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© Patrick Adler
Article de Patrick Adler
Je m’appelle Erik Satie comme tout le monde
Funambule Montmartre

Au surréalisme du titre répond la mise en scène inventive et pour le moins baroque de Laëtitia Gonzalbes qui, entre fiction et réalité, retrace l'existence de cet artiste déchu... dans un hôpital psychiatrique. On est bien chez les fous !
Comme dans un film en noir et blanc où se projettent sur l'écran des écrits, des dessins qui s'animent comme les comédiens en ombres chinoises, le spectateur est captivé et souvent désorienté. Par les mots d'abord car Satie est un vrai personnage. Foutraque et lunaire, véhément et parfois même grossier, il n'hésite pas à charger ses contemporains - à l'exception de quelques-uns comme Picasso, Cocteau, Suzanne Valadon - à vilipender les critiques, arguant qu'"il n'y a pas de vérité en art" (sic). Poussez-le dans ses retranchements, il explose alors, éructe et ses saillies sont violentes. Propos d'alcoolique, direz-vous puisqu'il le fut trente années durant. Pourtant, à le voir, vous vous dites qu'il porte beau avec son chapeau melon, ses bésicles et son parapluie. Il promène sa longue carcasse, tout de raideur et puis tout à coup se déplie, se contorsionne, se met à danser ... en rythme. Diantre ! Le Satie incarné par le génial Elliot Jenicot tient à la fois de Jacques Tati et de Gene Kelly. La voix est grave et autoritaire, il a l'élégance d'un Rochefort mâtiné de l'humour d'un Marielle. Son Satie est un Grand Duc, certes déchu mais soutenu par ce parapluie qui ne le quitte pas - et qu'il perd pourtant régulièrement -, ce parapluie qui le protège et qui parfois devient arme. Erik - avec un K - est l'archétype de l'artiste maudit, incompris...comme tous les précurseurs. Excentrique mais tendre, il est le produit du manque, de celui qu'il comble dans les cabarets Montmartrois, dans les bras des dames, sans forcément les aimer puisque "l'amour éloigne l'artiste de son art" (sic). Il n'ouvre pas les lettres de ses amis mais... y répond. On est bien chez les fous !

Il fallait la complicité de l'infirmière - personnage de fiction dans ce biopic surréraliste - pour donner toute la profondeur des deux personnages : elle et ses tocs, sa fragilité, lui et sa colère, sa déprime, ses cicatrices jamais refermées (La perte, enfant, de sa mère, puis de sa grand-mère).
Ex-pensionnaire du Français, cet ex-clown qu'est Elliot Jenicot explose littéralement tant son art est complet. Depuis "Les fous ne sont plus ce qu'ils étaient" de Devos, "Le facteur Cheval" et tant de pièces du répertoire, il apparait de plus en plus comme un comédien indispensable qui - et ce n'est pas un hasard - excelle dans les rôles d'excentriques où, comme habité, il entraîne le public dans des univers tour à tour abscons, dramatiques et cocasses. À ses côtés, Anaïs Yazit, toute en subtilité, sait aussi bien manier l'ingénuité que la gravité en jouant tour à tour l'infirmière, l'enfant... Allez comprendre mais on est chez les fous, on vous l'a dit !
Ce biopic-fiction, s'il peut apparaître curieux, voire compliqué, reflète avec délicatesse et gravité le parcours d'un personnage hors-norme qui sait nous surprendre...jusqu'au bout ! Le final est juste... magnifique ! (Merci, au passage, aux animations graphiques de Suki qui ajoutent à la poésie de l'ensemble).
A voir... et revoir ! absolument !
Paru le 25/11/2024

(41 notes)
JE M’APPELLE ERIK SATIE COMME TOUT LE MONDE
THÉÂTRE FUNAMBULE MONTMARTRE
Jusqu'au mardi 31 décembre

THÉÂTRE CONTEMPORAIN. Erik Satie fut un compositeur hors norme. Avant-gardiste virtuose, il composa des musiques aujourd’hui jouées dans le monde entier, telles les célébrissimes Gymnopédies. En homme libre, il fit de sa vie un véritable roman, avec humour et légèreté, et fut l’ami des grands artistes de son époque : D...

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