Zoom par Patrick Adler
No more tragédie my love
À La Reine Blanche
Alexandre Cordier n'a que vingt-six ans et une plume, un regard, une maturité, qui forcent l'admiration. Le titre de sa pièce peut vous paraître déroutant, voire abscons. Raison de plus pour découvrir, au-delà de sa novlangue très étudiée, le regard aussi distancié que précis qu'il porte sur le gap générationnel dans les rapports filiaux. S'il constate un désenchantement, des incompréhensions mutuelles, des tensions, une colère dans cet « état des lieux » affectif acté par la mère et la fille, il entrevoit toujours l'amour en filigrane et ...une possible réconciliation. C'est intéressant sur le plan sociologique, puissant dans l'écriture et dans la direction d'acteurs. Sublime !
Elle, c'est Mila, enfin Mila à la scène car à la ville, Mila est Camille. Elle s'est affranchie à 17 ans de sa famille, a changé de nom. Couronnée à 26 ans par cinq disques de platine, suivie sur les réseaux sociaux par des millions de fans, elle est devenue la « Stella Spotlight » de Tiktok. Quand elle revient dix ans après sur le lieu de son enfance et rencontre au détour d'une rue sa mère, c'est l'occasion idoine pour chacune de tirer un bilan ce cette longue absence. Moteur. Action !
Passé la scène d'exposition qui met en scène dans l'angle le bureau de Mme Zerma, voyante qui accueille Mila/Camille dans son « live » où seuls les initiés peuvent décrypter ce volapük « jeun's", où sur un mode aussi futile que déjanté on assiste, médusés, à la vacuité intellectuelle de celle qui mène l'interview en gloussant nerveusement, attendez-vous à des surprises. Disruptif et habile, Alexandre Cordier stoppe net cette respiration bouffonne - très drôle au demeurant - pour entrer dans le dur du sujet : le rapport de force mère-fille. Vous vous attendez peut-être à des colères dignes de « Qui a peur de Virginia Woolf ». Que nenni ! Subtilement, Alexandre Cordier sait éviter l'écueil ou la facilité de l'afféterie, des éclats de voix grandiloquents et surjoués. Ici, la fille, comme la mère vont se parler, s'affronter, s'écouter, chacune déroulant sa partition sans être interrompue par l'autre. Comme deux adultes. Et comme les mots de chacune sont choisis, comme on suit leur prosodie avec bonheur et comme ils font sens, on écoute, ébahis, leur long soliloque. Mila confesse sa « faim d'un ailleurs qui la rongeait » (sic), expliquant sa fugue de dix ans, son besoin d'émancipation, de liberté tout en vomissant son mal de vivre, son anorexie, sa scarification. Si elle assume les joies de la gloire et affiche une certaine arrogance (« Je t'ai dépassée aujourd'hui », lui dit-elle), si elle a fière allure dans son manteau Burberry et si elle peut s'enorgueillir de sa réussite, elle ne peut cacher le manque (d'amour) qui la ronge et la main qu'elle attend. En réponse, la mère interroge. A la manière du « Parlez-moi de lui » de Nicole Croisille elle assaille Mila de questions. Aussi interdite, sonnée qu'amère, elle demande des comptes : « Suis-je une figurante ? Tu es devenue une pierre, où sont tes larmes »(sic). Au quotidien fictionnel supposé de sa fille, elle oppose la réalité - sa réalité -, celle qu'a fui Mila, constatant aujourd'hui encore que « Rien n'a bougé, vous n'avez pas bougé ». Dans cette logorrhée verbale de chacune se mêlent amertume, tristesse et tendresse. Même les silences font sens dans le jeu, ce qui prouve bien que les deux s'entendent et surtout s'écoutent sur ce grand plateau nu et noir, éclairé avec justesse dans les déplacements - souvent en diagonale pour marquer la distanciation, le regard en chien de faïence -.
