Vous vous attendiez sans doute à une pièce-docu avec images d'archives projetées sur un écran ? A regarder passivement une séquence historique ? Que nenni ! Le quatrième mur tombe et vous voilà dès le début spectateurs "agissant" en participant à une AG autour du manifeste des 343, appelant à la légalisation de l'avortement en France. Et les chiffres tombent. Vous êtes abasourdis d'apprendre le nombre d'accidents à répétition des "faiseuses d'anges" qui opèrent dans la clandestinité, on va aussi vous rappeler qu'à l'époque un violeur délateur ne risque rien pénalement. Le MLF et le fameux "On ne nait pas femme, on le devient" de Simone de Beauvoir est depuis passé par là mais il aura fallu l'alerte de 1971, le combat acharné de l'avocate Halimi et la pugnacité d'une Simone Veil face aux insultes répétées à l'Assemblée Nationale pour faire adopter cette loi et libérer les femmes, au point de la voir inscrite en 2024 dans la Constitution. Vous devenez témoins d'une histoire vraie, certes romancée - on est au théâtre - mais les faits sont têtus et Barbara Lamballais s'appuie sur l'histoire de Marie Claire, 16 ans, enceinte et, selon toutes probabilités, victime d'un viol ou, pour le moins, d'un acte non consenti. Ne voulant pas garder l'enfant, c'est toute la solidarité des femmes du voisinage qui est mise en branle. Et qui, par la loi scélérate, se retrouvent inculpées.
Commence alors un procès, le fameux Procès de Bobigny que vous allez suivre comme un polar, au point de hurler intérieurement à l'injustice, de faire montre d'une totale empathie. En sortant de la salle, rares sont les personnes qui n'avouent pas avoir été "secouées", émues aux larmes par ce moment théâtral grandiose, mené tambour battant par une troupe de six femmes et un homme (Julien Urrutia qui, lui, se voit contraint d'embrasser plusieurs rôles) avec même quelques instants de poésie et de rire grâce à Jeanne Arènes, irrésistible en catholique convertie. Clothilde Daniault est convaincante en Gisèle Halimi, elle a le verbe, l'autorité et la douceur et cette pugnacité qui la rendra légendaire. Le reste de la troupe s'inscrit dans la dynamique avec une belle justesse de jeu. Pas la moindre fausse note, tout est calibré dans cette mise en scène aussi inventive qu'énergique. L'introduction des portants mobiles à miroirs permet des variations d'espaces scéniques intéressantes. L'Histoire, la Grande, méritait bien une telle reconnaissance artistique !
Les Gémeaux peuvent s'enorgueillir de nous offrir un Avignon de haut vol. Avec cette nouvelle pépite inscrite à leur palmarès, ils peuvent garder le sourire. Courez découvrir ce spectacle captivant !