenni !
Dans ce tourbillon du monde Parisien fait de réseaux, d'intrigues, de stupre et de lucre, de bals où on se rencontre et se perd - comme au jeu - tout bat de l'aile. Dans la maison Vauquier où se joue la comédie humaine, un jeune provincial (Rastignac) a tôt fait de perdre sa candeur, de lâcher son Droit pour aller... de travers tant les chemins de la réussite sont tortueux pendant que le diabolique Vautrin essaie d'échapper à un passé peu honorable et que Goriot se noie dans l'illusoire amour de ses filles, allant jusqu'à se ruiner. Pathétique quand il clame "Le jour où j'ai été père, j'ai compris Dieu" ou pire encore "L'argent donne tout, même des filles" ou "Je veux mes filles, je les ai faites, elles sont à moi", on assiste jusque dans l'habit à son progressif dénuement, à sa lente descente aux enfers. Dans ce monde de parvenus, tous vont chuter. Rastignac, qui rêvait d'accéder à une classe supérieure en passant par la case "morale" et, se trouvant pris dans l'engrenage du pouvoir, abdique. Il préférera pactiser avec le Diable qu'incarne Vautrin, lequel avance masqué, sous une fausse identité. Les femmes chutent aussi. Cyniques ou empruntes de bovarysme, elles ne misent que sur l'ascension sociale de leur mari et comblent leur ennui en le trompant à l'envi. Dans les bals donnés chez Mme de Beauséant, dont les luxueuses alcôves adultérines tranchent avec la minable pension Wauquier, tout ce petit monde voudrait bien "avoir l'air mais n'a pas l'air du tout", comme chantait Brel.
Par un jeu d'éclairages fouillé, une bande-son qui vient rythmer la pièce, tels des marionnettes dans un castelet qui apparaissent et disparaissent, les comédiens ne nous offrent aucun répit et déploient toute leur palette de jeu. C'est sidérant, magnifique.
Delphine Depardieu, la sublime Merteuil des "Liaisons dangereuses" à La Comédie des Champs-Elysées, est magistrale. Comme toujours. Comme le sont aussi Duncan Talhouët, qui brille également dans "Majola" à l'Essaïon et Jean-Benoit Souilh, en tournée dans "le Schpountz". Voilà une version dynamique, rythmée, sans temps mort. On se délecte évidemment des dialogues remarquables de Balzac. Ce regard acéré qu'il porte sur le monde de l'argent et de l'apparence nous renvoie à des temps qui sont loin d'être révolus et les profs de lettres seraient avisés de faire connaître à leurs élèves cette version pop-rock esthétique du "Père Goriot" qui fait encore sens.
Comme un bonheur ne vient jamais seul, profitez de l'occasion pour découvrir ce nouveau lieu "Les Gémeaux parisiens" et sa très belle programmation.
Paru le 08/10/2024

(43 notes)
PÈRE GORIOT (LE)
THÉÂTRE DES GEMEAUX PARISIENS
Jusqu'au mardi 31 décembre

THÉÂTRE CONTEMPORAIN à partir de 11 ans. Comment réussir quand on est jeune et sans argent ? Faut-il miser sur les études ? Les relations mondaines ? Le crime ? Emporté dans le tourbillon du monde parisien, Rastignac tâtera de ces trois voies. Avec Le Père Goriot, Balzac achève le tableau le plus exact de ce à quoi chacun de nous est con...

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