L'analyse est puissante, l'écriture finement ciselée. C'est un travail d'orfèvre, servi par trois grands interprètes : Camille Legrand, Audrey Evalaum et...l'auteur. En introduisant au final le « Tout est cassé, tout est mort » de Véronique Sanson, Alexandre Cordier se montre une fois encore disruptif car tout n'est pas mort chez cette « Génération désenchantée » à laquelle il appartient. Elle n'a pas dit son dernier mot et est pleine de ressources. La preuve !
Courez-voir ce « No more stratégie, my love ». Un must , un régal !
Passé la scène d'exposition qui met en scène dans l'angle le bureau de Mme Zerma, voyante qui accueille Mila/Camille dans son « live » où seuls les initiés peuvent décrypter ce volapük « jeun's", où sur un mode aussi futile que déjanté on assiste, médusés, à la vacuité intellectuelle de celle qui mène l'interview en gloussant nerveusement, attendez-vous à des surprises. Disruptif et habile, Alexandre Cordier stoppe net cette respiration bouffonne - très drôle au demeurant - pour entrer dans le dur du sujet : le rapport de force mère-fille. Vous vous attendez peut-être à des colères dignes de « Qui a peur de Virginia Woolf ». Que nenni ! Subtilement, Alexandre Cordier sait éviter l'écueil ou la facilité de l'afféterie, des éclats de voix grandiloquents et surjoués. Ici, la fille, comme la mère vont se parler, s'affronter, s'écouter, chacune déroulant sa partition sans être interrompue par l'autre. Comme deux adultes. Et comme les mots de chacune sont choisis, comme on suit leur prosodie avec bonheur et comme ils font sens, on écoute, ébahis, leur long soliloque. Mila confesse sa « faim d'un ailleurs qui la rongeait » (sic), expliquant sa fugue de dix ans, son besoin d'émancipation, de liberté tout en vomissant son mal de vivre, son anorexie, sa scarification. Si elle assume les joies de la gloire et affiche une certaine arrogance (« Je t'ai dépassée aujourd'hui », lui dit-elle), si elle a fière allure dans son manteau Burberry et si elle peut s'enorgueillir de sa réussite, elle ne peut cacher le manque (d'amour) qui la ronge et la main qu'elle attend. En réponse, la mère interroge. A la manière du « Parlez-moi de lui » de Nicole Croisille elle assaille Mila de questions. Aussi interdite, sonnée qu'amère, elle demande des comptes : « Suis-je une figurante ? Tu es devenue une pierre, où sont tes larmes »(sic). Au quotidien fictionnel supposé de sa fille, elle oppose la réalité - sa réalité -, celle qu'a fui Mila, constatant aujourd'hui encore que « Rien n'a bougé, vous n'avez pas bougé ». Dans cette logorrhée verbale de chacune se mêlent amertume, tristesse et tendresse. Même les silences font sens dans le jeu, ce qui prouve bien que les deux s'entendent et surtout s'écoutent sur ce grand plateau nu et noir, éclairé avec justesse dans les déplacements - souvent en diagonale pour marquer la distanciation, le regard en chien de faïence -.
L'analyse est puissante, l'écriture finement ciselée. C'est un travail d'orfèvre, servi par trois grands interprètes : Camille Legrand, Audrey Evalaum et...l'auteur. En introduisant au final le « Tout est cassé, tout est mort » de Véronique Sanson, Alexandre Cordier se montre une fois encore disruptif car tout n'est pas mort chez cette « Génération désenchantée » à laquelle il appartient. Elle n'a pas dit son dernier mot et est pleine de ressources. La preuve !
Courez-voir ce « No more stratégie, my love ». Un must , un régal !
Paru le 11/12/2024
(3 notes) THÉÂTRE DE LA REINE BLANCHE Du vendredi 22 novembre au vendredi 20 décembre 2024
THÉÂTRE CONTEMPORAIN. Camille a fugué sans prévenir il y a dix ans. Quinze millions de followers et plusieurs disques de platine plus tard, elle va faire le chemin vers sa ville natale. Lorsqu’elle retrouve sa mère au détour d’une petite rue, la parole se meut en un flot incontrôlable de mots. Les reproches se fondent ...
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